Le Palazzo Clerici est un lieu plutôt secret. D’ordinaire fermé au public, il n’est ouvert qu’à ceux qui fréquentent l‘institut des études de politique internationale qu’il abrite aujourd’hui et, ponctuellement, lors des journées du patrimoine organisées par le FAI (fondo ambiente italiano). En 2001, c’est mortifiée que j’ai manqué pour raisons de santé la grande fête de cloture de la design week qui s’y tenait, organisée par le méga sponsor Hyundai, tout comme j’ai du renoncer à y entrer lors des journées FAI il y a 2 ans, lui préférant la découverte du tribunal de Milan… Quand j’ai appris que quelques visites de la galerie des fresques y étaient dernièrement organisées, vous pensez si j’ai foncé!
Passée la déception de ne pas pouvoir passer par l’escalier d’honneur (celui des domestiques est très bien aussi, ne vous méprenez pas) et quelques salles « d’intérêt mineur » (seulement des salles de concert moulurées et des antichambres au sol en marqueterie démentielle), on débouche presque directement sur la galerie del Tiepolo et là, attention les yeux: ors, miroirs, boiseries, fresques, tentures, bas-reliefs, tout ça dans un espace finalement pas si grand (tout est relatif, j’en ferais volontiers mon salon), c’est fou et j’avoue que ça me laisse songeuse quant à ce à quoi peut bien ressembler la « salle de bal » mentionnée par notre guide et que, inutile d’insister, on ne nous laissera pas visiter*.
Mais avant d’aller plus loin dans mon récit, un peu d’histoire (vous allez voir, c’est passionnant même pour ceux au fond près du radiateur). C’est vers 1650 que les Clerici, famille originaire du lac de Côme ayant fait fortune dans la soie et les activités bancaires (et à mon avis, moins dans la soie que dans les activités bancaires, ahem), achète le bâtiment à la famille Visconti dei Consignori di Somma (rien que ça), pour en faire son pied-à-terre milanais et se faire un nom (et de nouveaux contacts) dans le milieu des affaires lombards.
Visiblement, ça leur a plutôt réussi puisque, quelques décennies plus tard, la « maison » est l’une des plus luxueuses de la ville, compte de nombreuses œuvres d’art, la fameuse galerie peinte par Giovanni Battista Tiepolo et un faste digne d’une cours princière… faste si ostentatoire** qu’à la mort du marquis Giorgio Clerici en 1768, le patrimoine est presque entièrement dispersé, obligeant son héritier à mettre les lieux en location en 1772 (pas à n’importe qui tout de même, puisque les locataires sont l’archiduc Ferdinand d’Autriche et sa femme Béatrice d’Este, en l’attente de la fin des travaux du Palazzo Reale) (en 1778, la pénurie de locataires impériaux obligera la famille à fractionner la maison en divers appartements). Le bâtiment finira par être vendu au gouvernement et deviendra Cour d’appel, avant de devenir le siège de l’ISPI en 1942.
Mais le visiteur du XXIe siècle est loin d’en vouloir à Giorgio Clerici d’avoir cassé la tirelire familiale lorsque, nez en l’air, il observe, peinte en mille détails et circonvolutions chromatiques qu’il faudrait des heures (et un transat!) pour bien observer, « la course du soleil à travers le ciel habité par les divinités de l’Olympe et entouré de créatures terrestres et des animaux qui symbolisent les continents » (le sujet de la fresque). Seule difficulté s’il en est, réussir à faire abstraction des lustres de cristal, des scènes militaires des boiseries de Giuseppe Cavanna inspirées du poème Jerusalem libérée de Torquato Tasso et des tentures maximalistes de Jan Leyniers II sur la vie de Moise pour tenter de se concentrer sur l’arc d’un bras levé, tel effet de perspective dans la représentation des anges, un certain dégradé dans ce drapé vert d’eau ou encore l’intensité du regard du meneur de chameau…
Palazzo Clerici – Via Clerici 5- Milano (pour connaitre les dates des prochaines visites, c’est ici)
*J’ignore les raisons des réticences rencontrées: la guide qui annonce la couleur dès l’entrée en espérant « qu’il n’y aura pas de questions », la visite d’1/2h chrono en main, la défense de publier les photos prises et les rappels à l’ordre en cas de lorgnage vers d’autres salles aux portes entrouvertes sur le parcours… Finalement, je ne me suis décidée à publier cet article qu’après avoir vu que, pendant le fuorisalone 2015, les lieux étaient ouverts librement et les photos permises…
**Il parait même que Giorgio Antonio Clerici, pour aller à Rome où il était ambassadeur de Marie-Thérèse d’Autriche, avait fait ferrer ses chevaux de fers d’argent (la classe à Dallas)
C’est sublime! Je comprends pourquoi tu as sauté sur l’occasion de cette visite! Merci pour le partage.