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(Ouais j’intitule mes articles avec des noms de tournée de Bob Dylan et alors?) Je vous ai laissés la dernière fois (l’année dernière est-ce possible?) sur un instant culturel un peu spleenétique à base de pauvreté, de lutte des classes et de villes grises de banlieue de l’est de la France (je suis la joie de vivre incarnée). Pour la rigolade on repassera et je comptais bien vous proposer un instant culturel plus joyeux par la suite, mais le temps a filé (pas de bol pour la gaieté) et nous voilà des mois plus tard avec une pile de livres à chroniquer haute comme ça. Du coup je vous mets tout en vrac, il y a du très bon et du moyen, du triste et du gai, de la BD, un peu de Truman Capote (ça faisait longtemps) et même un zeste de Britney Spears dedans !

Dani Shapiro – Héritage : Dani Shapiro est écrivain, née de parents juifs plutôt orthodoxes et notamment d’un père très respecté dans sa communauté, et élevée dans le culte de l’histoire familiale, grands parents immigrés polonais fondateurs de la dynastie en tête. Devenue mère, elle se fait fort à son tour de transmettre l’héritage culturel familial à son fils, jusqu’au jour où, à moitié pour rire, à moitié pour satisfaire les désirs de sa demi-sœur, elle se prête au jeu d’un test ADN et découvre que son père n’est pas son père, et qu’elle n’a génétiquement rien à voir avec ces ancêtres dont les portraits ornent ses murs.

Commence alors une (en)quête existentielle qui, si elle emprunte un peu trop aux talk-show américains à coups de révélations et d’approfondissements psychologiques, pose des questions intéressantes sur les mensonges et traditions familiales. Au-delà de l’histoire collective, forcément romancée, et pas forcément enjolivée, que se fait toute famille d’elle-même, comment chacun peut-il trouver sa place et sa vérité?

Elise Costa – Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears : Vous la connaissez peut-être comme chroniqueuse judiciaire pour Slate, et certains des procès qu’elle a suivi me hantent encore, des mois après en avoir lu le récit. Depuis l’année dernière, elle raconte aussi les coulisses de ces procès dans un passionnant podcast Arte (Fenêtre sur cour), mais même ses histoires de vacances sont fascinantes et peuvent prendre des airs de polar. Bref, quand j’ai su qu’en 2010 elle avait publié un docu-fiction sur Britney, je n’ai pas hésité. Ici pas de thriller dans l’air, mais un voyage aux US qui revisite l’itinéraire de la chanteuse pop de son ascension à sa disgrâce, puis vers sa rédemption médiatique. Ange déchu de la pop culture, elle est à la fois le symbole d’une certaine Amérique et d’une société qui passe du rire aux larmes, de la fascination au mépris.

C’est fin et bien mené, bourré d’anecdotes et de notes en bas de pages (ma passion) et même si je n’ai jamais été spécialement fan de Britney (même si on peut maintenant chantonner ses tubes incognito sous son masque au supermarché) ça a réussi  me passionner. Dix ans plus tard, c’est aussi intéressant de faire le parallèle avec d’autres icones plus contemporaines, déchues ou pas (ou pas encore), à la merci du jeu médiatique et du va-et-vient constant entre image et réalité, entre mythe et identité. 

Edouard Louis – Qui a tué mon père : Je vous disais récemment (bon ok, peut-être pas si récemment) combien j’avais aimé Histoire de la violence et En finir avec Eddy Bellegueule (d’ailleurs concernant ce dernier on ne peut pas dire que j’avais spoilé vu que j’avais fini par vous raconter une anecdote perso et finalement oublié de parler du bouquin) (vis ma vie de critique littéraire raté). Du coup j’étais très enthousiaste en commençant la lecture de Qui a tué mon père et je n’ai pas été déçue. Une fois encore, l’auteur puise dans sa vie personnelle et, au travers des souvenirs qu’il a de son père, analyse la part de déterminisme de son existence. Un contexte familial difficile, la pauvreté, l’usine, l’alcool, la misère intellectuelle, tout ce qui fait qu’un homme n’a pas toujours le choix, ou ne s’en donne pas le droit.

