Je sais, comme d’hab, on ne me voit pas pendant des semaines et puis d’un coup, BAM, je ponds trois articles coup sur coup avant la prochaine disparition. C’est comme ça, et c’est plutôt bien en fait, de ne rien m’imposer et de ne venir poser quelques mots ici que quand j’en ai vraiment envie. Aujourd’hui dans cet instant culturel, on va parler de Balzac, de Truman Capote, de meurtre au supermarché et de chemisier, c’est parti!
Diskø – Mo Malø : Dernière trouvaille du festival Quais du polar 2019, ce polar aux accents nordiques qui m’a fait retrouver l’énigmatique inspecteur Adriensen de Qaanaaq. Dans sa dédicace, l’auteur m’avait promis quelques sueurs froides, et c’est peu dire que j’ai frissonné sous la couette à la lecture de ces aventures sur les icebergs groenlandais. Qui a tué le glaciologue Leonard Kelly, qui souhaite attirer l’attention du grand public sur la fonte des grands glaciers et surtout qui a créé le piège de glace qui se referme sur l’inspecteur au fil des pages? Entre introspection et complots, on plonge sans préavis et sans moufles dans l’univers passionnants des icebergs, ces monstres à l’équilibre fragile, symboles de tout un monde qui vacille.
Honoré et moi – Titiou Lecoq : J’y avais mis plein de post-it mais le chat en a mangé une partie, et je me retrouve à improviser sans notes, plus d’un mois après avoir achevé cette lecture, mais qu’importe. Du coup je vais vous raconter comment je me suis retrouvée à acheter une biographie de Balzac, plutôt qu’une nouvelle blouse ou un gigot. Je ne sais pas si je l’ai déjà dit ici, j’ai fait lettres modernes dans une vie antérieure, cursus fort inutile m’ayant néanmoins permis de passer beaucoup de temps à lire Butor, Borges, Kafka et Buzzati (et à me perfectionner en tricot pendant mes innombrables heures de bus hebdomadaires). Un prof de littérature française nous l’ayant recommandé, j’avais ainsi lu La cousine Bette de Balzac, et garde un souvenir très austère, non seulement de la couverture du livre, mais de son contenu, que wikipedia résume ainsi : « une vieille fille s’appliquant à détruire son entourage ». Dans mon souvenir donc, un livre terne et gris, des personnages pas jobards, un texte long et écrit petit (ouch).
Aussi quand Titiou Lecoq, dont je suis par ailleurs le travail depuis fort longtemps, a daigné en 2018 sortir d’un long silence sur son blog pour écrire un article consacré à sa visite du musée Balzac avec force enthousiasme, ça m’avait un peu interpellé. Que dire quand j’ai su en 2019 que ça l’avait suffisamment remuée pour qu’elle en fasse un livre aux accents comiques dédié à la vie de l’auteur? Il fallait tirer tout ça au clair, comprendre comment juxtaposer sa vision lol d’un auteur « classique » et mon souvenir d’héroïne austère et rancie. Direction la librairie lors d’une rencontre avec l’auteur, qui allait réussir en moins d’une heure à convaincre l’assistance que Balzac était cool, féministe, inventif, doté d’un inégalable désir de réussite, d’une improbable rébellion devant l’adversité et d’un pouvoir de résistance inexistant face aux meubles de maîtres et aux toilettes raffinées.
Une sorte de dandy foutraque, pris entre opulence et misère, entreprise et déroute, enthousiasme et désespoir, qui décrivait les mœurs de son temps et, tout en les blâmant, ne rêvait lui-même que d’amour, de gloire et d’argent. Evidemment, j’ai acheté le livre, ai beaucoup ri, m’apprête désormais à débusquer la cousine Bette lors de ma prochaine visite chez mes parents où il a sans doute été relégué au garage avec mes rollers, mes cours de fac et mon walkman, et à observer à l’avenir d’un peu plus près le rayonnage des librairies à la lettre B…
Les domaines hantés – Truman Capote : Trouvé dans une boite à dons au hasard d’une promenade dans la Loire (Le hasard vraiment? Disons plutôt que c’est le principe même d’une obsession, on voit des signes partout et tout semble corroborer ce dont on est déjà persuadé) (Et franchement, cette édition élimée et rafistolée provenant d’une sortie d’inventaire de l’INSA, peut-on rêver mieux pour un livre ainsi intitulé?)
Je crois avoir assez dit ici combien j’aime Truman Capote, son sens du détail et la perfection avec laquelle il écrivait ses dialogues. Mais avant les nouvelles, avant les chroniques mondaines, avant l’épopée judiciaire De sang froid, j’ignorais encore qu’il y avait eu Les domaines hantés, une plongée dans le monde de l’enfance, des souvenirs et des songes. Sous les yeux de Joel, garçonnet candide à l’imagination dévorante soudain envoyé à Noon City, un coin perdu d’Amérique où l’attend son père qu’il n’a jamais vu, on arrive ainsi au Landing, vieux domaine mystérieux à la splendeur fanée, et on y croise une galerie de personnages fantastiques, fillettes sauvages, domestique miraculée, ermite de légende, naine aux pantoufles d’argent, fantômes de noyés, mulet suicidaire…
Difficile de démêler le faux du vrai, le plausible de l’innommable, et le monde semble si hostile qu’on ne peut qu’encourager Joel à retenir, le plus longtemps possible, le monde intérieur qui lui tient lieu de maison, si ce n’est de raison.
