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Ca fait longtemps que je vous parle de vous écrire un billet-fleuve au sujet du levain. Pour réunir ce que j’ai appris de mes expérimentations, des rencontres avec d’autres passionnés, pour vous inciter à vous lancer… je crois même que ça mérite non pas un, mais une série d’articles! Pas parce que c’est compliqué, non non, quand je me suis lancée je n’y connaissais presque rien, et ça ne m’a pas empêché d’enfourner toutes les semaines! C’est juste qu’avec le temps, je me suis passionnée pour le pain au levain, et c’est un univers que j’aime et que j’ai envie de vous faire partager.

pain au levain

Mes débuts
C’est il y a 5 ans à peu près que j’ai eu en main mon premier levain, un morceau de celui de Sophia ramené un soir dans le panier de mon vélo, suscitant l’étonnement du Mec et du colloc’ d’alors. Depuis, d’autres levains sont venus et ont grandi dans ma cuisine, peuplant divers seaux et bocaux, mais je garde toujours précieusement un échantillon de celui-ci, séché par mes soins et prêt à être réhydraté en cas de besoin.

Le matériel
Vous me connaissez, je ne suis pas fan des panoplies et gadgets, aussi je me suis longtemps contentée d’un saladier de taille moyenne, d’un peu de film étirable et de mes petites mains pour gérer mon levain, et ma routine n’a pas tellement changé, même après plusieurs années de pratique. Evidemment, un robot pétrisseur vous évitera un peu de gymnastique, mais je trouve que ça enlève un charme considérable à l’activité de pétrissage, qui est un moment relaxant pour soi et contribue aussi à créer « un lien » entre vous et votre levain… (Ne riez pas, il parait que Motta, l’historique fabricant de panettone milanais, faisait à une époque dormir ses patissiers dans une pièce spéciale, pret de leur levain, pour favoriser la synergie patissant-patissé)

levain pas à pas

La philosophie
On y vient justement. Si j’ai tendance à être sceptique devant les dérivatifs mystiques (pour vous donner un exemple, le yoga n’est pour moi qu’une sorte de gymnastique ajoutée d’un contrôle de la respiration), j’ai vite été conquise par la dimension « vivante » du levain. Sans aller jusqu’à lui donner un nom (ce que les adeptes, en général, font!), il a tout de suite été évident pour moi que c’était plus qu’un sachet de levure boulangère Alsa. Je m’inquiète pour lui quand je l’abandonne trop longtemps (sacrebleu, il va s’acidifier!), je le bichonne et je lui parle (allez gentil levain, va falloir accélérer la levée pour que je puisse faire ma pâte à pain avant d’aller me coucher!), les potes me demandent de ses nouvelles, c’est un peu devenu la mascotte de la maison! Le levain est composé de bactéries, il est donc bel et bien vivant, et c’est lui qui vous permettra, jour après jour, de faire du pain et autres pâtes levées: en somme, un peu comme un copain qui, en échange d’un peu de farine, viendrait tous les matins vous aider à préparer le petit déjeuner!

Les matières premières
La simplicité même: de la farine et de l’eau! J’utilise de la farine bio, mais là aussi vous avez le choix. Farine complète ou raffinée, de seigle ou de blé, à vous de choisir selon vos préférences, l’important étant de ne pas changer de farine de base d’une fois à l’autre! Utilisez donc celle que vous avez toujours dans votre placard pour plus de simplicité, et pour être sûr de n’en pas manquer! Certains soutiennent qu’il vaut mieux utiliser de l’eau de source pour « alimenter » le levain. Pour ma part, j’utilise l’eau du robinet que je laisse (quand j’ai le temps) décanter 1h pour que le chlore s’évapore, mais rassurez-vous, en cas d’utilisation d’eau du robinet fraîchement tirée, il ne se produit pas de drame particulier! (Ce que j’essaye de vous faire comprendre, c’est que vous trouverez beaucoup de publications, ou de sites de puristes, qui énoncent plein de règles qui semblent rendre la chose compliquée et pourraient vous décourager! Je préfère pour ma part que vous tentiez le coup, ça fait des années que j’utilise mon levain à la cool, et il ne semble pas m’en vouloir!)

rafraichir levain

Mise en oeuvre
Le plus simple pour commencer, c’est de partir d’un peu le levain qu’on vous aura donné (je vous expliquerai par la suite comment créer votre propre levain). Il vous suffit alors de le « nourrir » régulièrement avec un peu de farine et d’eau, et d’y puisez quand vous cuisinez la quantité désirée. Pour nourrir le levain (on dit aussi « le rafraîchir »), une seule règle à respecter: le peser et lui ajouter la moitié de son poids en eau, et son poids en farine (exemple pour un levain de 100g: ajouter 50g d’eau et 100g de farine), bien mélanger, pétrir un peu et laisser lever. Je vous parle ici d’un levain semi-solide (dit aussi « levain à 50% ») qui est celui que j’utilise depuis 2 ans; il existe aussi des types de levains liquides, auxquels on ajoute autant d’eau que de farine à chaque fois, mais leur conservation est un peu plus compliquée et ils s’acidifient plus vite, j’y reviendrai dans un article dédié).

