La rentrée, quand on travaille en freelance, ça n’a pas vraiment de sens… Ça fait plusieurs semaines que mon activité tourne comme chaque année au ralenti parce que mes principaux clients sont en vacances et que ce n’est pas vraiment le moment adéquat pour en chercher de nouveaux, sans que je sois en vacances pour autant… Disons que je me réjouis de les retrouver cette semaine pour revenir à un niveau d’activité (et de revenus) plus confortable, et moins générateur d’angoisse! C’est difficile à expliquer aux gens qui m’entourent, amis, proches, voisins, cette inactivité forcée qui de l’extérieur a juste l’air d’une grosse crise de paresse entrecoupée d’urgences (genre les clients qui se réveillent le 25 pour programmer leur newsletter de rentrée) et vous donne de loin l’air de « la fille qui fous rien et fait comme si elle était soudain débordée ».
J’essaie de prendre ça avec humour, et d’expliquer la situation en quelques mots -parce que, quelques mots, c’est généralement tout ce dont vous disposez pour parler de votre activité. Ce que je fais n’est pourtant pas si obscur (de la rédaction web, du suivi de projets de com et de la stratégie éditoriale, rien qui ne soit complétement obtus pour un quidam du XXIe siècle) et je n’en parle pourtant pas si souvent, mais toute référence à mon job semble exaspérer mes interlocuteurs (à moins qu’ils ne soient eux-mêmes entrepreneurs) d’une manière démesurée.
Je lisais l’autre jour sur une page facebook dédiée aux web-entrepreneuses les témoignages de beaucoup de filles dans le même cas, qui s’inquiétaient de voir l’activité en laquelle elles croient, et qui leur prend tout leur temps, ainsi implicitement dénigrée, et de devoir renoncer à partager leur quotidien avec leurs proches par peur de lire sur des visages moqueurs ou crispés: « ça y est elle va encore nous saouler avec les histoires de sa boîte ».
Exemple pratique: après 1/2h au téléphone à écouter de bon cœur les histoires de bureau d’une copine, le récit par le détail des bobos des enfants, des horaires de la crèche, de la météo de l’été, du niveau de la pelouse à tailler etc, la simple mention de mon interrogation sur la possibilité d’intégrer un espace de coworking à Lyon l’a instantanément fait raccrocher! Je ne parle même pas de ma mère qui, en guise de bons vœux quand j’ai créé mon statut il y a quelques années, m’a accueilli d’un railleur « ça y est t’es une femme d’affaire tu vas porter des tailleurs et te balader avec un attaché case? » (et moi qui n’ai même pas eu la présence d’esprit de rétorquer que les années 80, c’est fini), ni de cette copine qui, alors que j’étais à mes tout débuts, m’a prise à part pour, compatissante, m’assurer que « ce n’était pas grave si j’échouais, tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur »
Les moins proches feignent en général d’ignorer que je bosse, ou font semblant de croire que mon boulot c’est ce blog (ah mais comme j’aimerais!)… De temps en temps, quand j’ai besoin d’un petit remontant, je leur donne quelques chiffres sur le résultat de mon activité et pendant quelques heures, on cesse de me prendre pour une andouille! (je sais, c’est mal de se vanter)
Bon, évidemment, l’idée n’est pas de prendre ça personnellement, je sais bien que les gens projettent pas mal de leurs propres angoisses sur les autres et ce, sans s’en rendre compte le plus souvent. En fait, si j’écris cet article un peu atypique ici c’est surtout pour rassurer les novices. Cette incompréhension et ce sentiment d’isolement sont normaux. Avec le temps, on apprend à partager sur les problématiques liés au boulot avec des gens qui peuvent les comprendre (d’autres entrepreneurs souvent) et à faire profil bas ou à rester vague avec les autres, puisqu’il est sain aussi de sortir parfois la tête de l’eau et de côtoyer des gens qui ont des jobs plus « normaux »!
