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Tout avait commencé ici, avec une recette de pâtes et une proposition, celle d’un concours sur l’art et la manière de faire, raconter, transmettre le goût des pâtes, celles dont les italiens sont si fiers, sans lesquelles un repas ici est souvent incomplet, celles dont certains prétendent qu’une privation d’à peine quelques jours leur fait girare la testa… Une poignée de jours plus tard, les propositions affluaient, tantot appétissantes, tantot émouvantes…Voici venu le moment tant attendu (je sais, j’avais dit ce week-end… mais vous auriez resisté vous, franchement, à la perspective d’un week-end au lac?) des résultats du pasta concours… il faut dire aussi que mon jury n’a pas été beaucoup plus rapide que moi à faire son choix, entre le mec qui dit qu’il peut pas juger s’il ne goute pas, et qui nous fait une crise d’asthme au moment des délibérations, et Sophia occupée à nous dégotter au détour d’une épicerie un cuisinier indien voulant bien nous transmettre quelques rudiments culinaires de sa spécialité…

Et puis, il faut dire aussi qu’il ne fut pas facile de choisir (j’emploie le subjonctif pour la circonstance, ça fait plus dramatique) et de déterminer un gagnant… du coup on voulait faire gagner deux personnes… puis trois… puis tous… on aurait construit un podium géant, et tout le monde serait venu en Italie pour faire une pasta géante (chez toi So, évidemment, chez moi y’a pas assez de place…), les participantes, leurs testeurs personnels, mari, enfants etc, leurs muses, grands-mères, fiancés, que sais-je encore… et on aurait invité Jamie (si si) pour s’extasier devant ses tagliatelles au fromage…

Mais comme ça semblait un peu compliqué et ruineux, on s’est dit qu’on allait choisir deux gagnantes seulement, pour que les autres aient la rage et nous présentent la prochaine fois des plats de pasta encore plus chouettes, avec encore plus de passion, encore plus de pétrissage, encore plus de sauce (et de gentillesse dans la sauce!)

Un grand merci encore à toutes celles qui se sont prétées au jeu et ont mitonné recettes et histoires de pâtes, avec une mention spéciale à celles qui se sont lancées pour la première fois dans la pasta maison, et à celles qui ont confié souvenirs et émotions pastificielle (si si) (c’est fou le nombre de mots français que l’on peut faire dériver de pasta)…

Nous avons, de concert (et en fanfare) octroyé la victoire à Brigitte et sa recette « Les raviolis de Mamie Marie », un très joli texte qui donne faim et surtout, envie de passer des journées entières à faire des pâtes… si ça ne mérite pas de passer en tête du pasta concours ça! …à ex aequo avec Sophie de lasoupeaucaillou pour sa recette d’agnolotti poelés, farcis au lieu noir et houmous de petits pois, un véritable chef d’oeuvre, sans doute bien éphémère… c’est beau, ça donne faim comme c’est pas permis, ça me donne envie de me lancer illico dans la fabrication des ravioli, et c’est fatto a mano comme chez les vrais de vrai! Une victoire amplement méritée pour ces deux ambassadrices de la pasta, qui je pense ne manquerons pas de donner envie aux plus timoré(e)s de se lancer!

Les deux gagnantes recevront sous peu (envoyez-moi vos adresses postales par mail les filles) un paquet fleurant bon l’Italie (non, il ne s’agit pas d’un bouquet de basilic) et la pasta bien sur… (je ne vous en dit pas plus, sachez juste qu’il y a pour sûr un rouleau à troccoli pour chacune… histoire que vous ne perdiez pas la main d’ici le prochain concours…)

Encore une fois merci à tous, et tenez-vous prêt(e)s, le pasta concours reviendra!

Je finis sur le texte de Brigitte, lisez-le, relisez-le, il en vaut la peine!