En ce qui concerne la fréquence des rafraîchissements, là aussi je vous conseillerai de trouver votre propre rythme, en fonction de votre fréquence d’utilisation et du mode de conservation choisi. Les puristes recommandent de nourrir le levain tous les jours, mais c’est une hérésie si vous ne faites pas de pain tous les jours, car vous allez devoir jeter une partie de votre levain à chaque fois pour n’en être pas envahi! Pour ma part, deux rafraîchissements par semaine suffisent, je jette rarement du levain (et vu que je n’utilise que d’excellentes farines bio, le contraire serait malheureux!) et je fais en général du pain (ou de la focaccia, ou une brioche) deux fois dans la semaine. Evidemment, tout dépend de la vitesse à laquelle vous mangez le pain, du nombre de repas pris chez vous, du nombre d’hôtes invités quand vous recevez…

pain au levain naturel

La conservation
Les puristes ne sont pas tendres non plus en ce qui concerne la conservation du levain: pour eux, il est interdit de frigo car le froid détruirait une partie des bactéries qu’il contient, il préfère les bocaux en verre et doit avoir son coin frais dans la cuisine, de préférence près d’une grille d’aération… Je vous le dis tout net, le mien s’est longtemps contenté d’un saladier en plastique jaune, et il n’a pas moufté! En fonction de la quantité dont j’ai besoin, il passe d’un petit bocal couvert à un monumental seau à anchois de récup’, et il ne semble pas s’en porter plus mal! Quand le temps est frais, au printemps ou au début de l’automne, je le laisse à l’air libre dans la cuisine, mais dès que le thérmomètre s’affole ou qu’on allume le chauffage, je le mets au frigo (la chaleur le fait se développer trop vite, il s’acidifie et sèche, et nécessite alors des rafraîchissements quotidiens). Si vous disposez d’une pièce fraîche même en été, c’est parfait, sinon, je vous conseille de le mettre au frigo dès qu’il a commencé à gonfler!

Mais revenons au contenant: utilisez ce que vous voulez, en tenant compte du fait que le levain va plus que doubler de volume en fermentant, et choisissez donc un récipient assez grand, et surtout, ne l’enfermez pas hermétiquement! Le levain est vivant, il a donc besoin d’oxygène! Si vous optez pour un bocal type le Parfait, ne le fermez pas, et si vous utilisez un saladier, recouvrez-le de film étirable en ménageant une ouverture pour le laisser respirer.

levain naturel fermentation

Mais, et pendant les vacances?
Il m’est arrivé d’emmener mon levain en vacances, mais vous n’y êtes pas obligés! Il existe plein de méthodes qui permettent d’espacer les rafraîchissements suffisamment longtemps pour partir tranquille! (les norvégiens ont aussi inventé des pensions de vacances pour levains, mais je doute que ça existe chez nous!) La première solution, qui va faire hurler les puristes mais qui fonctionne bel et bien: congeler le levain (je ne l’ai jamais testée mais des amies le font tous les ans en août, ou quand elles en ont marre de faire du pain), tel quel dans son saladier ou plongé dans l’eau, selon les goûts (là, c’est plutôt moi qui vous demande votre avis, n’ayant jamais testé puisque je n’ai pas de congélateur). Autre possibilité, lyophiliser le levain: ça a l’air fou comme ça mais c’est très facile! Ou vous étalez votre levain en très fine couche et vous laissez sécher quelques heures à l’air libre (il vous suffit ensuite de réduire la « plaque » obtenue en poudre ou en paillettes à réhydrater), ou vous mélangez un peu de votre levain à une grande quantité de farine, et vous sablez entre vos doigts (comme si vous faisiez un crumble) pour obtenir un sable tout fin qui se conservera très bien. Ou encore plus simple, vous pouvez essayer de le laisser au frigo (sauf si vous avez l’habitude de l’éteindre en partant!), à condition de ne pas essayer de conserver une trop petite quantité, ce serait risqué, je dirais qu’il vous faut au moins 500g de levain pour maintenir en son sein le plus possible d’humidité; c’est évidemment ma technique préférée, et j’ai ainsi conservé un levain pendant 3 semaines sans dommages!

