Vous aimez les affaires criminelles, suivre les grands procès dans la presse, vous vous passionnez pour des podcast comme Fenêtre sur cour d’Elise Costa ou des émissions comme Faites entrer l’accusé? Alors vous vous êtes surement déjà demandé ce que ça fait d’être tiré au sort pour être juré d’assises et de participer au verdict. Je n’ai pas cette passion morbide (un jour j’ai jeté un froid dans une discussion au restaurant en disant que les gens qui se passionnent pour les affaires sordides ont sans doute un grain), mais il m’arrive de suivre certaines affaires et j’avoue, moi aussi, m’être déjà posé la question du jury d’assises. Et si j’en crois le public qui s’est pressé le 2 avril à la rencontre de Clémentine Thiebault dans le cadre du festival Quais du Polar, nous sommes nombreux!
Dans son livre, En votre intime conviction, cette journaliste raconte son expérience de jurée d’assises et relate comment, de la réception du courrier officiel du parquet à la délibération, un citoyen prend une part active dans la justice et peut être amené à changer le cours de la vie d’autrui. S’extraire de son quotidien pour plonger dans les méandres d’une affaire criminelle, ça a certes l’air passionnant, mais c’est aussi très compliqué émotionnellement! En premier lieu, en raison du type même d’affaires jugées par ce biais; dans le cas de Clémentine Thiebault, un meurtre en bande organisée, soit le procès en appel de trois hommes qui ont piégé leur victime dans un garage pour la tuer à mains nues.
Pour en parler, l’autrice était donc au Tribunal judiciaire de Lyon pour une rencontre organisée par le festival Quais du Polar, avec également Mr Éric Chalbos, président de chambre à la cour d’appel de Lyon et responsable du service en charge des Assises, et Maitre Frédéric Doyez, avocat au barreau de Lyon. Je vous raconte?
Pour commencer, rappelons comment on constitue un jury. Pour chaque session, 35 jurés et 10 suppléants sont tirés au sort. Éric Chalbos rappelle que les modes de désignation ont changé avec le temps, et qu’on est passé de jurys d’hommes choisis parmi les notables locaux à des jurys plus représentatifs, tirés au sort chez les citoyens de plus de 23 ans, inscrits sur les listes électorales et sachant lire et écrire. Pour vous donner une idée, dans le Rhône 35 000 personnes sont éligibles. Une fois tirés au sort, un tri est effectué: on élimine ceux qui ont déménagé entre temps, ceux qui ont un casier judiciaire, ceux qui ont une dispense (pour raisons de santé par exemple, ou encore en raison de leur profession, les policiers et gendarmes en activité étant par exemple exclus) etc. Ensuite, la défense et le ministère public peuvent aussi récuser 5 jurés, qui sont alors remplacés.
Si on peut être juré plusieurs fois (avec tout de même un intervalle de 5 ans minimum), les chances d’être tiré au sort sont minces. A mon échelle, je ne connais personne qui en ait fait l’expérience, de près ou de loin. C’est sans doute ce qui alimente le fantasme autour de cette éventualité que certains (du moins dans l’assistance) semblent attendre avec ferveur. Mais est-ce vraiment une chance d’être juré ? Pour répondre à cette question, revenons à Clémentine Thiebault. Elle raconte qu’en recevant un courrier à l’en-tête du tribunal, elle s’est tout d’abord demandé de quelle infraction elle s’était rendue coupable. Quand elle découvre qu’elle a été tirée au sort pour siéger dans le jury de la Cour d’appel d’Aix en Provence, elle est donc dans un premier temps soulagée. Journaliste, amatrice de polars, elle est plutôt enthousiaste de faire cette expérience. Quand elle est découvre sur quelles affaires elle est susceptible d’être consultée, l’inquiétude reprend néanmoins le dessus. Braquage, meurtre en bande organisée avec guet-apens… On parle ici d’affaires criminelles graves, de faits réels. Il n’est plus question de « frissonner pour rire » devant un feuilleton à la télévision.