Pour l’anecdote, l’entourage du président Macron, directement interpellé à la fin du livre, aurait aimé cette lecture car elle prouverait selon lui que les barrières à l’ascension sociale sont psychologiques avant d’être réelles. (Selon son conseiller Bruno Roger-Petit « Ce dont souffrent les habitants des quartiers populaires, c’est l’assignation à résidence. Le père d’Édouard Louis est enfermé dans sa condition d’ouvrier, il n’est pas émancipé »). Ça a visiblement bien saoulé Edouard Louis (et moi donc Edouard, et moi donc…)

Truman Capote – Un été indien : Mais quand va-t-elle nous parler de Truman, vous demandez-vous? J’avoue que l’auteur n’a pas été si prolifique que ça, et que je commence à galérer un peu pour dénicher de quoi nourrir mon obsession. Mais du coup, bam, je vous en mets deux d’un coup (je ne suis pas à une contradiction près). Un été indien est un court récit étonnant qui navigue entre gentille histoire et fable cruelle. Voyez plutôt : Bobby est un petit garçon. Bobby déménage. Ses parents se sont décidés à quitter la ferme familiale pour permettre à leur fils d’aller à l’école, de découvrir le monde, de ne pas finir paysan comme eux. Bobby est content, mais Bobby est triste aussi, de laisser derrière lui ses grands-parents, l’enfance, le monde connu de toujours.

Derrière ce pitch à la petit ours brun, il y a une vraie déchirure, une nostalgie et toute la cruauté de la vie dite avec simplicité, sans jamais un mot de trop, un détail qui sonnerait faux. je regrette presque de l’avoir lu si vite, ce tout petit livre mériterait qu’on s’y attarde, savourez-le s’il vous passe entre les mains!

Truman Capote – Les chiens aboient : Celui-ci était introuvable, j’ai dû le commander et l’attendre (un vrai supplice). Il s’agit comme le sous-titre l’indique de « souvenirs, sites, silhouettes » (en VO public people and private spaces), soit de petites histoires tirées des mémoires de Capote que j’avais grand hâte de découvrir. Des anecdotes qui ont pour personnages un corbeau femelle nommée Lola, Colette et sa collection de presse-papiers, la respectabilité des habitants de Brooklyn ou encore le trompettiste Louis Amstrong qu’il a croisé en dansant des claquettes avant qu’il ne devienne célèbre.

On ne sait pas trop à qui sont destinés ces textes, quelle était leur finalité. Ça pourrait être des lettres, si tout n’y était si mesuré, si parfait. Des exercices peut-être, comme ceux que Capote s’imposait dans sa jeunesse en transcrivant les discussions d’inconnus pour apprendre à « rendre » des dialogues qui sonnent vrais? Capote les décrivait comme « une sorte d’atlas personnel, de géographie de [sa] vie d’écrivain », et précisait que, quoique leurs sujets fussent emprunté à la réalité, il ne s’agissait que de « la meilleure approximation possible [du réel] pour [lui] ».

Je crois que j’aurais aimé lire les listes de courses de Truman Capote, ses post-it sur le frigo, ses cartes postales et ses talons de chéquiers (si). Parce que si je m’apprête à commander une biographie qu’on m’a dit fameuse sur sa vie, quoique bonne qu’elle fusse, ce ne sera jamais aussi bien dit, aussi précis, aussi concis, que ce que Capote a pu écrire lui-même, fusse en trichant avec la réalité.