En faisant le choix de l’entrepreneuriat, vous sortez du système que la majeure partie de vos proches connaissent. Vos quotidiens et vos préoccupations ne se ressemblent plus autant et, sans même que vous vous en rendiez compte, ce décalage vous exclue mutuellement. (Inutile de rajouter qu’ayant fait cette expérience en étant à l’étranger, j’ai d’autant plus creusé le fossé!) Si en plus vos choix correspondent à une nouvelle activité pro ou à un changement d’orientation fort, ça signifie aussi que vous avez choisi de remettre en question un certain nombre de choses sur lesquelles ils refusent de s’interroger (ou n’en voient pas l’intérêt). Ce qui fait de vous, du moins dans un premier temps, une personne « dérangeante »… Comme si avoir fait certains choix étaient juger ceux des autres ou les dénigrer. Ou comme si les gens s’impatientaient d’avoir à chaque fois à affronter leur propre résignation, leur propre immobilité? Le mieux, c’est de prendre du recul et de les laisser régler leurs problèmes avec eux-mêmes. Gardez votre énergie pour bosser et faire avancer vos projets! Vous verrez avec le temps que la plupart des ricaneurs/blasés admireront votre énergie et sauront apprécier la qualité de vos conseils si eux-mêmes décident un jour de se lancer!
J’ai d’ailleurs remarqué avec le temps que ceux qui osent mettent en œuvre quelque chose qui les dépasse et finissent par inspirer leur entourage, et que c’est dans ces petites épreuves de la vie, et donc aussi dans votre bienveillance à résister aux railleries, que se cachent votre détermination et l’assurance d’avoir fait les bons choix! Alors amis entrepreneurs, croyez en vous et sachez résister! Quand aux autres, essayez de prendre le temps d’écouter (même si ça vous parait abstrait et que vous avez du mal à piger!) Bonne rentrée!
Je ne connais rien au monde de l’entrepreneuriat, mais je ne suis pas étonnée de ce que tu écris… Tous les choix un peu « atypiques » entraînent cette gêne et/ou ces réflexions dont tu parles. Cela peut être de faire un boulot différent de ceux de son entourage, ou bien d’avoir une famille nombreuse, ou encore de ne pas avoir d’enfant, ou de voyager beaucoup (bon, là je prêche pour ma paroisse ;-)) Je ne compte plus moi non plus les heures à écouter des proches me raconter leurs embouteillages pour aller au boulot, sans avoir de mon côté une once d’écoute quant à ma dernière vadrouille. Bref, c’est comme ça, et j’ai arrêté de me battre contre… L’important est de rester fidèle à soi-même, alors go on ! 🙂
Un mythe tombe ! moi je croyais que tu évoluais dans une sphère de personnes open. Bon, ben il te reste à sautiller au milieu de ce vivier, et je suis sure que si tu fais des bonds face à leur propos, tu feras des pas de géant pour prouver le bien fondé de ta démarche. Un vrai moteur les refourgueurs de bâtons dans les roues. Tu les remercieras plus tard. Là, pas le temps.
Je pressens un prochain billet « notre retour en France ressenti collectivement comme un projet de grossesse parce que quand même à notre âge … » Ca rassure les autres, quelle bienveillance.
@Melle Blanche: la plupart de mes potes sont en or, heureusement, et même ceux qui ne comprennent pas vraiment ce que je fais de mes journée me soutiennent… et il y a les autres 😉
Très bien vu ton histoire au sujet du retour en France, personne ne m’a encore clairement fait part de sa prétendue clairvoyance à prédire les bébés mais je lis dans leurs yeux l’étonnement quand je mentionne d’autres projets! 😉
Bonne rentrée madame !
Hier quelqu’un que je n’avais pas vu depuis bien 5 ou 6 ans m’a demandé ce que je faisais comme boulot.
Etant dans une période de transition, je me suis rendue compte qu’il fallait que je fasse le choix de dire : pas grand chose, ou beaucoup de choses.
Soit je résume à pas grand chose, soit j’explique vraiment pour faire comprendre ma situation.
Au final, je n’ai rien dit, j’ai dit que j’étais rentière. La flemme ?
Ou alors cette petite honte bizarre et sociale de se lancer soi-même, lâcher son boulot en CDI pour être seule, peut que la personne ne comprenne pas ça et te prenne pour une grosse débile.
Bonne rentrée madame !
Hier quelqu’un que je n’avais pas vu depuis bien 5 ou 6 ans m’a demandé ce que je faisais comme boulot.
