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Ils font partie de la ville au même titre que le bruit strident des trams et la cohue aux alentours du Duomo le samedi après-midi, silhouettes anonymes qui se déhanchent et font la ronde aux premiers signes du printemps, se recroquevillent près des bouches d’aération quand l’hiver fait rage et envahissent places et parcs, toujours à la recherche de quelque miette égarée…

Ce sont les pigeons, ces hordes grises où surgit parfois une tête blanche ou une aile rousse, ces cohortes roucoulantes qui, à la barbe de leurs ennemis milanais, échappent aux coups de pieds idiots et aux spray anti-pigeons (je jure que ça existe), se rient des bordures de piques appliquées aux corniches des batiments et voletent sans ordre et nichent en cachette (mais où?) pour revenir, chaque année plus determinés encore à conchier les fourures des élégantes, les voitures des vantards et les parterres fleuris aux armes de la ville…

J’ai pour eux une sympathie sans bornes, sans doute dûe à leur démarche si singulière, à leurs gros yeux ronds effarés et à leur capacité à être à la fois les animaux les plus honnis, et à disposer des plus belles vues sur n’importe quelle place…

« Dans son livre sur la faune tropicale, il avait lu un jour que certains animaux, surtout les orangs-outans, ne se jetaient sur les hommes que si on les regardait dans les yeux; si on les ignore, il paraîtrait qu’ils vous laissent tranquille. Peut-être que ça valait aussi pour les pigeons » (P. Suskind  « Le pigeon »)

« […]jamais, dans une maison habitée par un pigeon, un homme ne saurait continuer à vivre, un pigeon, c’est le chaos et l’anarchie en personne » (P. Suskind  « Le pigeon »)