La seule chose à savoir, c’est que le levain à votre retour aura tout de même souffert, et qu’il faudra le bichonner un peu avant de l’utiliser à nouveau: les bactéries se seront affaiblies, le levain aura gagné en acidité, il aura séché, peut-être bruni, et libérera même une odeur aigrelette de vinaigre… pas de panique, ôtez la croute formée sur le dessus et jetez-là, jetez l’eau stagnante dans le fond ou sur le dessus s’il y en a, en somme ne conservez que la partie la plus fraîche, généralement au centre, qui ressemble le plus à votre levain dans son état habituel, et rafraîchissez-le à plusieurs reprises, pendant plusieurs jours, avant de l’utiliser à nouveau pour cuisiner. Vous pouvez aussi tester deux des techniques citées pour ne prendre aucun risques, et évaluer la méthode que vous préférez.

faire son levain

Les propriétés du levain
Qu’on se le dise, le pain au levain est meilleur! Il est plus parfumé, se conserve mieux, reste moelleux plus longtemps… Et puis il se digère mieux grâce à une fermentation lactique et non alcoolique comme celle obtenue avec de la levure de bière… Les intollérants (attention, pas les allegiques!) le supportent mieux parce qu’une grande partie du gluten est détruit pendant le processus de fermentation qui fait lever le pain (le levain se « nourrit » du gluten pour se développer). Seul « inconvénient », la levée prend bien plus de temps qu’avec des levures classiques: de 5 à 12h selon la température et la recette choisie (quoique pour moi, ce ne soit pas un inconvénient, il suffit de faire sa pâte le soir pour une cuisson le lendemain matin, et vice versa).

Utilisation
Je vais essayer de vous poster plus souvent des recettes au levain, vous les trouverez dans la section du blog liée au pain, mais sachez qu’en géréral, 250 à 400g de levain sont nécessaires pour obtenir un kilo de pain! Je vous conseille de suivre des recettes adaptées pour commencer, avec le temps vous apprendrez à connaître la force de votre levain, et vous saurez d’instinct adapter des recettes classiques et improviser la quantité de levain nécessaire!

Où trouver du levain?
Si vous ne connaissez personne qui en ait, vous pouvez tout simplement en demander à un boulanger qui fait du pain au levain, ils sont en général ravis! (Je remercie pour ma part Massimo Grazioli et Davide Longoni à Milan dont les specimen m’ont longtemps tenu compagnie!) Sinon, on en trouve dans certaines boutiques de produits bio, à vous de fureter! En Italie, il existe un super réseau de spacciatori (autoproclamés dealers de levain!) qui a un site: il vous suffit de repérer le membre le plus proche de chez vous, de le contacter et il se fera un plaisir de partager un peu de son protégé!

levain pour pain

Et enfin
En participant ou en animant différents workshops sur le pain au levain, j’ai souvent constaté que beaucoup de gens étaient effrayés par le coté « vivant » du levain… Peur d’être envahi, maniaque de l’aseptie? J’avais aimé les réponses apportées par Davide Longoni lors d’une présentation au mercato della terra: le levain se crée et survit justement grâce aux bactéries (de l’air, ainsi que celles naturellement présentes sur nos mains et dans notre cuisine), et mourrait dans un milieu aseptisé, tandis que son acidité élevée (avec un PH proche de 4) en fait un milieu peu propice au développement de moisissures. A une dame qui, encore sceptique d’un point de vue sanitaire, demandait comment « aider » le levain en formation, il avait répliqué « on peut aussi ajouter des fruits pourris à la préparation » (mon boulanger mon héros!)

Bon à savoir aussi, j’ai eu à un moment jusqu’à trois levains qui grandissaient contemporainement dans mon frigo (je ne vous raconte pas l’organisation pour le timing des rafraîchissements), sorte de famille recomposée faite de différents specimen de levain donnés par des gens qui comptaient. Le boulanger Massimo Grazioli, pour mettre fin à ma gentille névrose, m’a un jour assuré qu’avec le temps, tous finiraient par se ressembler étrangement, quelle que soit leur provenance, se délectant des mêmes bactéries dans le même environnement depuis longtemps, et que le seul intérêt d’entretenir un tel ballet de levées serait de diversidier les farines utilisées (un levain à la farine complète ne développant pas tout à fait les mêmes propriétés qu’un levain à la farine blanche par exemple). Je n’ai donc à ce jour plus qu’un seul levain chez moi, et c’est bien assez!

Des questions? Des points obscurs, besoin de précisions? Envie de me parler de votre levain, de son petit nom, de votre pain? N’hésitez-pas à me laisser un commentaire!