Après ce titre racoleur, vous vous attendez à des révélations. Alors voilà, je vous le dis tout de go, le pain de mie, c’est bon (et bam). Ça vous épate non? Si votre réponse est non, c’est que vous faites déjà partie de ceux qui ont eu LA révélation, et vous êtes bien chanceux. Félicitez-vous de faire partie des privilégiés et quittez les lieux. Les autres, vous croyez encore que le pain de mie c’est ce truc mou, pré-tranché et caoutchouteux qu’on achète au supermarché dans un sac transparent qui laisse apparaitre des carrés aux bords concaves d’un marron douteux? Avec une mie qui colle au palais, un arrière-gout d’alcool à brûler et rien, rien, qui ne laisse soupçonner une parenté quelconque avec du pain dont il tire pourtant une partie de son nom?

Il y a une dizaine d’année, c’est une copine qui m’avait dit « j’y crois pas t’as jamais acheté de pain de mie à la boulangerie? ». J’avais dû la regarder avec des yeux ronds. Je ne savais même pas qu’ils en proposaient, si ce n’est pour faire des toasts un peu stylés au moment des fêtes de fin d’année, et je me demandais qui pouvait bien acheter du pain de mie dans un endroit où on trouvait du vrai pain. Mais force m’a été de constater, après avoir essayé, que la chose ne manquait pas d’intérêt, d’autant que vous pouvez aussi l’acheter non tranché et vous réserver le plaisir ultime de choisir l’épaisseur des tranches (moins poétique mais tout aussi important, ça rassit moins vite). Vos croque-monsieur et autres sandwichs de randonnées prendront une tout autre dimension, je vous le garantis.

Et puis un jour, j’ai gouté du pain de mie fait maison. Deuxième révélation. Moi qui fais du pain depuis de longues années, je ne m’étais jamais imaginée faire du pain de mie. Pour quoi faire? Alors que je pouvais faire d’excellentes miches au levain? L’amie en question ayant partagé sa recette, je l’avais remisée dans quelque pochette (vous aussi, vous avez des montagnes de chemises cartonnées avec des recettes que vous ne ferez jamais?) (-1 pour le minimalisme) et je l’avais oubliée. Enfin, pas vraiment oubliée. Je savais qu’elle était là, sur la liste des trucs que je voulais faire un jour. Mais allez savoir pourquoi, quand me prenait une envie de boulange, elle passait toujours à la trappe derrière quelque recette de bretzel, brioche ou focaccia.

Il y a fort longtemps j’avais vu au théâtre à Milan une adaptation de l’excellent monologue* Novecento d’Alessandro Baricco. La mise en scène donnait une importance toute particulière à un passage (sans doute tout aussi important dans le livre, mais qui m’avait moins marqué) : « C’est là, à ce moment-là, que le tableau se décrocha. Moi, cette histoire de tableaux, ça m’a toujours fait une drôle d’impression. Ils restent accrochés pendant des années et tout à coup, sans que rien se soit passé, j’ai bien dit rien, vlam, ils tombent. Ils sont là accrochés à leur clou, personne ne leur fait rien, et eux, à un moment donné, vlam, ils tombent, comme des pierres. Dans le silence le plus total, sans rien qui bouge autour, pas une mouche qui vole, et eux: vlam. Sans la moindre raison. Pourquoi à ce moment-là et pas à un autre? On ne sait pas. Vlam.« 

Et c’est comme ça que sans crier gare, hier matin, j’ai exhumé la fameuse recette de sa pochette, et décidé de faire du pain de mie. Vlam. Evidemment, vu la soudaineté de la chose, je n’étais pas tout à fait préparée. Pas de moule adéquat, des temps de levée pas franchement adaptés à mon emploi du temps du jour… Mais j’avais un cube de levure dans le frigo et j’avais décidé que ce serait maintenant, dont acte. Quatre heures plus tard, j’avais devant moi le plus extraordinaire pain de mie à tête de chou-fleur que j’aie jamais vu. Je n’ai songé que trop tard à palier l’absence de moule à couvercle en superposant une plaque lestée sur mon moule à cake, d’où la levée spectaculaire de la partie supérieure. Qu’à cela ne tienne, les tranches ne sont certes pas très académiques mais j’aurai bien le temps lors de futurs essais d’améliorer la conformité esthétique de mon pain de mie à son modèle industriel.