Page Tsou – Le cadeau : Un album jeunesse pour changer! « La veille de Noël, Xiong reçoit de son père un ticket de musée ». Visiblement, il n’a pas l’air convaincu au début, mais apprend au fil des pages à apprécier ce cadeau « ouvert » (à entendre comme dans « question ouverte », qui comporte une certaine liberté de ressenti et d’expression). Une fois sur place avec Xiong, on peut s’amuser simplement des découvertes de l’enfant, de son regard sur cet univers nouveau où tout est étonnant, ou bien s’interroger sur le rapport entre l’art exposé et son public, la façon d’appréhender l’art et de l’expliquer à un public non averti, ou encore la manière de laisser chacun élargir le champ de ses perception en suivant son imagination… Je me réjouis d’offrir ce livre à mes nièces, assorti dès que ce sera de nouveau possible de tickets d’entrée au musée !

Douglas Coupland – Toutes les familles sont psychotiques : J’avoue, au cœur de l’hiver et de la deuxième vague de Covid, quand mon père enchainait les séjours à l’hôpital sans aller vraiment mieux, j’ai tapé dans Google des requêtes comme « livres drôles » ou « livres pour se remonter le moral » (quand on n’a pas vu ses potes depuis des mois et qu’on refuse de s’abonner à Netflix on a le droit d’être pathétique ok?) Je n’ai pas vraiment trouvé mon bonheur dans les listes proposées (même s’il y avait Tom Sharpe et John Kennedy Toole dans le lot), mais ces recherches ont eu le mérite de faire remonter à la surface de mon cerveau l’existence de Douglas Coupland, l’auteur du délirant Génération A et du décapant La pire. Personne. Au monde., lu en 2015 au Lavomatic et dont le souvenir de certains passages me fait encore rire aujourd’hui.

En parcourant le site de mon libraire préféré (clic and collect power), ce titre Toutes les familles sont psychotiques m’a semblé prometteur, et j’avoue, j’ai ri. Peut-être pas autant qu’avec les autres livres cités plus haut (mais je partais d’un niveau de déprime majeur, il faut avouer) mais j’ai ri. Si vous croyez que vous avez une famille foutraque, attendez un peu de découvrir les Drummond. C’est simple, à part la fille Sarah qui est une sorte de surdouée et bosse à la NASA, ils sont tous complètement cons, et ont une propension à se mettre dans des situations qui dépasse l’entendement. Cerise sur le gâteau, ils se détestent tous cordialement, sauf Sarah qui a su maintenir avec l’ensemble des membres de sa famille dégénérée un semblant de lien cordial. Et justement, Sarah étant en passe de participer à une mission spatiale, sa famille au complet est invitée en Floride sur le site de lancement pour fêter l’évènement. Un rassemblement de calamités qu’on redoute et jubile d’observer au fil des pages…

Delphine Bertholon – Le soleil à mes pieds : J’ai lu ce livre dans le train et c’est peu dire que son souvenir a été fugace, j’ai été presque étonnée de le découvrir dans la pile des livres à chroniquer. Et c’est dommage parce qu’un bouquin qui doit son titre à des sandales dorées partait avec 3 points d’avance sur mon échelle de valeurs littéraires (critique en carton on a dit). C’est l’histoire de deux sœurs qu’une tragédie familiale a liées d’une relation hautement toxique. Devenues adultes, elles s’étouffent et se jalousent sans réussir à se séparer. Un pitch intéressant (on est pas là pour parler de nos relations avec nos frères et sœurs, y’a le psy pour ça, mais on est d’accord pour dire qu’il y a toujours un peu de ça?)

Le hic ? Avoir fait de l’une des sœur un ange souffre-douleur, de l’autre un démon sans cœur. Mythomane et tyrannique, l’ainée tient la plus jeune sous son joug, oie blanche sans autres défauts que celui de subir. Une vision manichéenne que la conclusion ne nuance pas assez à mon goût, et qui me donne l’impression, malgré le sujet pesant, de lire un livre pour enfants.

