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Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours bien aimer l’idée de cuisiner dans des proportions dingues. A Milan j’adorais organiser des soirées et cuisiner pour 20 personnes, au moins deux fois par an j’empruntais des casseroles hautes de 40 cm et des poêles à frire de compétition, je convertissais le balcon en second garde-manger pour y stocker tout ce qui ne tenait pas au frais et je passais la journée dans la vapeur et les bouillons. Depuis que j’ai déménagé mon appart n’a plus les proportions me permettant ce genre de réception, mais comme je suis devenue par la même occasion l’heureuse propriétaire d’un congélateur, je peux quand même me lancer dans des préparations gargantuesque et faire d’ambitieux stocks façon Tetris alimentaire.

repas de famille ferran adria

Il y a un truc que j’aurais voulu faire avant de partir de Milan, c’est de me proposer au moins une fois pour une chouette initiative de la CAF. C’est un centre milanais d’aide aux mineurs et aux familles qui accueille des enfants et jeunes en situation difficile et vient en aide aux familles en difficulté. Comme il se trouve que le dimanche est le jour de repos de la cuisinière du centre, l’association recherche toute l’année des volontaires pour investir leur cuisine ce jour-là et élaborer un menu; en somme, des prétendants au titre de Cuoco della domenica (cuisinier du dimanche).

Évidemment, j’étais partante mais, comme il s’agit de cuisiner pour pas mal de monde, il me fallait d’abord réunir une petite équipe, ce à quoi je ne suis jamais parvenue (et je conçois parfaitement que tout le monde ne soit pas, comme moi, emballé à l’idée d’éplucher des patates pour 25, de se faire des taches de sauce et de touiller un risotto sans relâche pour ne pas que ça attache). Je n’ai pas renoncé cependant, et qui sait si cet article ne révélera pas parmi vous quelques bonnes volontés… (l’appel est lancé)

cuisiner pour 75 personnes

Sur ce sujet j’ai d’ailleurs lu deux livres épatant récemment. A vrai dire ce sont eux qui m’ont remis cette idée en tête (je suis du genre tenace et voit des signes partout, c’est ma façon à moi d’avoir une mémoire de fou). Ils n’ont rien à voir entre eux et pourtant, ils célèbrent chacun à leur manière la cuisine des quantités, la grande bouffe et le partage.

Comment nourrir un régiment est une BD d’Étienne Gendrin qui met en scène les mémoires de sa propre grand-mère, femme de caractère, cuisinière infatigable (nourrir 9 enfants, c’est un exploit de tous les jours) et détentrice d’un livre sur la cuisine militaire en campagne qui donne les instructions et ingrédients pour sustenter 100 hommes à la fois.

La bande dessinée traverse le siècle au travers des souvenirs de famille (vrais ou romancés), des faits historiques (la guerre, l’occupation) et des recettes légendaires dont on découvre la grande simplicité au détour d’anecdotes où perce avant tout la nécessité de faire de grandes quantités. Et du coup, des recettes simples, économiques et sans chichis: patates sautées, ratatouille, clafoutis… au final on a bien envie d’être invité un dimanche et de goûter à cette douce alchimie de chamailleries de fratrie et de patates au curry…

etienne gendrin bd

comment nourrir un régiment bd

Quelques jours plus tard, je suis tombée sur un tout autre livre, celui de Ferran Adrià intitulé Repas de famille. Je rappelle qu’il y a quelques années, j’étais sortie ravie de la projection au cinéma de El Bulli:Cooking in progress, le film sur son restaurant de cuisine moléculaire en Espagne. Et je me doutais bien que les cuisiniers, eux, devaient bien manger autre chose que les émulsions et gelées présentées à leurs clients fortunés. Ferran a décidé d’en faire un bel ouvrage, qui réunit les recettes de sa famille à lui, les 75 personnes qui œuvraient chaque jour ensemble dans les cuisines d’elBulli jusqu’à sa fermeture en juillet 2011 (un nouvel établissement, ElBulli 1846, devrait d’ailleurs rouvrir en 2016).

Et ce livre est tout bonnement fantastique. J’ouvre au hasard, je vois des aubergines rôties au miso, de la soupe à l’ail, des œufs frits, des toasts au chocolat et à l’huile d’olive… des trucs tout bêtes, mais bien préparé, avec plein d’astuces de chef et surtout, des proportions donnés pour 6, 20 et 75 personnes! On est d’accord que c’est juste dingue d’écrire sur sa liste de courses: 1,6kg de sésame, 375 sardines et 520g de moutarde de Dijon? C’est pourtant bien la dose prescrite pour réaliser les sardines au sésame et à la carotte de la page 114.

Évidemment, je l’ai acheté tout de suite, il a un esthétisme vaguement ringard et beau et il dit tout ce dont j’ai toujours été convaincue: c’est facile de cuisiner, à condition d’en faire assez pour réunir tous les gens qu’on aime à se goinfrer.

repas de famille ferran adrià

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