Sélectionner une page

Il y a quelques jours s’est achevée à Paris l’expo Nouvelles vagues au Palais de Tokyo. J’aurais pu (dû?) vous en parler avant mais je n’ai pas trouvé le temps, et puis peut-être les « vagues » de cette expo bien nommée n’avaient-elles pas encore fini de se dérouler sur le sable de mon été (abus de métaphore pour dire que ça m’a remué!). Tellement énorme, tellement inspirante, que j’ai longtemps hésité entre vous en faire un résumé ou créer une série d’articles qui auraient repris, oeuvre par oeuvre, ce qui m’a plu et marqué… (mais je crois qu’on aurait perdu du monde au passage, non?) Voilà pourquoi j’ai opté pour un compte-rendu de mes coups de coeur, comme un article-fleuve unique où mettre tous ces souvenirs, ces jolis moments, ces élans, qui ont nourri mes vacances plus qu’au prime abord je ne le croyais…

Feiko Beckers safe and sound

J’ai follement aimé la mise en scène de Feiko Beckers, où la réalisation d’une sculpture de béton devient prétexte à évoquer dans une vidéo le fait de posséder ou non une maison de vacances, à savoir si aller toujours au même endroit, et y retrouver des objets, habitudes et voisins familiers, peut encore être considéré comme un vecteur d’évasion, de vacances au sens de rupture avec le quotidien. Et que dire de cette reflexion si juste sur les vacances racontées, où seules les anecdotes déplaisantes font de bons sujets, quand les récits classiques de bonheur saisonnier sont d’un ennui sans bornes.. Du coup, on a passé l’été à demander aux amis de retour ce qui s’était mal passé!

Et puis il y a eu cette vidéo d’Arnaud des Pallières sur les parcs d’attraction comme source d’inspiration, Disneyland, mon vieux pays natal, une looongue métaphore sur ce que ces endroits ont d’irréél et à la fois de si tangible, comme un endroit hors du temps dont on aurait tant entendu parlé qu’on se demande s’il n’est pas une légende, et si vraiment des gens en sont revenus. Un regard à la fois acéré, tendre et un peu flippant, qui s’isncrit dans le secteur « le principe galapagos » inspiré d’une reflexion sur Darwin, ou comment l’étude d’un cas précis peut aider à conclure de règles pour tout un groupe… Le parc d’attraction comme labo d’études antropologiques?

Et puis il y a eu cette section, poétique et loufoque, sur Le club des sous-l’eau, à l’origine groupe de passionnés du monde sous-marin réunis dans les années 30 autour de Jean Painlevé, pionnier du cinéma scientifique, et réactivé en 2012. Entre films documentaires sous-marins d’une étonnante poésie floutée, affiches marines surréalistes et objets fétiches façon chasse aux trésors engloutis, on plonge dans un univers décalé, à la fois de recherche scientifique et d’onirisme patenté…

J’ai aimé aussi les oeuvres sud-américaines disparates de la section « Artesur, collective fictions ». Notamment le mur peint et gratté de Leyla Càrdenas qui interroge sur l’idée de trace, d’affacement, de mise en oeuvre, non de restauration, mais d’accélération du processus de dégradation de l’oeuvre, elle-même présentée comme une oeuvre. Et puis j’ai visionné au moins trois fois la vidéo Feeling de Ivàn Argote, performance dansante au son de Close to me de The Cure, pour le cercle intimiste que réussit à créer l’artiste autour de lui-même et de l’oeuvre regardée (la croix noire de Malevitch), et qui fait de son rapport au tableau une véritable expérience.