Car oui, ce pain de mie est bien parti pour devenir un classique de ma cuisine. Je réfléchis même à investir dans un moule ad hoc, mais ai-je besoin d’ajouter des éléments à la liste déjà longues des accessoires qui encombrent ma mini-cuisine? (je renonce donc, +1 pour le minimalisme)

Vous qui ignorez encore ce que le pain de mie maison recèle de satisfactions, je vous le dis tout net: essayez! Comme le clou qui cède sous le poids du tableau, cette recette est un point de non-retour dans l’histoire des toasts et des tartines. À vous les sandwichs triangle, les mouillettes de compétition et les croque-monsieur d’anthologie !

Recette du pain de mie maison:

650g de farine, 1/2 cube de levure fraiche (+/- 25g), 2 càc de sel, 25 g de sucre, 400ml de lait entier, 125 de beurre doux

• Sortez le beurre du frigo un peu à l’avance et détaillez-le en cubes. Faites chauffer légèrement le lait
• Mélanger la farine, le sucre et le sel
• Diluez la levure fraiche dans le lait tiède et ajoutez à la préparation précédente
• Pétrissez (à la main ou au robot avec le crochet)
• Ajoutez le beurre coupé (en deux ou trois fois) et pétrissez jusqu’à ce qu’il soit complètement absorbé et que la pâte se détache de votre bol sans coller
• Couvrez avec du film étirable ou un torchon humide et laissez reposer 45 minutes
• Ce délai écoulé, effectuez quelques rabats avec votre pâte dans le bol (elle va dégonfler, c’est normal) puis laissez lever à nouveau 45 minutes
• Ce délai écoulé, sortez la pâte du bol et divisez-là en 2. Créez deux boudins allongés (de la longueur de votre moule). Superposez-les puis torsadez le tout sans serrer et disposez dans le moule. Laissez lever à nouveau de 30 à 45 minutes puis préchauffez le four à 190°C.

Passons maintenant à la cuisson. Je vais vous donner deux possibilités: avec un moule à pain de mie de 30cm avec couvercle, et sans (en mode chou-fleur donc)

• Si vous disposez d’un moule à pain de mie. Votre pâte doit arriver à 2cm environ du bord du moule. Au moment d’enfourner fermez le couvercle. Laissez cuire 20 à 25 minutes puis ôtez le couvercle et poursuivez la cuisson pendant 15 minutes. Ensuite, démoulez votre pain de mie et remettez-le au four pour quelques minutes pour que la croute soit uniformément dorée.
• Si vous avez un moule à cake classique. Enfournez à 180°C pendant 25 minutes, puis couvrez le dessus de votre pain avec du papier d’aluminium pour éviter qu’il ne brunisse trop. Poursuivez la cuisson pendant 15 minutes puis démoulez (en laissant l’aluminium en place sur le dessus) et remettez au four pour quelques minutes.
• Je n’ai pas encore testé mais je pense que ça peut marcher: avant d’enfourner, posez sur votre moule une petit plaque de cuisson en guise de couvercle et lestez-là si nécessaire pour qu’elle reste bien en place. Ensuite suivez la marche à suivre comme si vous aviez un moule avec couvercle.

La question du moule : Dans mon cas, la pâte a débordé non seulement parce que je n’avais pas de couvercle, mais aussi parce que mon moule était trop court. Si c’est votre cas également, vous pouvez modifier les proportions de la recette, ou tout simplement, au moment de diviser la pâte en deux, en ôter une petite partie que vous laisserez lever et cuirez à part, dans un autre moule.

Derniers conseils : Ne tentez pas de trancher le pain tant qu’il est chaud! Laissez-le refroidir sur une grille et patientez! Le pain se conserve bien dans un torchon sec ou un sac à pain. Un sac en plastique est une option mais il risque de ramollir le pain donc je vous conseille dans ce cas de toaster les tranches. Vous pouvez aussi congeler tout ou partie du pain (voire des tranches pré-coupées).

That’s all folks! Je vous souhaite de bien belles tranches moelleuses et la fin du pain de mie industriel de supermarché, olé!

*un jour je vous parlerai de ma passion pour les monologues au théâtre, mais pas maintenant.