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Un article à la tournure un peu inhabituelle aujourd’hui, puisqu’il était à l’origine destiné à être publié ailleurs, dans le cadre d’une collaboration que j’ai depuis suspendue. Je n’ai pas le temps de le retravailler pour le completementfloutiser, mais plutôt que de le laisser perdre et parce qu’il peut vous intéresser, je préfère le publier ici…

De nos jours, l’attention apportée à la nutrition, à l’écologie et au bien-être semble omniprésente, et chaque jour apporte son lot de nouveautés plus ou moins vertes et de concepts slow (slow design, slow fashion, slow made)… On en oublierait presque que c’est il y a moins de 30 ans que Slow food, avec sa volonté de promouvoir la diversité alimentaire et d’ériger le bien-manger en activisme gourmand, a lancé le mouvement. Pour comprendre les racines de cette mouvance slow, il convient de rappeler l’histoire de cette association créée en 1986 et de voir comment, à partir d’un groupe d’amis italiens et de leur amour pour la nourriture et le vin, ces valeurs se sont répandues dans le monde entier et étendues à de plus vastes sujets.

Tout a commencé à Bra, dans le Piémont italien, où un petit groupe réuni autour de Carlo Petrini, critique gastronomique, forme l’Arcigola pour défendre le droit de bien manger et lutter contre l’uniformisation des goûts et traditions alimentaires. Une réponse à l’ouverture d’un fastfood sur l’une des plus belles places de Rome, mais aussi au scandale du vin italien au méthanol qui, poussant Carlo Pietrini à réunir les producteurs pour discuter des problématiques du monde viticole, entérine une démarche significative plaçant le discours et la rencontre au centre de la mission de l’association. Car connaître, c’est déjà agir, et le succès mondial en 1988 du guide « vini d’Italia » (vins d’Italie) qui recense, outre les qualités des vins, l’histoire de ses producteurs et sa fabrication, le montre bien. Le 9 décembre 1989 naît officiellement l’association Slow food qui, depuis, n’a cessé de grandir, et de réunir toujours plus de consommateurs, producteurs et acteurs de l’agro-alimentaire. Salons du goût, marchés, création d’une université des sciences gastronomiques en Italie, les initiatives se multiplient et intensifient l’influence des valeurs slow dans le panorama culturel et gourmand.

Aujourd’hui, l’association compte plus de 100 000 membres, originaires de 150 pays et répartis dans 1500 groupes locaux qui font l’éloge de l’alimentation en tant que plaisir raisonné. Ses buts, associer alimentation et culture, valoriser les traditions, les matières premières, promouvoir le respect des ressources et du territoire en préservant la biodiversité, mais surtout en créant de nouveaux rapports entre l’homme et l’alimentation et en développant la culture du goût. Dans un contexte économique difficile, et à l’heure où l’on parle plus que jamais des périls encourus si l’Homme n’apprend pas à ménager environnement et ressources, l’idée de ralentir et de consommer de façon raisonnée prend tout son sens, et ce n’est pas pour rien si, en janvier 2008, Carlo Petrini faisait partie dans le classement du quotidien anglais Guardian des 50 peronnes susceptibles de sauver la planète…

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Mais que signifie au juste slow? Ici, lent doit être compris dans le sens de durable, à long terme, comme le symbolise l’escargot en marche du logo. Slow food invite, non à un retour en arrière, mais au progrès dans le respect de tous les acteurs du processus alimentaire. Un progrès d’autant plus en devenir que la mission de Slow food est en grande partie éducative. Manger « slow », c’est surtout prendre le temps de découvrir, de faire les bons choix: goûter mais aussi connaître les techniques de production sont les clés d’un changement profond des comportements, et la promesse d’une manière nouvelle d’envisager production et consommation. Slow food, c’est une révolution lente, et ce n’est pas un hasard si l’activisme du groupe initial était avant tout politique: Slow food prône aujourd’hui une révolution par l’alimentation qui mène à un projet plus global encore. La devise « bon, propre et juste » renvoit à la fois aux notions de plaisir, de respect de l’environnement, et à une volonté de plus grande justice sociale sur les lieux de production et de commercialisation. Des principes qui demandent l’implication active de tous les acteurs de la société, pour que manger soit un plaisir sensoriel, culturel, mais aussi égalitaire et partagé.

Carlo Petrini ne cesse de le répéter, ce que l’on mange finit par faire partie de nous. Nous y puisons nos forces, notre énergie. L’attention à la production agro-alimentaire est donc encore plus essentielle que celle des autres biens de consommation. Le mouvement Slow food, loin d’être une tendance ou la marotte d’un groupe de bobos, vise une révolution alimentaire et sociétale. Choisir des aliments bons, sains, respectueux de la nature et des acteurs de leur production, c’est à la fois se faire plaisir et oeuvrer pour un monde meilleur. Une lutte qui se mène fourchette en main et persil à la boutonnière car, comme l’écrivait Moses Isegawa dans ses Chroniques abyssiniennes, «Bien manger est un objectif digne de toutes les luttes.»

ps: A noter, ces concepts seront au coeur de la prochaine exposition universelle dont le thème sera « nourrir la planète, énergie pour la vie », et qui se tiendra en 2015, devinez où, à Milan en Italie…