Même si j’ai regretté que la modératrice ne donne pas plus la parole à l’autrice pour se concentrer sur les avis des experts du domaine judiciaire, la présence d’un avocat et d’un magistrat était vraiment intéressante. Notamment pour tordre le cou à certaines idées reçues sur la justice. Sur la récusation de jurés par exemple, Maitre Frédéric Doyez rappelle que s’il existe des critères objectifs – les femmes sont souvent récusées quand ce sont des affaires de violences contre des femmes ou des enfants qui sont jugées – d’autres critères sont plus aléatoires. Des jurés, les avocats ne connaissent que le nom, la date de naissance et la profession. Certains avocats récusent systématiquement le premier tiré au sort, d’autres font le choix de récuser un juré au moment où il s’apprête à s’asseoir… Il s’agit parfois de faire impression, d’empêcher des connivences… Lui-même confie éliminer volontiers ceux qui mâchent un chewing-gum ou se présentent en tongs au tribunal, et il se murmure dans les couloirs que les tribunaux n’aimeraient pas les profs, dotés d’une capacité d’écoute moindre… L’idéal reste un jury équilibré, avec des âges et des origines sociales variés.
Aux questions de la modératrice sur la préparation des accusés et la part de « mise en scène » dans leur attitude ou leur témoignage, l’avocat précise que son rôle à lui est d’être « à côté des clients, pas nécessairement de leur côté ». S’il peut conseiller une attitude ou orienter la défense pour tempérer une personnalité ou expliquer un passage à l’acte, il n’a pas le contrôle de son client ni de ses réactions au tribunal. « Une défense, c’est un peu une cuisine des restes, on ne choisit pas les faits. » ironise-t-il. Son rôle est également différent selon que l’accusé plaide coupable ou innocent. Maitre Doyez insiste: « Certains s’obstinent à plaider innocent alors que leur dossier est accablant. Mais quand on chausse du 38, on ne prend pas du 37 ». Certains se montrent insolent devant le juge, d’autres pleurent… « Bien sûr on essaye de se préparer pour que ça se passe bien, mais ne nous prêtez pas la responsabilité des rires et des pleurs de l’accusé! ». Il rappelle que les témoignages permettent surtout de passer d’un dossier écrit (que les jurés ne voient pas) à une oralité plus incarnée. Le magistrat Éric Chalbos confirme que dans tous les cas, les preuves comptent plus que le « capital sympathie » de l’accusé. De même que dans son plaidoyer, l’avocat ne cherche pas uniquement à convoquer l’émotion chez les jurés, mais reprend les éléments du dossier. Chaque cas est unique, il n’y a pas de formule magique pour attendrir les jurés et gagner ! Mais comme c’est à l’accusation de démontrer la culpabilité de l’accusé, il suffit parfois d’instiller le doute…
Comment, de citoyen lambda impréparé, devient-ton juré? Comment se prépare-ton pour faire son devoir au mieux? Éric Chalbos est formel, rien que les lieux d’un jugement sont impressionnants, sans parler de la tâche qui est demandée aux jurés. Les journées sont longues, l’enjeu est important, il y a beaucoup de tension et les affaires sont parfois complexes et/ou sordides. Pour s’y préparer, chacun reçoit un fascicule de 24 pages et une réunion d’information est organisée pour bien comprendre ce qu’on attend de lui. Tirer au sort des jurés inscrits sur les listes électorales est une garantie d’avoir affaire à des individus qui adhérent aux règles démocratiques et au fonctionnement de la justice. Souvent, un vrai sentiment de groupe émerge, même avec des jurés très différents, et chacun prend son rôle au sérieux. Le magistrat Éric Chalbos rappelle que « dans tous les cas, les décisions sont prises à la majorité. Le jury aboutit à une peine médiane, donc l’influence individuelle d’un juré est relative et on aboutit rarement à des verdicts ou des peines aberrants. »
Maitre Frédéric Doyez est non seulement avocat, mais il a aussi été juré 2 fois. Il assure que ça a modifié sa vision des choses et remis en cause certains préjugés qu’il pouvait avoir auparavant. Pour lui, la position du juré est vraiment particulière : il a une vue panoramique sur le tribunal et, contrairement à l’avocat qui est concentré sur son client ou sur la personne interrogée, il voit à la fois l’accusé et la victime, les réactions des personnes de l’assistance ou des témoins.
