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Quelques kilomètres en train plus tard, nous voici avec un instant culturel un peu plus consistant qu’à l’ordinaire, de petites déceptions, de belles surprises et, last but not least, un nouveau Gary sous le coude!

On va commencer par ce roman d’ailleurs, Europa de Romain Gary, une époustouflante fable qui mèle psychanalyse, grand amuuur, pouvoirs magiques et stratégies diplomato-échiquéennes… Quand Danthès, ambassadeur à Rome, rencontre Erika, la fille d’un amour de jeunesse, mi-sorcière mi-folle, à l’époque lâchement abandonnée au profit d’une carrière prometteuse, il sombre peu à peu dans une paranoia destructrice. Erika n’est-elle que l’instrument de la vengance maternelle? Obeit-elle aux ordres du Baron von Putz zu Sterne épris d’amour tragique? Ou n’est-elle en réalité que la matérialisation de son sentiment de culpabilité, celui d’avoir abandonné Malwina, ou plutot ses idéaux de jeunesse? Au final, entre scènes anticipées, revécues a posteriori ou fantasmées, on ne sait plus qui manipule qui, qui est fou et qui rêve qui… Du grand Gary!

On poursuit avec les âmes mortes de Nikolaï Gogol… Quand on s’attaque à un chef d’oeuvre de la littérature, on prends toujours le risque d’être déçu… Certes l’écriture est limpide, l’idée de départ bien trouvée (un individu cherche pour d’obscures raisons à acheter des âmes mortes mais encore recensées par les registres officiels aux propriétaires terriens du cru) et les personnages campés avec une justesse non dénuée d’ironie, mais le tout manque d’élan et on est vite ennuyé par les situations qui se répètent (les scènes de négociation précédant les ventes, les soirées mondaines où chacun joue un rôle…) et les fréquentes interruptions du narrateur qui vous éloignent en un instant de l’auberge russe où vous étiez avec les personnages, si bien attablés devant quelque esturgeon ou un godet de vodka …

Mais mon enthousiasme du jour va à l’incroyable Jézabel d’Irène Nemirovsky… 218 pages d’une rare intensité, la vie d’une femme à la fois criminelle et victime, une séductrice que le temps qui passe tue à petit feu en lui volant peu à peu beauté et jeunesse, mais surtout en la privant de la primeur des regards masculins… Un roman paru en 1936 mais d’une incroyable modernité, qui dépeint avec une impressionante acuité la peur du déclin féminin, de la vieillesse et l’injustice faite aux femmes de devoir traverser la vie en rivales plutot qu’en alliées… Un personnage à la fois touchant et haissable, égoiste et d’une émouvante fragilité, qui rappellera à tous une certaine voix enfouie qui s’égosille à chaque nouvelle ride au coin du miroir…

Et puisqu’on parle de femmes, parlons aussi d’Un certain sourire de Françoise Sagan, qui sait comme toujours dépeindre en quelques mots l’impalpable profondeur des sentiments humains… Dominique délaisse Bertrand pour se laisser séduire par Luc marié à Françoise… Un quadrilatère amoureux qui pourrait sembler convenu ou niais mais où la finesse d’observation, sans jugement ni conclusions psychologiques hâtives, et la -du moins semble-t-il- grande facilité d’écriture de l’auteur, cette fameuse désinvolture apparente qui sont sa signature,  font un récit plaisant plein d’insouciance, apanage de la jeunesse et des amoureux, de spleen surjoué comme de dialogues acérés, et d’éblouissantes intuitions sur l’amuuur…

Et tant qu’on parle de vie de couple, parlons donc de ménage, thème central du court roman Chevalier de l’ordre du mérite de Sylvie Testud… Ici, on entre dans l’intimité par la porte de service, on s’engueule chiffon à la main sur fond de bruit d’aspirateur, et on confronte le couple aux déboires les plus ordinaires, ceux des pelures d’oignons qui s’entassent et de l’évier qui ne se vide pas tout seul… Au delà de l’aspect trivial de la femme qui décape, une invitation à la réflexion sur le contrôle et la notion d’ordre. En somme, du Jean-Claude Kaufmann à la sauce air wick, quelques réflexions bien senties sur la vie à deux et la mauvaise foi masculine en prime…

Et, décidément, la femme étant une entité si contradictoire et casse-burnes, cet instant culturel s’achève sur Méfiez-vous des femmes de Catherine Euvrard, sorte de guide à l’usage des hommes et des femmes paranoiaques… Si j’ai aimé le décryptage de certains types de nanas prêtes à tout, dans le travail comme pour la « chasse à l’homme »,  j’ai moins apprécié la confusion séduction/bouffe-poignon née selon moi d’une ancestrale peur bourgeoise, tout comme les recommandations du type « pour épargner la tentation à votre mari, prenez des femmes de ménage soixantenaires et des filles au pair à moustache »…

Et c’est sur un bel élan littéraire que j’ai commencé à la fois les imperfectionnistes de Tom Rachman sur les conseils de Tulisquoi et Suttree de Cormac McCarthy, qui devrait m’occuper un moment… Juste assez pour retarder un peu la lecture de mes dernières acquisitions transalpines (ça + les soldes, la ruine à la française quoi), entre autres Le Japon n’existe pas d’Alberto Torres-Blandina, C’est en ne cherchant pas que tu trouveras de Philippe Claudel et Marilyn, Elvis, le prince William et moi de Lucy-Anne Holmes…

Et vous, vous lisez quoi en ce moment? Qu’est ce que vous allez emmener à la plage? Plutot revues, mots fléchés ou grande littérature? Pour ma part je me réserve le challenge de finir la saga proustienne en venant à bout sous le soleil le dernier volume, le temps retrouvé (où parait-il la fameuse madeleine revient et prend tout son sens… j’ai hâte!)