Virginia Woolf – L’art du roman : Je suis restée sur ce livre pendant des semaines, alternant heureusement avec d’autres lectures plus légères. Il rassemble des articles et des textes prononcés lors de conférences sur plus de vingt ans. Virginia Woolf y adopte tour à tour la posture de l’écrivain et de la lectrice pour parler de son rapport aux livres, à la critique, à la nouveauté littéraire. C’est plein de bon sens, parfois cinglant, on y découvre les auteurs qui l’ont inspirée, marqué leur temps, l’écriture collective et la façon dont on détermine qu’un roman ou un poème a de la valeur ou appartient à une école, une époque, un mouvement. Je ne sais pas pourquoi ma lecture a été poussive parce que c’est en soi passionnant, probablement parce que ces textes se « picorent » plus qu’ils ne se lisent à la chaine comme j’ai tenté de le faire!

L’admirable dernier texte du livre, La tour penchée, écrit un an avant la mort de Woolf, s’attache à la formation des écrivains, s’appuyant sur le constat que la littérature anglaise doit en grande partie sa production à des auteurs instruits issus de milieux aisés et cultivés. « La vie et les livres doivent être, comme une potion, agités et absorbés en justes proportions. » Elle soutient que le métier d’écrivain, non seulement s’apprend, mais encore que les auteurs en formation doivent bénéficier de conditions optimales pour s’épanouir : sécurité, accès à la culture, temps de loisirs, d’apprentissage et de voyages (coucou la commission Racine!). Et aussi que la situation privilégiée de la plupart des auteurs modernes (on parle de 1940) explique leur ambivalence politique : ils jouissent du système qu’ils dénoncent, et se dénoncent donc eux-mêmes, ce qui donne selon Woolf des écrits médiocres mais sincères. Et elle termine en espérant que l’après-guerre verra naitre un monde sans classes (perdu!), avec une langue plus riche et des bibliothèques publiques qui permettront à tous d’accéder à la culture.

« Ne restons pas, par timidité, à l’écart des rois parce que nous sommes des roturiers. […] Nous allons piétiner beaucoup de fleurs, abîmer beaucoup d’antique gazon. Mais rappelons-nous un conseil qu’un éminent victorien, qui était aussi un éminent amateur de marche à pied, donnait aux promeneurs : « Chaque fois que vous voyez un écriteau avec « Défense de passer », passez tout de suite.« 

Dorothy Parker – Comme une valse : C’est en feuilletant un vieux numéro de la revue Dim Dam Dom que j’ai découvert le personnage de Dorothy Parker. Autrice prolifique à l’humour caustique, elle a eu une intense vie mondaine, de probables ennemis et plusieurs maris. Le scénario d’Une étoile est née (1937), c’est elle, elle est l’auteur de nombreux articles, critiques de théâtre, des scénarios et poèmes, elle avait fondé la ligue antinazie et choisi Martin Luther King comme héritier, mais ce dont on se souvient surtout, c’est qu’elle est morte septuagénaire, seule à dans une chambre d’hôtel de Manhattan avec son chien et une bouteille d’alcool, comme s’il n’y avait pas plus tragique que de mourir saoule dans de jolis draps propres.

En tout cas, ça m’a donné envie de lire ses nouvelles, bien difficiles à trouver en français. Et bien m’en a pris! J’ai adoré les textes mordants réunis dans Comme une valse, avec une tendresse toute particulière pour La jolie permission qui relate les retrouvailles manquées d’une femme avec son mari en permission, Haute couture qui dépeint la vanité de l’engagement patriotique d’une bourgeoise « au grand cœur », Je ne vis que par tes visites et ses dialogues mère-fils plus vrais que nature, et enfin La période bleue, texte doux-amer sur la perspective de vieillir. Je me rends compte que j’ai envie de les citer tous, preuve que je les ai tous aimé, et rappel que je dois me mettre en quête d’autres de ses textes. Dites-moi si de votre côté il y en a que vous avez lus et aimés en particulier!