Etant dans une période de transition, je me suis rendue compte qu’il fallait que je fasse le choix de dire : pas grand chose, ou beaucoup de choses.
Soit je résume à pas grand chose, soit j’explique vraiment pour faire comprendre ma situation.
Au final, je n’ai rien dit, j’ai dit que j’étais rentière. La flemme ?
Ou alors cette petite honte bizarre et sociale de se lancer soi-même, lâcher son boulot en CDI pour être seule, peut que la personne ne comprenne pas ça et te prenne pour une grosse débile.
Un grand MERCI! Moi qui ai lancé mon activité en début d’année, j’avais l’impression que mon entourage était particulièrement obtus et pas encourageant du tout (enfin, pas tous, mais quand même…) Alors qu’en fait, c’est un peu pareil pour tout le monde on dirait! Ouf!
Merci pour cet article, je fais peu ou prou les mêmes activités, mais je ne me suis lancée que l’été dernier, c’est donc ma première « rentrée » où je dois utiliser des guillemets. Ça fait du bien de lire tout ça avec les mots de quelqu’un d’autre 🙂
je dois avoir de la chance j’ai plutôt eu des retours admiratifs (dernier en date, la coiffeuse) que des coupeurs d’herbe sous le pied …bon souvent on me dit aussi « je ne pourrais jamais moi…surtout avec deux enfants » mais de mon côté je n’ai jamais caché que comme dans tout job il y a aussi des côtés « négatifs »…concernant les espaces de co-working il y en a pas mal à Lyon avec des systèmes assez différents au niveau des forfaits ..je pense à la cordée, Lyon city crunch a aussi passé un message récemment sur leur page Facebook pour des bureaux dispo dans leurs locaux à la guillotière il me semble ..je te rejoins aussi sur le sentiment d’isolement parfois (et c’est vrai que c’est toujours stimulant de retrouver d’autres freelance pour confronter nos expériences et parfois aider à répondre à des questions)
Ben didon, sympa ton entourage … C’est quoi ces réflexions à la con ? Ils sont fonctionnaires ces gens 😀 ? Moi j’en rêve d’être mon propre patron, mais je n’ose pas me lancer sans client. Mais ça viendra c’est sûr ! Bonne rentrée en tout cas !
@Châtaigne: ah ah ah, à leur tour d’en prendre pour leur grade 😉
Et en fait, oui, certaines des personnes auxquelles cet article fait référence sont bien fonctionnaires (on les voit venir de loin les donneurs de leçons!) Mais pas seulement. Beaucoup de gens pensaient que mon retour en France allait signer la fin de mes « aventures houleuses de freelance »… je suis encore en phase de test ici, mais j’espère bien les détromper vite!
Surer article !
Bisous, Pauline.
http://akomoami.blogspot.fr/
J’ai beaucoup aimé ton article. Je ne suis pas entrepreneur, je ne vis pas de ma passion (écrire – ce qui passe essentiellement par la tenue de mon blog) mais cela a pris plusieurs années pour que mes proches ne prennent pas un ton légèrement différent – presque railleur – pour parler de mon blog en faisant avec les mains comme de gros guillemets. Mais peu à peu, j’ai fini par le faire accepter car faisant entièrement partie de mon quotidien, tous mes proches touchent à sa réalité, me voient écrire, travailler, photographier, retoucher, me coucher tard, me lever tôt, faire rentrer dans un emploi du temps bien charger de quoi faire survivre l’important. Le problème que je rencontre est peut-être légèrement différent puisqu’il ramène à des notions de « ne pas s’identifier à une seule chose », « revendiquer une identité plurielle », « ne pas se contenter que de faire ce qui est « bon » pour ma santé financière et future ». Je suis totalement d’accord avec ta conclusion, c’est à force de faire, de montrer, d’être que peu à peu ce qui était étrange devient banal, quotidien, normal et donc accepté. Un peu comme pour tout dans la vie, non ?
A bientôt !
