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Vendredi soir, Agnès B était à Milan pour présenter au Spazio Oberdan son premier long métrage: Je m’appelle hmmm, qui raconte l’histoire d’une rencontre entre une petite fille tourmentée et un routier écossais esseulé. Une sorte de fable cruelle autour du thème de l’inceste, de la solitude et du secret. Si le film est joliment tourné -cadrages, détails, couleurs, rien n’est laissé au hasard; il n’en est que plus angoissant, et j’avoue avoir souri quand une dame italienne a complimenté à la fin la réalisatrice d’un hésitant « c’était très joli ». Peut-on faire un joli film, un film d’évasion, un road movie initiatique et onirique, autour d’un récit aussi sordide? La réponse est oui et, si j’avoue avoir été soulagée quand la lumière s’est rallumée (je le dis à chaque fois, mais je crois que je suis trop sensible pour aller au ciné!), j’ai aussi palpité de ravissement, vibré et rêvé…

J’ai aimé follement les cadrages qui s’envolent vers le ciel, l’attention aux détails, les bouts de rien oubliés dans le sable, les affiches fluos aux murs des bistrots… J’ai aimé l’ambiance si française du film (ça a d’ailleurs du plaire aux italiens dans la salle): les carrelages sous les tables de bar, les voix dans la gare, les uniformes de police et la serveuse qui rate le café… J’ai aimé éperdument les paysages qui défilent sous la pluie, les rillettes tartinées dans la baguette entaillé, et surtout la route ensablée et comme sortie d’un rêve qu’emprunte le camion rouge, lui-même archétype de jouet…

J’ai aimé l’imperfection, la simplicité d’Agnès B qui, pour introduire le rêve du père, n’a pas trouvé plus honnête que de faire apparaître à l’écran la mention « le rêve du père »… un rêve dont on ne sait d’ailleurs quand il s’achève, et rien n’empêche de penser que le film, à partir de cet instant, n’est que le long cauchemard d’un homme tourmenté qui, symboliquement, se punit au travers du personnage de Peter, sorte de double expiateur inventé…

Mais parlons de Peter justement. Les spectateurs dans la salle se sont tous offusqués de ce que la scénariste ait sacrifié le sympathique routier, mais celui-ci ne savait-il pas, dès les premiers instants, que l’histoire allait mal finir? Dès qu’il s’arrète à 100m de la station service au lieu d’y stationner, on comprend que le pacte entre l’homme et l’enfant est fixé, et que l’épopée, comme une parenthèse enchantée, n’est qu’une récréation avant que le retour à la vie réél ne s’impose. Si Peter se suicide, c’est à la fois pour ne pas trahir le secret de l’enfant (pour se défendre, il serait obligé d’accuser le père), mais aussi pour sceller l’aventure à jamais (tel un Meaulnes tiraillé, il refuse la fin de l’enfance: « Tu vois, il y a la vieille route, c’est moi, et la nouvelle route, c’est toi. Je suis jaloux »).

Comme l’a souligné à plusieurs reprises Agnès B lors de la présentation, le propos du film n’était pas de résoudre quoi que ce soit ni de punir les coupables, et un happy end n’aurait été qu’un leurre, puisqu’un tel traumatisme laisse forcément des traces. Si on tient à voir dans le final une sorte de justice (et à entendre les tremolo dans la voix de certains spectateurs, certains y tiennent!!), disons que le regard haineux lancé par Peter au père lorsqu’ils se croisent suffit à punir celui-ci: il comprend que le temps du secret est fini, sa fille a parlé et quelqu’un sait, et c’est sans doute cela qui, plus que la peur de perdre sa fille, le résoud à ne plus la toucher.

Vous me pardonnerez ces analyses (peut-être tirées par les cheveux), mes envolées lyriques, mon engouement sans doute un peu trop ponctué mais, nonobstant son sujet, ce film invite à penser, à vivre plus fort et à ne jamais trahir l’enfant en nous et rien que pour ça, ça vaut la peine de l’aller voir! Foncez!

Pour connaître les dates des prochaines projections à Milan, c’est ici!