« Il y a des mots magiques dans chaque famille…Parmi ceux-ci, sourires de connivence et petite pointe au coeur, figurent “les raviolis de Mamie Marie”. Quand on les évoque, des soupirs nous échappent, les souvenirs affluent et remontent…ceux faits pour Noël, ceux bricolés au camping au retour de notre voyage de noces (“j’en avais mangé 67!!” “Mais où tu mets tout ça?!”), et ceux que l’on fait maintenant, si proches de La recette, de Sa recette, mais à qui il manque ce je-ne-sais –quoi indéfinissable de virtuosité… La confection des raviolis a toujours été une entreprise familiale, une fête sur 2 jours avec la promesse d’un repas sublime à chaque fois..

D’abord la pâte… Foin du pétrisseur   ou du Kitchen-Aid (de toute façon, on n’en avait pas..).La veille, Mamie enfilait son grand tablier de toile bleue, celui reservé aux grands plats, callos, couscous ou canard aux olives; après l’avoir ajusté d’un petit noeud sur son ventre, les choses sérieuses commençaient…. La toile cirée recevait la farine (100 grammes pour 1 oeuf), la pincée de sel, puis la main creusait le puits où s’étalaient mollement les oeufs. D’une main ferme, le tout était prestement aggloméré et le pétrissage commençait… Poignet souple, cliquetis des bracelets, mouvements tournants pour ramener la farine du bord, corps penché rythmiquement en avant pour accompagner l’écrasement du gras de la paume afin d’ étirer le pâton. Nous étions tous là, 4 générations regroupées autour de la table pour admirer la dextérité et reprendre la main quand Mamie commençait à se fatiguer et que la pâte “en voulait encore”… Chacun, du plus jeune au plus vieux  , prenait son tour pour pouvoir dire ensuite fièrement:“ moi aussi, j’ai aidé”.
Quand la marque du doigt enfoncé “remontait” doucement, Mamie disait un “Ça y est” péremptoire et la pâte allait se reposer dans un grand saladier recouvert d’un torchon.

Pendant ce temps-là glougloutait sur le coin de la cuisinière une sauce merveilleuse qui embaumait la maison, le jardín, et, ne soyons pas modestes, la rue toute entière… Cette sauce, chez nous, c’est une marque de famille, un modèle déposé, une merveille inimitable. Mais là, nous ne mettions pas la main: seule Mamie était à la manoeuvre.

Elle avait préparé le matin des “alouettes sans tête”: curieux nom pour une préparation où les oiseaux n’avaient aucune place. Elle avait étalé avec un marteau des pièces de viande de boeuf (tende de tranche) pour en augmenter la finesse et la surface. Elle y plaçait de l’oeuf dur, des petits cubes de saucisson, de l’ail coupé,du persil haché, un souffle de noix de muscade, sel et poivre et roulait le tout en forme de saucisson qu’elle ficelait solidement.

Sur un feu toujours fort, elle faisait revenir dans l’huile des gousses d’ail dans leur peau, puis les alouettes qu’elle retirait une fois dorées de toutes parts, des oignons finement hachés. Elle versait ensuite du concentré de tomates qu’elle faisait littéralement caraméliser, jusqu’à obtenir une mixture foncée. À ce moment-là seulement, elle ajoutait l’eau, mesurée à même la boîte de conserve: 2 mesures  d’eau pour 1 de concentré  . Alors, à ce qu’il semblait au jugé et en fait avec le coup d’oeil de l’expert, elle ajoutait morceaux de sucre, feuille de laurier, sel, poivre et basilic. Les alouettes rejoignaient enfin la sauce. Puis le temps et la puissance du feu, modulée en fonction de l’avancement de la cuisson, faisaient leur oeuvre…

La farce attendait sagement dans le frigo, mélange de chair de boeuf, feuilles d’épinards, oeufs, mie de pain mouillée et pressée, ail et persil , sel, poivre et noix de muscade.