Comme ton article me parle ! Je me rappelle aussi dans mes débuts le « tu sais si tu échoues, c’est pas grave tout le monde n’est pas fait pour être entrepreuneur ». Maintenant je n’y pense plus mais j’imagine qu’être encore là apres 8 ans quand on connait les statistiques d’entrepreuneurs qui ferment après une ou 3 années..ça fait plaisir. Pareil que toi je suis à mon compte et j’ai choisi de vivre un peu comme bon me semble, je me sens donc en décalage un peu dans toutes les conversations. Quand je dis à mes potes que j ai pas de clients cet été et que c’est hyper dur financièrement on me répond « ah oui je sais, moi aussi je galere avec mes assedics ». « Non c’est pas pareil. Moi quand j ai pas de clients je touche zero walou nada que dalle ». Voilà j’ai plus ou moins renoncé aussi. Et puis sinon ils me disent « pourquoi tu prends pas un boulot comme t’avais avant ? Ou prof d’anglais, ça serait une bonne planque ça ». J’arrive pas une seconde à leur expliquer pourquoi je ne veux pas d’une « planque », ils ne comprennent pas. Au dela de ça je crois vraiment qu’il me serait très pénible de reprendre cette vie qui me parait insensée (horaires, présentéisme, infantilisations, hierarchie, toussa !)et qui me coupe de toute créativité
Coucou,
Je suis bien d’accord avec toi lorsque tu dis que certaines personnes projettent parfois leurs propres angoisses s’en vraiment s’en rendre compte. J’aime beaucoup la petite citation à la fin de ton article, elle m’a bien fait rire ! (dans le bon sens bien sûr)
Bonne soirée à toi et bon courage !
on n’a pas tous les mêmes préoccupations, on a l’impression parfois que les autres ne sont pas à l’écoute alors qu’on aimerait confier nos doutes ou problèmes … c’est comme ça … tu es à Lyon ?
@Aurélie: c’est très juste, et ça peut s’appliquer à tout… mais du coup le doute m’assaille, m’arrive-t-il à moi aussi de me comporter ainsi sur d’autres sujets qui me semblent trop éloignés de ce que je vis? dans tous les cas c’est à méditer!
@Uty: « pas grand chose, ou beaucoup de choses », c’est exactement ça! Il y a aussi l’idée pour beaucoup de gens que ton activité n’acquiert de valeur que quand elle devient complètement rentable… Et c’est vrai que toi en plus tu lâches un CDI, ça doit sembler bien louche!
@Ninon @funambuline: courage les filles! je crois aussi qu’on a en France plus de facilité à critiquer qu’à complimenter. Les gens qui vous entourent vous admirent sans doute, même sans comprendre, et ont juste un peu de mal à l’exprimer 😉
@chocoladdict: la question du co-working n’est justement pas anodine… Pour s’imposer des frais supplémentaires pas nécessairement indispensables (je peux très bien travailler de mon salon), ça implique une confiance en soi et un sentiment de légitimité que je ne ressens pas toujours pleinement… comme quoi, même moi, d’une certaine manière, je continue à me voir comme une bricoleuse et non une entrepreneuse… Alors que ce n’est pas seulement une question de confort, mais aussi de s’ancrer dans une réalité.
@Miss Blemish « parler de mon blog en faisant avec les mains comme de gros guillemets » ça aussi je connais, c’est tellement vrai! merci 🙂
@melolimparfaite Décalage, c’est pile le mot juste. Je suis sure que j’entendrai des réflexions au sujet de cet article, sur mon délire de persécution, mes problématiques d’ado qui se sent incomprise (ça me rajeunit youpi)… En fait je ne peux pas prétendre souffrirvraiment de tout ça, mais c’est vrai que c’est pénible de se sentir « en décalage » avec son entourage au quotidien. J’avoue que ça va mieux depuis que je suis en France, on a au moins les mêmes entités de référence (EDF, la poste, orange…)et, ce qui rassemble plus que tout dans ce pays, on peux râler ensemble des mêmes choses!
@argone oui je suis à Lyon depuis fin juin!
Je suis passée par là avec des réflexions genre « Ah mais tu bosses ? T’es pas mère au foyer ? » ou inversement « En fait, tu ne bosses pas. T’es mère au foyer, quoi. »
C’est vrai que mon bureau se trouve chez moi mais si certains savaient… 😉 Par contre, j’ai de plus en plus d’amis qui me soutiennent et trouvent que nous, les freelances, travaillons très dur.
Courage à toi pour cette « rentrée » 😉