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Vous le savez parce que tous les ans au moins je vous le dit: j’aime les voyages en train. J’aime l’éxiguité où l’on se cale pour lire, le crochet où la veste ne tient jamais, la lenteur des convois régionaux où l’on croise encore parfois de ces wagons à compartiments où disputer l’accoudoir à son voisin, j’aime les arrivées en gare, leurs sonorités, leurs sièges en plastique trop peu nombreux et la voix de la dame qui dit de ne pas dépasser la ligne jaune ou de s’écarter de la voie au passage d’un convoi.

J’aimais quand on pouvait y fumer que les cigarettes y ait un goût particulier, moquette et atmosphère poussièreuse mélées, j’aime l’ambiance qui se crée entre l’écran de la vitre et les sièges criards, le jeu entre le dehors et les reflets, les gouttes qui défilent en même temps que le paysage quand il pleut et le soleil qui exalte les moustiques pris dans le double vitrage en même temps que l’or des blés.

on board

Par dessus tout, j’aime l’horizon qui défile, haché par la régularité des poteaux de la ligne de chemin de fer, les scènes surprises et aussitôt enfuies et qu’on doute d’avoir bien saisies, cette vision en arc qui commence là où finit la vitre, s’accroche à un détail et le suit tant que le permettent la vitesse et les plis du rideau bleu, instants fugitifs qu’on peine à situer sur une carte ou à décrire vraiment, et qui s’inscrivent comme autant de scènes furtives d’un petit théatre dans le regard du voyageur désoeuvré.

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Après un laïus pareil, vous n’aurez aucun mal à comprendre pourquoi « On board », l’ouvrage de Jérôme Brézillon qui regroupe les photographies de sa traversée des Etats-Unis en train, m’a séduite. Ses clichés rendent parfaitement l’ambivalence du parcours, cette impression de grands espaces confrontés à l’exiguité de là d’où on les aperçoit, ce mouvement ressenti quand on est soi-même immobile et cette envie soudaine de descendre, de prendre cette route entrevue, ce chemin de terre qui semble n’attendre que nos pieds nus…

J’aime l’ennui de certaines photographies, le flou des contours, les paysages banals, et soudain cette illumination, ces gens qui saluent, cette scène insolite comme un réveil de la conscience endormie. J’aime bien l’incongruité de certaines images: c’est quoi cette auto perdue dans la neige? ce terrain vague vu d’en haut? et qui sont ces gens qui s’embrassent au passage à niveau?

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Le regard de Jérome Brézillon ne cherche pourtant pas le sensationnel, l’étonnant. Au juste, il dit lui-même ne pas savoir ce qu’il cherche. Peut-on avoir en montant dans un train d’autres certitudes que celle de sa destination? Les photos sont entrecoupées de remarques, envoyées par mail aux étapes; on y lit la fatigue, la quête entre interrogations et certitudes, des portraits d’inconnus croisés, et toute la justesse du propos est sans doute contenue dans ces mots: « je me souviens surtout des photos que je n’ai pas prises, mauvais côté, pas prêt. » Ceci est un livre de voyage, à s’offrir comme on achéterait un billet…

On board – Jérome Brézillon – aux éditions Textuel