Depuis le temps qu’on se plaint que nos villes manquent de végétation, je me demande pourquoi on ne voit pas fleurir plus d’initiatives spontanées pour faire regagner du terrain au vivant. Des fois, il me prends l’envie d’aller balancer des graines dans tous les interstices entre les pavés, juste pour voir les coquelicots et les soucis surgir n’importe où, ou d’aller bécher les pelouses vierges dans les parcs ou chez des privés pour y fourrer mes semis en trop ou les arbres qui deviennent trop grands pour mon petit balcon. Il y a tant d’espaces inutilisés qui ne demandent qu’à etre ensemencés, et tant de gens qui aimerait bien planter ou voir pousser des trucs sans avoir le luxe de posséder un coin de terre. Je ne parle pas de potagers, de jardins partagés* ni même de ces micro-jardins que certaines villes permettent aujourd’hui d’implanter au pied des arbres ou le long des trottoirs, mais bien de végétalisation sauvage. On aiderait simplement la nature à reprendre ses droits, on se retrouverait à la sauvette pour disséminer ça et là un peu de bourrache, des plants de laitue, des patates ayant germé dans le paquet ou des rhizomes d’iris en trop. Pour les abeilles et les riverains, pour la beauté et le parfum, pour pouvoir faire des bouquets en rentrant des courses ou du boulot, pour piocher une figue ou une fraise au détour d’une balade ou d’un rendez-vous.
Enthousiasmée par cette incroyable idée issue de mon cerveau fécond (LOL), je me suis mise à faire quelques recherches en ligne, et j’ai découvert qu’évidemment je n’avais rien inventé, et que le monde était plein de gentils dingos qui, comme moi, voient en chaque coin de terre l’occasion de planter des trucs. Certains appellent même ça la guérilla jardinière (ou guerilla gardening pour ceux et celles qui aiment les termes en -ing) et je ne peux qu’approuver les objectifs servis par cet activisme vert : « créer une biodiversité de proximité et bousculer les limites de la propriété privée ».
Je suis particulièrement tombée sous le charme de cette personne qui, quoiqu’habitant la campagne, a pris l’habitude de planter des citrouilles, des concombres, des tomates et des rejets de lilas dans les champs non cultivés et dans les terrains alentours, à l’insu de ses voisins. J’ai aussi découvert l’existence d’Ellen Miles, une londonienne qui revendique le concept de botanarchy. Pourquoi a-t-on si rarement l’occasion ou le droit d’interagir avec l’espace public? Pour ceux qui comme moi s’assoient plus volontiers par terre que sur les bancs, et que les panneaux « pelouse interdite » mettent en rage, ce questionnement est plus que légitime. Ne parlons même pas de l’immensité des zones citadines réservées à l’usage exclusif des voitures et des automobilistes, et que je rêve de convertir en jardins et forêts! Quand j’habitais Milan, un type louait deux places de parking dans la cour de mon immeuble pour y mettre ses pots de fleurs, qui sans cela n’auraient pas eu droit de cité. Quoiqu’un brin couteuse, cette initiative imposait le respect!
Alors on plante quoi? N’importe quoi je dirais! Certaines plantes poussent très facilement, même avec peu d’eau, même dans des sols ingrats. C’est le cas des coquelicots, de la vergerette, du trèfle, de la camomille sauvage, de la moutarde ou encore des arbres à papillons et des figuiers. Mais vous pouvez tenter l’expérience avec à peu près n’importe quelles graines de fleurs ou de légumes que vous avez sous la main, ainsi que des bulbes (tulipe, narcisses, crocus) ou de petits rejets. Vous pouvez même ensemencer les murets (sommet et fissures) avec des graines de vergerette ou de campanules, ou y glisser des boutures de sedum et de lierre si vous en avez.
Végétalisation sauvage ou pas, j’entrevois que quelques règles de bon sens doivent être observées : n’installez pas de plantations là où elles peuvent gêner, choisissez des variétés qui nécessitent peu d’entretien mais aussi peu d’eau si vous n’avez pas l’intention d’arroser tout l’été, privilégiez des plantes locales, ne plantez pas de variétés invasives et évitez les plantes toxiques !
Si vous avez peur de vous faire surprendre pelle en main, vous pouvez opter pour les bombes à graines. Vous pourrez les confectionner à l’avance et les déposer (ou les lancer!) dans les endroits que vous souhaitez ensemencer en toute discrétion! Une copine a ainsi fait éclore en cachette trois massifs de fleurs dans le parc bostonien où elle promène son chien. C’est parfait également pour les lieux non accessibles, et ça vous évitera d’avoir à escalader des murs ou à braver des barbelés. Pour les confectionner, mélangez à parts égales un peu de terre ou de compost avec de l’argile en poudre, ajoutez un peu d’eau et les graines de votre choix. Façonnez de petites balles de 2-3 cm de diamètre et faites-les sécher à l’air libre. Vous pouvez ensuite les disposer où bon vous semble, les graines resteront en dormance et germeront quand les conditions optimales (température et humidité) seront réunies! J’ai vu que certains ajoutent un peu de piment en poudre ou de poivre à la préparation pour repousser les parasites, mais j’aime bien l’idée de laisser la nature faire et que chacun prenne sa part. Quand on sème, on sait que toutes les graines ne vont pas forcément germer et ce suspens fait partie du jeu! Si vous ne trouvez pas d’argile, vous pouvez également façonner vos boules en mélangeant de la terre et du papier (vieux journaux ou boites d’œufs découpés en tout petits bouts) : je n’ai jamais testé pour ma part mais ça me semble une bonne idée!
Attention cependant, la guérilla jardinière est en théorie illégale en France. Même si vous n’en avez cure, prenez vos précautions et évitez tout site où l’on pourrait vous reprocher votre vandalisme vert. Sinon, renseignez-vous sur les initiatives légales existant dans votre quartier: à Paris et à Lyon par exemple, la Ville délivre des « permis de végétaliser » sur demande (c’est moins guérilla comme approche mais en allant arroser vos semis sous votre capuche à la tombée de la nuit vous pourrez néanmoins ressentir le frisson de l’interdit.)
*Je suis par ailleurs fan du concept de jardin partagé et rien n’empêche les deux initiatives de coexister, d’autant qu’il s’agit plutôt, avec la guérilla jardinière, de s’approprier des espaces autres que ceux qu’on veut bien nous concéder.