Concrètement, est ce que c’est difficile de remplir son rôle de juré? La difficulté de la tâche dépend de multiples facteurs, dont la sensibilité personnelle et les caractéristiques de l’affaire jugée. Mais les jurés sont accompagnés et leur tâche est claire: être attentif, impartial, prendre des notes, éviter de montrer ses émotions ou son agacement. Éric Chalbos est formel, rester neutre lors de récits violents est sans doute le plus difficile. Dans certaines circonscriptions, un psychologue voit les jurés avant et après la session pour échanger sur leur ressenti.
Avant même le procès à proprement parler, la récusation peut être éprouvante, cela ressemble parfois à un délit de faciès et on peut être déçu de se voir exclu du processus après s’y être préparé. Pendant le procès, les jurés subissent parfois des pressions et peuvent être exposés à des scènes violentes. Clémentine Thiebault explique comment, à l’énoncé du verdict lors du procès durant lequel elle était jurée, le condamné a brisé la vitre de son box, essayé d’étrangler un des prévenus et littéralement fait voler une personne dans la salle. Éric Chalbos confie lui-aussi redouter parfois ce moment du verdict, pour avoir vu un accusé sortir une lame de rasoir de sa chaussette et se tailler les veines en plein tribunal. Parfois, précise-t-il, la violence n’est pas dans le box de l’accusé mais dans la salle où l’on peut entendre injures et menaces.
Enfin, les journées au tribunal sont longues, les séances peuvent finir tard et la tension nerveuse est très fatigante. Le magistrat Éric Chalbos illustre parfois ses propos d’exemples sciemment choisis parmi les plus sordides. Pour moi, il s’agit de ramener à la réalité les membres de l’assistance un peu trop motivés par l’idée d’être jurés « comme dans les films ». C’est un devoir certes, mais ça demande aussi de se confronter à des cas très durs, d’entendre des témoignages de victimes, des comptes-rendus détaillés. C’est nécessaire certes, mais aussi violent et dérangeant.
Au tribunal, concrètement, comment ça se passe? À moins d’y avoir été confronté, on ne sait finalement que peu de chose du déroulement d’un procès. On a souvent en tête des scènes de films, de films américains qui plus est, mais qu’en est-t-il en réalité? Pour ma part, mes seules interactions avec la justice jusqu’à aujourd’hui ont été la visite du tribunal de Milan pendant les journées du patrimoine en 2013 et le procès en appel en décembre 2019 de deux militants écologistes « décrocheurs de portraits de Macron » au Palais de justice des 24 colonnes à Lyon auquel j’ai assisté en guise de soutien. En termes de criminalité et de grand banditisme, on repassera.
Éric Chalbos rappelle donc le programme, variable selon les cas et la disponibilités des experts et témoins: on entend pour commencer le directeur d’enquête, puis les témoins de moralité, l’accusé, ses proches, les experts de personnalité (psy etc.), les témoins visuels, puis les experts (en balistique, génétique etc.). Le magistrat explique: « On examine la personnalité de l’accusé avant d’examiner les faits. On commence par établir un échange, sans entrer immédiatement dans le dur. Ce n’est pas forcément la procédure habituelle mais je préfère aussi que les experts parlent après l’accusé, qu’ils entendent le témoignage de ce dernier avant de s’exprimer. » Et de rappeler que les procès d’assises sont ouverts au public (sauf en cas de huis clos) à condition de ne pas perturber l’audience et de ne prendre ni photos ni vidéo (on peut néanmoins prendre des notes). Concernant la Cour d’Assises du Rhône, toutes les infos sont là.