palais de tokyo nouvelles vagues

nouvelles vagues palais de tokyo

expo artesur collective fictions

Leyla Càrdenas

Et que dire de Sans titre (figurants) de Estefanía Peñafiel Loaiza, installation faite de journaux dont des éléments ont été gommés, et dont les débris de gomme ont été récupérés et réunis dans de petits bocaux, ultime trace d’un passé disparu, victime d’une censure dont on ne sait si elle est aléatoire ou connait une cible précise. Les gommures, à la fois bourreaux et victimes, matérialisent l’effacement, l’oubli, l’erreur corrigée et qu’on ne peut pourtant comparer à un acte manqué…

expo nouvelles vagues palais de tokyo paris

palais de tokyo expo nouvelle vague

J’ai aimé aussi cette vidéo de Pilvi Takala: une jeune femme déguisée en Blanche-neige se voit refuser l’entrée de Disneyland sous prétexte qu’elle « n’est pas la vraie Blanche neige ». Une affirmation qui donne le ton de la section The real thing? …la vraie Blanche-neige existerait-t-elle donc? Je suis restée moins étonnée de l’interdiction de Disney (somme toute compréhensible) que de la réaction des badauds qui, l’instant d’avant ravis de photographier leurs bambins avec la jeune femme, s’en écartent dégouttés quand ils apprennent qu’elle « n’est pas la vraie »…

Et puis, plus loin, beaucoup plus loin, après moult projections, installations, images ingurgitées et presque plus absorbées, rester en arrêt devant la vidéo de cet homme qui peint un absurde morceau de ligne jaune au milieu d’une route (Painting/Retoque de Francis Alÿs)… En réalité, ce sont 60 de ces lignes médianes qu’il a « restaurées » dans la zone. Au travers le prisme de cet acte à la fois pas commun et banal, on s’interroge sur la peinture en général (et surtout d’un point de vue artistique), son utilité publique, sa disparition et l’importance – ou la futilité, d’y remédier…

Autre installation inspirante, ce mur de marines de Hans-Peter Feldmann, des toiles kitsch dans le plus pur style vulgairement appelé « croûtes », mais qui ici accumulées semblent emplir l’espace et l’horizon de ce haut mur monochrome, comme le ferait la mer, justement interpelée ici, créant une sorte de paysage fait de bribes, sorte de fenêtre sur l’ailleurs à peu de frais. Ca m’a donné envie de faire pareil au dessus de mon bureau (depuis qu’on m’a dit que ce n’était pas bon pour le repos occulaire de travailler face à un mur, je cherchais que faire du carré blanc qui me fait face) (voilà une idée toute trouvée!)

palais de tokyo exposition nouvelles vagues

Esthétiquement, je n’étais tout d’abord pas bien fan des installations de Henrique Oliveira, ces protubérances mi-végétales mi-architecturales un peu flippantes, comme des plantes malades qui ramperaient et envahiraient tout. Mais justement, en cherchant à en savoir plus sur son travail, je réalise que tout l’intérêt est là, et comment cette « invasion » tentaculaire tend à rendre compte de l’incontrolabilité de la croissance urbaine et des processus d’expansion humaine. Pour le coup, on peut dire que le but est atteint: tumeur ou croissance, parasite ou prolongement, on ne sait comment définir les excroissances qui envahissent l’espace en s’y rivant… On pense, évidemment, aux banlieues, aux favelas et aux camps roms qui s’installent dans les espaces vacants, mais aussi aux architectures futures qui viennent se greffer sur les plans historiques de ville, aux passerelles, souterrains, étages supplèmentaires qui viennent s’ajouter à une structure prédéfinie, de façon plus ou moins bien réussie…

Henrique Oliveira palais de tokyo

nouvelles vagues palais de tokyo paris

Quoi, quoi? La visite est déjà finie, et je ne vous ai même pas parlé du Lit de Benoit Piéron, « support de rêve et espace d’accomplissement du drame du mariage », ni des tubes de peintures recyclées (dissoutes de la surface de toiles ratées) de Nicolas Floc’h, ni de la jolie vidéo de Kenneth Anger sur le mythe d’Hollywood, ni même de l’immmense installation Concert Hall, sorte de monumental orchestre mécanique, cacophonique et architectural aux faux airs de maison hantée? C’est sûr, cette expo, je n’ai pas fini d’y penser!