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Et oui, c’est nouveau sur Completement flou, de petits entretiens milanais à thématiques variées… On commence avec Sara Pupillo, milanaise de coeur qui comme beaucoup ici multiplie les casquettes, ex-manager chez Sony Music, enseignante à l’accadémie du luxe de Milan, thérapiste shiatsu, ghost writer à ses heures et auteur de 3 livres à son nom: un sur le conseil en image, un sur le business de l’industrie musicale et, son dernier né, Chic low-cost, co-écrit avec la styliste Sabrina Beretta…

J’avais demandé à Sara de choisir notre lieu de rencontre, un endroit qui représente bien son lien à la ville et nous la fasse découvrir un peu mieux. Aussi, quand j’ai reçu son message « mets des chaussures confortables, on va faire un tour », je me suis pliée au jeu. Et c’est un véritable parcours qu’elle m’a en réalité concocté, entre curiosités et facettes du très contrasté quartier San Siro.

C’est tout en longeant le mur qui encercle l’hippodrome, que des tagueurs invités par la ville ont pu consteller de leurs oeuvres, qu’elle m’apprend que le musée du stade San Siro est le plus visité de la ville, et que les supporters se retrouvent par wagons sous ses fenêtres avant et après les matchs, d’abord accoudés à quelque murette, puis, pour certains, couchés dans le caniveau… N’ayant elle-même assisté qu’à deux matchs (lorsqu’elle était enfant, et il y a une dizaine d’années,), elle m’assène pourtant avec conviction: « c’est une expérience à vivre, tu dois absolument y aller au moins une fois ».

Sara pointe l’eclectisme du quartier, ici des maisons cossues, là des immeubles délabrés, le quartier bourgeois autour du lycée français et les prostituées le soir venu le long de l’avenue… Elle se rappelle ses jeunes années de baby-sitter, certaines de ses amies gardaient des enfants dans les villas du quartier: « certaines familles les obligeaient à se changer en entrant chez eux, pour qu’elles ne « contaminent » pas leur intérieur propret ».

Avec l’expo universelle de 2015 et l’arrivée du nouveau métro, le quartier devrait changer, mais comment? Pas seulement, on l’espère, en faisant monter en flèche les loyers… Parce qu’au delà des belles villas, le quartier est résolument pauvre. Immeubles décatis, façades à l’abandon et absence d’italiens dans les rues. La zone est quasi exclusivement peuplée d’étrangers arrivés du Sri-lanka, d’Equateur, de Chine, d’Afrique… et la non-mixité dans les immeubles et écoles ne favorise pas l’intégration. Trônant piazzale Segesta, un bâtiment récemment construit rappelle un cylindre géant de viande à kebab… Architecte taquin ou hasard de l’urbanisme? nul ne sait…

Heureusement, le quartier n’est pas dénué de charme, entre petits jardins et coursives arborées, et de belles initiatives naissent ici et là, comme ce cours d’italien pour étrangers fraîchement arrivés où Sara elle-même donne des cours chaque semaine, ou ce petit fleuriste-fruitier où l’on vous sert des fruits mixés sur un canapé fleuri, tout à coté d’une grand-mère venue là tricoter un lainage rose…

Romaine de naissance, tu vis à Milan depuis l’âge de 10 ans, qu’est ce qui te plait tant ici?

Mon quartier! J’y suis près de ma mère, mon oncle, mes neveux… et je peux aller leur rendre visite à pied, c’est un vrai luxe! Evidemment je pourrais habiter dans un autre quartier, mais ce ne serait pas pareil… Ici il y a un fort sentiment d’appartenance, à deux rues près tu n’es plus du quartier! Plus généralement, la ville a une échelle parfaite, suffisamment petite pour être traversée en une heure, suffisamment grande pour offrir une diversité importante. En comparaison, Rome est trop grande, plus chaotique, mal desservie et moins sûre; quant à Bologne où j’ai fait mes études, elle est plus jolie mais trop petite, et offre un panel réduit de divertissement comme d’opportunités professionnelles…

On dit souvent que les milanais sont fermés, qu’en penses-tu? Quant à moi, je n’avais jamais connu de personnes qui dénigraient autant leur propre ville, comment tu expliques ça?

Les milanais sont comme partout, ni plus fermés ni plus antipathiques que les autres italiens, tout dépend à qui tu as affaire… L’habitude de dénigrer sa propre ville, ça par contre, c’est typiquement italien! Les gens ici voyagent peu en Italie (sauf là où ils ont de la famille), ça ne leur semble pas assez spectaculaire, ils préférent aller à Cuba, en Australie ou autres pays lointains, ça leur semble plus remarquable, ils ont l’impression d’avoir du sensationnel à raconter, plus que si ils étaient allés à Turin ou Pompei… Ce qui est dans le détail, dans le quotidien leur semble banal, sans intérêt, pas assez tape-à-l’oeil, d’où l’habitude de se plaindre et de déprécier l’endroit où ils vivent…

Et toi, irais-tu vivre ailleurs?

Ailleurs? En Italie non, probablement pas, et dans le monde, peut-être à Manhattan à New-York, qui donne aussi cette idée de village dans la ville, d’une vie de quartier plus riche et d’une échelle des choses plus humaine, bien qu’au coeur d’une ville immense…

Un endroit que tu aimes particulièrement à Milan?

J’adore les alentours de Bovisa à l’heure du déjeûner! L’effervescence des étudiants dans un quartier qui est resté populaire, qui a été préservé malgré l’arrivée récente des structures universitaires et du musée de la Triennale… Pas comme Isola ou les Navigli qui ont souffert de devenir à la mode, et ont perdu en charme ce qu’ils gagnaient en notoriété… Bovisa est un quartier vivant, avec une ambiance provinciale, de vieilles trattorie qui cotoient les bars à étudiants, avec du monde dans les rues et des aspirants architectes qui trimballent des maquettes à toute heure… En plus, le quartier a beau être excentré, c’est facile d’y aller en métro. On peut aussi passer par Villapizzone, encore plus pittoresque, où vit une communauté dans une sorte de ferme, dans laquelle tous peuvent entrer librement… Dépaysement garanti à 20 minutes du centre!

Ps1: ceux d’entre vous qui lisent l’italien peuvent aussi jeter un coup d’oeil au blog temporaire de Sara visant à se débarasser du superflu en jetant au moins une chose par jour!

Ps2: A tester, les smoothies carotte-pomme-gingembre d’Adélaide (via Albertinelli 9) et la préparation pour pasta caccio e pepe de l’épicerie de l’Agropontino (via Dolci 38)!