Romain Gary – Le sens de ma vie : On a toujours une bonne raison de lire Romain Gary. Ses romans, mais aussi les entretiens et interviews qu’il a pu donné au fil de sa carrière. J’avais lu il y a peu (hum hum le temps est une vue de l’esprit nan?) La nuit sera calme, entretien fictif orchestré par l’auteur, et j’ai été ravie d’apprendre qu’un autre entretien avait été publié, réel cette fois, accordé à Radio-Canada quelques mois avant son suicide. Si j’y ai retrouvé des anecdotes déjà connues, d’autres étaient pour moi inédites et, preuve que j’ai la mémoire courte (ou alors que je fais un inexplicable déni) j’ai redécouvert une nouvelle fois (et toujours avec le même étonnement!) que la mère de Gary, personnage si important dans sa vie et son œuvre, portait le même nom que mon chat. (Je vous rappelle que mon chat s’appelle Mina en référence à la chanteuse italienne Mina Anna Mazzini et pas du tout à Mina Owczynska la mère de Gary, pas consciemment en tout cas!) Mais passons, je tombe amoureuse de Gary à chaque fois que je le lis et je ne m’explique pas si c’est vraiment dû à ce qu’il raconte ou à cette façon si directe de s’exprimer, d’être si drôle ou si tragique sur le ton de la banalité.

« J’ai écris un deuxième livre qui s’appelait Geste d’amour, je l’ai envoyé chez mon éditeur actuel qui est Gallimard. J’ai été reçu la première fois par un monsieur qui a été fusillé depuis, je crois, pour collaboration, qui m’a dit :  » Jetez cela, prenez une maitresse et revenez dans dix ans », ce qui n’était pas une façon d’aider un jeune auteur. »

« La courte paille, c’est moi qui l’ai tirée et je fus chargé en quelque sorte de tuer ce malheureux capitaine. Nous sommes montés dans l’avion, il est monté dans l’avion avec nous, sous prétexte d’inspection, on l’avait invité. […] l’idée était de dire que l’on avait eu un ennui de moteur, qu’il avait paniqué et qu’il avait sauté, mais que son parachute ne s’était pas ouvert. […] on le tirait par les pieds pour essayer de le sortir de sa tourelle mitrailleur et ses bottes me sont restées dans les mains et j’ai vu les pieds un peu sales, des pieds humains, tout blancs, affreux, et je n’ai pas pu. »

Pierre Lemaitre – Miroir de nos peines : C’est ma mère qui m’a refilé ce livre un jour de pénurie de lecture, et je l’ai lu par petits bouts à chacune de mes visites chez mes parents ces derniers mois. Trop lourd pour avoir l’honneur de lester mon sac à dos, il est resté un moment sur la table près de mon petit lit d’enfant. On ne va pas se mentir, je ne l’aurais pas acheté de moi-même. Un livre sur la guerre et les secrets de famille, c’est un peu trop saga TV de l’été pour mon goût personnel. Et j’avoue que mon avis sur cette lecture est assez mitigée. D’un côté, j’ai trouvé que certaines scènes étaient vraiment réussies (les exercices et manœuvres militaires, l’exode, les scènes de prison aussi) et certains personnages vraiment chouettes (M. Jules, Désiré <3). De l’autre, beaucoup de clichés, de personnages féminins gnan gnan et de péripéties téléphonées… Une saga de l’été je vous disais! Avec des retrouvailles, des happy ends et des tout est bien qui finit bien (alors que la fin du livre se situe au début de l’occupation allemande seulement).

Et puis c’est quoi cette façon d’interpeller le lecteur dans l’épilogue quand on ne l’a pas fait pendant tout le roman? Et c’est quoi cette scène de sexe au ras des pâquerettes (la prochaine fois que je lis qu’une femme « s’empale » sur son mari je fais un autodafé). Je suis probablement injuste, mais j’ai très moyennement envie de lire Au revoir là-haut, le premier roman de la trilogie Les Enfants du désastre qui a pourtant reçu le prix Goncourt en 2013. Mais je veux bien accorder une deuxième chance à cet auteur et découvrir ses romans policiers; si vous en avez un en particulier à me conseiller dites-le moi!