Tout était prêt pour l’assemblage: les petits étaient chargés, une fois vérifiée la propreté de leurs mains, de confectionner de minuscules boulettes de farce, tâche bien plus amusante que la pâte à modeler et autrement plus valorisante. Il fallait voir les petits doigts potelés rouler sur les paumes grassouillettes, les fronts plissés par la responsabilité et la langue pointant aux commissures sous l’effort…

Mamie prélevait un morceau de pâte, pendant que le reste restait couvert sous un linge humide, empoignait le rouleau en bois et aplatissait le pâton jusqu’à en obtenir une abaisse presque transparente. Elle s’emparait alors de son emporte-pièce fétiche, découpé dans une boîte d’un quart de concentré de tomates; Papa en avait limé les bords ébréchés par l’ouvre-boîte et le rond avait ainsi acquis la quasi-immortalité des ustensiles de cuisine. Mamie imprimait d’un coup de poignet ferme un cercle net, passait sur le pourtour un doigt humidifié dans un bol d’eau, posait la boulette de farce au centre et refermait le ravioli en imprimant le pouce et l’index sur les bords.
Pour nous tous, c’était le coup d’envoi du travail en équipe. Il s’agissait de faire vite: la pâte ne devait pas sécher avant d’être remplie et façonnée. Aucune chute n’était perdue: Mamie l’agglomérait au nouveau morceau de pâte fraîche.

Nous avions préparé de grandes planches recouvertes de torchons propres et farinés pour accueillir  les raviolis mis à sécher toute la nuit, tout en les retournant régulièrement. Qui d’entre nous ne se souvient de leur parfum si particulier avec cette touche suave de farce crue et de farine séchée? Nous les avions longuement comptés, en lignes et en rangées, bonne occasion de vérifier les tables de multiplication. Il nous est arrivé de faire des plaques de 700 raviolis pour des Noëls hors-norme!!!!
Et pendant ce temps-là, la sauce mijotait…Nous soulevions le couvercle et nous remplissions les narines de vapeur odorante avec un air béat de contentement…

Le lendemain, vers les 10 heures (il fallait bien ça puisque chez nous, on se met à table à midi tapantes), la grosse marmite était sortie du fond du placard, cabossée par les ans mais reluisante des grattages au Tampon Jex. Remplie d’eau, d’une poignée de sel et d’une bonne rasade d’huile, elle était portée avec difficulté sur le feu. Les raviolis quittaient leur planche après avoir été débarrassés de leur excédent de farine et plongeaient dans l’eau bouillante. L’eau devenait laiteuse et laissait affleurer de temps en temps un ravioli qui semblait crier au secours dans le bouillonnement, martyr de notre gourmandise…

Mamie en prélevait un avec sa cuiller en bois, en mordillait le bord épais pour vérifier la cuisson  et nous attendions le mot magique: “c’est bon”…
Impossible de soulever la marmite! Alors, avec l’écumoire secouée délicatement au dessus de l’eau bouillante, commençait la pêche miraculeuse… Les raviolis, grossis par la cuisson, rejoignaient avec un bruit mou leurs compagnons d’infortune dans le plat de service: une couche de raviolis, une louche de sauce tomate, un coup de moulinette de fromage râpé, et ainsi de suite…Les alouettes étaient déficelées, coupées en rondelles et présentées dans une assiette à part, laissant découvrir le blanc et le jaune de l’oeuf enroulés en escargot.

Quand le plat arrivait sur la table, nous étions fin prêts, serviette nouée autour du cou pour éviter les tâches. En admiration devant les fils de fromage qui s’étiraient autour de la cuillère de service, chacun était attentif devant son assiette qui se remplissait.

La première bouchée confinait à cette extase particulière qui survient quand nos papilles n’arrivent plus à embrasser tout le plaisir de la bouche. Ensuite, s’affinait la dégustation: aspiration de la sauce sucrée-salée sans aucune pointe d’acidité, mordillement des bords du ravioli pour en apprécier le point de cuisson et la finesse de la pâte, écrasement de la farce contre le palais et explosion des épinards  et de la chair mêlés.
Éclats de rire  devant l’étonnement du nouveau convive à qui Mamie avait reservé le ravioli farci d’une boule de coton qu’elle avait subrepticement glissé dans son assiette…
Papa déclarait ” Mamie, vous êtes une championne!!” et nous ouvrions enfin le ban en hommage à la cuisinière, mains vibrantes frappées à l’unisson pour marquer le suprême bonheur d’une entreprise familiale à but dégustatif. »