L’autrice Clémentine Thiebault évoque le procès auquel elle a assisté comme une sorte de puzzle, de paysage qu’on découvre peu à peu. « Au début, on a l’impression de prendre une série en cours ». Beaucoup d’informations à assimiler, de notes à prendre, des témoignages d’enquêteurs très techniques… Dans le procès auquel elle a participé, le fait d’avoir affaire à plusieurs accusés a aussi complexifié les choses. Mais « avec les témoignages des proches, l’affaire commence à s’incarner. Ça devient plus humain, les choses se mettent en place et on peut avoir une vision d’ensemble ». Néanmoins, elle rappelle que des zones d’ombre ont persisté « on jugeait un meurtre mais il n’y avait pas de corps ». Pour elle, l’intime conviction à laquelle un juré est sensé arriver reste un oxymore: « On demande de n’écouter que les faits, de faire preuve de probité, de n’écouter ni la peur, ni l’empathie, mais on doit parvenir à l’intime conviction qui a forcément une part de subjectivité ».
Éric Chalbos renchérit: « À moins que la scène du crime ne soit filmée, tout n’est qu’échafaudage des scénarios les plus plausibles possibles. Et même quand on a une vidéo, on peut s’interroger sur ce qui s’est passé avant le crime ». Parvenir à se faire une idée demande de la patience, chaque témoignage, chaque journée de procès apporte sa part et il faut se méfier des premières impressions. « Dans l’affaire que j’ai jugée, se souvient Clémentine Thiebault, certains témoignages à décharge ont été contreproductifs pour l’accusé. On sentait que les ex-compagnes, sensées défendre l’accusé, en avaient peur. Même si ce sentiment était sans rapport avec ce qu’on jugeait, ça aidait à se faire une idée. »
Là où j’imaginait que l’auditoire serait curieux de l’expérience de l’autrice, les questions du public à la fin de la rencontre portent surtout sur le fonctionnement théorique de la justice. Quid du projet de cour criminelle départementale? Les audiences y seront-elles publiques? On voit qu’on a affaire à des experts, j’ignorais pour ma part les évolutions envisagées par le système judiciaire! Aurais-je été, pendant cette rencontre, entourée à 100% de ces « gens qui ont un grain » dont je parlais en début de billet? En fais-je partie désormais?
Je ne peux que repenser ici au livre autobiographique de Simenon, Les trois crimes de mes amis, où le fameux romancier confesse que trois personnes, proches de lui dans sa jeunesse, sont devenus par la suite des criminels, tandis que lui choisissait la voie de la fiction et du crime littéraire. Et de s’interroger sur cette « coïncidence »… ces personnes portaient-elles en elles le germe du crime qui aurait inspiré Simenon? Se passionner pour le crime et être un criminel ne sont-ce que deux faces d’une même pièce? Et plus intéressant encore, sommes nous tous des criminels potentiels?
Ps: Pour illustrer cet article, M. qui m’accompagnait nous a fait de jolis dessins façon croquis d’audience!
j’ai reçu le même courrier mais je n’ai pas été appelée (ouf car c’était l’année du procès pour Laetitia) du coup, je m’étais renseignée. Pour info, j’avais vu un excellent documentaire sur la 3 qui suivait un groupe de jurés, leur « formation » etc. On assistait quand même à pas mal de choses. J’ignore si on peut le trouver sur la toile
Avec le recul, je me dis que c’est une chance de ne pas être choisi. Et l’absence de corps, je sais que des jurés témoignent souvent que les photos et les descriptions de l’autopsie sont la partie souvent la plus difficile, donc quelque part elle a échappé à ça …