Umberto Eco : Comment voyager avec un saumon : Voici justement un livre tiré des fameuses listes de « livres bons pour le moral »! Alors certes c’est amusant mais ne vous attendez pas non plus à hoqueter de rire. Umberto Eco a la blague intello et ce qui le fait marrer, ce sont les absurdités de la langue, la pataphysique et les bizarrerie sémiotiques. Le recueil rassemble des parodies et pastiches, des textes publiés dans L’Espresso et d’autres qui relèvent de la Cacopédie, discipline imaginaire traitant de savoir négatif. Néanmoins en replongeant dans la lecture de certains passages marqués de mes post-it compulsifs (un jour on parlera de cette manie mais pas aujourd’hui), je dois avouer qu’il y a des textes vraiment brillants. Mon préféré traite des îles Cayman où le tourisme « se fonde en grande partie sur la mythologie de la flibuste » et sur l’aura présupposé des pirates, occultant leur qualité de brutes avides pour ne retenir que leur gout de l’aventure et le joli tombé de leur chemises bouffantes. Les îles Cayman étant aujourd’hui un paradis fiscal, l’auteur imagine les divertissements touristiques de demain à base de banquiers véreux, de blanchisseurs d’argent sale et de fraudeurs du Fisc érigés en héros.

Quant à la Cacopédie, nous lui devons ces pétillants textes qui s’interrogent, au hasard, sur l’intérêt de réaliser des cartes du monde à échelle 1:1, ou d’ajouter comme critère de critique littéraire « les frais de fournitures engagés par l’auteur dans l’élaboration des expériences qu’il évoque »: un simple billet de train pour La modification de Butor, des frais de décorateurs exorbitants pour À rebours de Huysmans… On est clairement dans la blague d’intello, n’empêche, c’est rigolo…

Nicolas Jolivot – Baltique à pied d’île en île : Pour finir (Vous avez le droit de faire une pause vous savez. Ouvrez la fenêtre, buvez un café), je vous emmène en voyage. On a tous besoin d’un peu d’évasion en ce moment, et de grands projets (imaginaires ou pas) impliquant au hasard de grands espaces, un sac à dos et des pansements-gel contre les ampoules aux pieds. Quoi de mieux que ce carnet de voyage illustré sur fond de mer Baltique, du Nord de Allemagne à l’île suédoise d’Öland? On est en septembre, on suit le chemin côtier, on rencontre habitants et pécheurs, on mange des sardines à l’huile sous la tente (<3), on prend le ferry d’île en île, on mange des fruits au bord du chemin… « On » se perd parfois aussi, on a le mal de mer, on est à la merci du vent et de la pluie et on finit par donner un nom à son sac à dos faute de compagnons de route! Et puis il y a les dessins, prétexte à s’arrêter, à observer un peu mieux les détails, à tempérer l’avidité du marcheur…

J’ai beaucoup aimé ce mélange de paysages, d’anecdotes de bivouac, de curiosités locales et de rappels à la réalité: les plages et les musées ne suffisent pas pour découvrir un pays, et près des moutons et des falaises de terre rouge si esthétiques, au fond de la mer, pourrissent déchets toxiques et vestiges de la guerre.

Nous voilà rendus les amis, l’instant culturel touche à sa fin, enfinnnn!!! Et ça tombe bien, j’ai plusieurs en-cours qu’il aurait fallu ajouter si je les avais terminés entre-temps (entre autres Roberto Bolaño et Virginie Despentes oh yeah). Je note au passage que parmi les auteurs cités aujourd’hui, il y a 8 hommes et seulement 5 femmes, et qu’il va falloir rétablir la parité dans le prochain instant culturel! Donc si vous avez des livres écrits par des femmes que vous voulez me faire découvrir, c’est le moment!