Ce que j’appelle oubli – Laurent Mauvignier : J’avais oublié combien j’adore les bibliothèques, cette frénésie entre les rayonnages, ces noms qui défilent sous nos yeux, ces titres qui interpellent, ces homonymes bienheureux, ces revenants du passé, ces jamais lus dont c’est maintenant le moment, cette pile qui s’alourdit sur le bras et cette joie au retour, cette hâte de s’y mettre, cette envie de s’enfermer avec ses nouveaux protégés pour la soirée ou même l’hiver entier.
Fin novembre c’est ce petit livre qui m’a interpellée en premier. S’il s’agit d’une fiction, elle s’inspire directement d’un fait divers survenu à Lyon en 2009. L’histoire d’un jeune homme qui, pour avoir volé une bière dans un supermarché, est maîtrisé si fermement par les vigiles qu’il n’en ressortira pas vivant. Le roman commence sans crier gare, sans même une majuscule, et le narrateur qui s’adresse au frère de la victime en une unique et interminable phrase tente de remettre de l’ordre dans les faits, comme pour chercher une logique dans cette histoire d’autant plus cruelle qu’elle prend l’apparence du dérisoire.
L’auteur prend le parti de dénoncer la violence qui s’est abattue sans raison sur son personnage. Dans le livre, ce dernier est tabassé à mort alors que, dans l’histoire vraie, il n’a été « que » plaqué sur une table et étouffé sous le poids de ceux qui prétendaient le maîtriser. Une version que corrobore la vidéosurveillance mais n’a pas empêché l’avocate générale de rappeler que Michaël n’en est pas moins mort « écrasé par 330 kilos d’indifférence et de mépris ».* Si les vigiles ont été condamnés en 2015 pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », j’ai interrogé plusieurs personnes autour de moi, qui vivaient à Lyon déjà au moment des faits, et personne ne semble se souvenir de Michaël Blaise, mort à 25 ans pour avoir pris une bière dans un supermarché. C’est sans doute ça qu’on appelle l’oubli. Heureusement, la magie des livres a fait que son nom parvienne aujourd’hui malgré tout jusqu’à moi.
Jamaiplu – Josiane Balasko : J’ignorais que l’actrice était aussi romancière, et pourtant, l’autrice du Père Noel est une ordure devait-elle encore démontrer ses capacités à construire intrigues et personnages attachants? Interpellée à la bibliothèque, je me suis laissée tenter et bien m’en a pris, par ce recueil de nouvelles aux accents fantastiques. Qu’il s’agisse de paraboles animalières, d’histoires de fantômes, de zombies ou de plantes extraterrestres, c’est bien des humains qu’il s’agit, avec leurs mesquineries, leurs faiblesses et leurs petites lâchetés quotidiennes, mais vus avec une pointe de tendresse et de drôlerie qu’on réserve trop souvent aux enfants. Si certaines histoires m’ont parlé plus que d’autres, toutes ont un point commun, Madame Balasko sait certes écrire, mais surtout regarder, et imprime sa bienveillance entre les lignes encrées.
Le chemisier – Bastien Vivès : Quand j’ai découvert Vivès il y a quelques années, ça a été pour moi une révélation, et je crois que ça a changé mon regard sur le monde de la BD. Depuis, j’ai un peu revu mon enthousiasme sur le personnage (rappel : l’une de ses BD avait été retiré de certaines librairies après avoir été qualifiée par le public de pédopornographique) mais je continue de lui reconnaître un talent fou. Le chemisier, c’est l’histoire d’une jeune fille un peu perdue, une étudiante un peu banale, qu’on ne remarque pas. Un jour lors d’un baby-sitting, elle tache ses vêtements et on lui prête un chemiser en soie, un truc un peu luxueux qu’elle n’a pas l’habitude de porter.
Elle est sensée le restituer rapidement, mais décide entre temps d’en profiter un peu, et découvre à son contact une confiance en elle et un pouvoir qu’elle ignorait posséder. Evidemment, le chemiser n’a rien à faire là-dedans, mais elle va rapidement décider de ne plus le quitter. Et c’est vêtue de cette seconde peau qu’elle va s’émanciper et se découvrir, et malmener ses certitudes en même temps que le joli vêtement.
On a tous.tes eu je crois ce genre de vêtement-totem, de porte bonheur vestimentaire, mais ici l’effet est décuplé par le fait que le chemisier n’est pas vraiment à elle – est-elle donc elle-même? quel rôle endosse-t-elle? – mais aussi parce qu’elle est sensée le rendre à brève échéance, d’où le sentiment d’urgence qui imprègne le livre. J’ai trouvé ça très juste, et fin, et à vrai dire aussi délicat qu’un chemisier en soie.
Et voilà, c’est fini! En vrai, je voulais aussi vous parler d’autres trucs, d’un livre de Pierre Sansot sur les pauvres et du film Little women que j’ai vu la semaine dernière (passez-vous de mon avis mais allez le voir quand même), et cet instant culturel déborde déjà un peu alors je vais conclure. N’hésitez pas, comme d’habitude, à me recommander vos meilleures lectures du moment, et on se retrouve bientot pour parler de Duras, de plein de nouveautés qu’on m’a offert (j’ai eu 35 ans = PAL pleine à craquer) et autres trouvailles bibliotéco-boitàdonsesques (si).
*Si ça vous rappelle l’actu du moment, il s’agit d’un hasard, puisque j’ai lu ce livre début décembre. N’empêche, l’écho dans mes oreilles au moment où je rédige ces lignes n’en est pas moins assourdissant…