Il y a quelque temps je vous avais fait ici une petite liste (non exhaustive) de lieux et événements milanais hautement recommandables pour les lecteurs. Et ceux qui aiment écrire alors? Vous me répondrez sans doute que ce sont un peu les mêmes personnes, ces êtres solitaires en quête de vies parallèles sur papier, et pourtant me poser cette question m’a fait penser à d’autres lieux milanais, à d’autres occasions qui sont autant de prétextes pour ces casaniers à sortir de l’ombre et à se rencontrer.
Festival Writers : Créé en 2012, cet événement littéraire centré sur les écrivains se veut depuis le début atypique et transversal. Il invite pendant quelques jours les auteurs à se raconter au travers de discussions, lectures, expositions, spectacles… Ce n’est ni un salon, ni une foire, ni un prétexte pour présenter et vendre des livres. Les auteurs viennent y évoquer leurs souvenirs, parler de leur travail et de leurs passions, dans un joyeux méli-mélo pluridisciplinaire.
Chaque année, un thème invite à renouveler la réflexion; en 2020, il s’agit de E in questo chiaroscuro nascono i mostri, référence à la célèbre formule d’Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». A festival atypique, lieux atypique, puisque l’événement se tient chaque année aux Frigoriferi Milanesi, cette ancienne usine de glace de la ville transformée quelque temps en patinoire avant de devenir le cadre d’événements hors-normes. Via Terenzio 6, à l’angle de Viale Corsica 21
Festival delle lettere (Festival des lettres) : Depuis 2004, cette manifestation célèbre la lettre, ce fragile édifice de papier et d’encre qui réunit les amoureux des mots et d’une certaine idée des relations humaines. Celle qui implique de prendre le temps, d’écrire des phrases, d’acheter un timbre, de guetter l’arrivée du facteur… (Vous l’aurez deviné, je suis de ceux et celles qui écrivent encore des lettres, achètent des carnets de timbres et rechignent à déchiffrer slt, bjr et autres cdlt).
En 15 ans, les organisateurs du festival auront déchiffré plus de 25000 lettres manuscrites et invité de très nombreuses personnalités à lire en public les meilleures d’entre elles. Chaque année, différents thèmes sont proposés et un concours récompense les courriers les plus beaux, émouvants, inventifs, pour célébrer ce qui est, aujourd’hui encore, un excellent moyen de « remplir toute forme de distance, qu’elle soit physique, culturelle ou sociale ».
En 2019 le festival invitait par exemple à écrire à sa ville, en 2020 à laisser aller son imagination sur l’école, mais d’autres catégories plus spécifiques invitent à découvrir de vieux courriers retrouvés, des lettres écrites en prison ou encore par des adoptants… De mon coté je n’ai jamais participé, mais j’ai lu un nombre indécent de lettres sur le site, et je vous promets une addiction rapide à ces petits bouts de vie « volés » aux tiroirs d’inconnus!
Musée de la machine à écrire : Puisqu’on parle d’écriture en mode désuet, impossible de ne pas mentionner ce musée milanais méconnu! Ouvert en 2006 sous l’impulsion du collectionneur Umberto Di Donato, il exposait initialement 200 machines et compte aujourd’hui plus de 1800 modèles, pour la plupart rarissimes. Il fait ainsi se côtoyer une historique Caligraph datant de 1882, une Olympia comportant le caractère des SS (sortes d’éclairs à la Ziggy Stardust mais en beaucoup moins sympa) et la machine rose de Barbie. Le point fort de ce musée, c’est que vous pouvez toucher, et même tester, la plupart des machines, et ainsi expérimenter en personne leur Tac-tac si particulier… et la force qu’il fallait y mettre, oubliée depuis l’avènement des ordinateurs et, mieux encore, des écrans tactiles!
Au delà des machines, le musée invite à parcourir l’histoire de la littérature et du journalisme à travers le prisme de ces accessoires. Du rouleau ininterrompu de 36 mètres de Kerouac à l’Olympia SM-3 deluxe utilisée par Woody Allen pour rédiger ses scénarios, c’est tout un monde de petites manies et habitudes qui s’ouvre au visiteur. Et pendant qu’évidemment, je pense à Paul Auster (comme c’est étonnant) et à son Olympia à laquelle il a même dédié un livre en 2003, j’apprends que Stanley Kubrick a adapté Shining sur une Triumph-Adler Tippa jaune et que Jan Fleming, le créateur de James Bond, travaillait sur une Royal Quite De Luxe plaquée or. Le genre d’anecdote qui ne sert pas à grand chose (sauf pendant une partie de Trivial Pursuit?) et qui ne peut réjouir que ceux qui, eux-même, ont plein de petites manies d’écrivains. Via Luigi Federico Menabrea 10
Boutiques de stylos : L’usage de la machine à écrire se fait rare, mais n’en déduisez pas trop vite que les auteurs ont renoncé à leurs petits rituels. Ceux qui écrivent à la main font tout un plat du choix de leur stylo, de la fluidité de l’encre, de la prise en main et du débit d’écriture que tout cela induit. En général, ils s’attachent à un modèle et soutiennent ne pas pouvoir produire sans lui, mais d’autres en changent à chaque nouveau récit, arguant que le modèle doit être assorti au sujet choisi.*
A Milan, les plus pointilleux devraient trouver leur bonheur sans problème, puisque nombre sont les boutiques historiques spécialisées, notamment en stylos plume, dans tous les coins de la ville, de La Stilografica (Corso Buenos Aires 53) à Mazza Stilografiche (Via Cesare Cantù 3) en passant par la boutique Ercolessi (Corso Magenta 25) qui opère depuis 1921. Les amateurs de stylos grand luxe (on parle de modèles à plusieurs milliers d’euros) opteront quant à eux pour la boutique Montegrappa (Via Luigi Rossari 5), les fanatiques de stylos enneigés pour l’une des boutiques Montblanc de la ville (Via Monte Napoleone 27/B – Corso Vercelli, 1 – Galleria Vittorio Emanuele II 92)
Papier et carnets : Après le stylo, le papier! Dans l’absolu, n’importe quel cahier fait bien entendu l’affaire, mais là aussi les puristes pourraient avoir besoin inopinément du cahier parfait. En général, ils se divisent en deux équipes, les pro-Moleskine et les pro-Leuchtturm1917. Vous trouverez les premiers dans l’un des nombreux Moleskine Store de Milan (Via Dante 15 – Gare centrale Piazza Duca d’Aosta 1 – Corso Buenos Aires 22 – Piazza Gae Aulenti 4 – Piazza Tre Torri 1/L – Aeroporto di Milano Linate), les autres dans les grands magasins La Rinascente (Piazza Duomo) ou dans un Megastore Mondadori.
Vous cherchez quelque chose de plus personnel? Je vous recommande la boutique Fratelli Bonvini (Via Tagliamento 1). Ils existent depuis 1909 et s’ils sont très branchés typographie, ça ne les empêche pas d’avoir aussi une belle sélection de cahiers. Sinon, la boutique Fabriano (Via Ponte Vetero 17) de l’historique fabricant de papier Fedrigoni propose des cahiers made in Italy, la boutique Rigadritto (Via Brera 6) réserve de belles surprises colorées et le japonais Muji (Piazza Gae Aulenti 8 – Via Torino 22 – Corso Buenos Aires 36) ne déçoit jamais en matière de papier…
Musées d’écrivains : A Milan, vous trouverez deux musées dédiés à des écrivains locaux. La Casa Alda Merini (via Magolfa 32) sur le Naviglio est dédié à la poétesse contemporaine et reconstitue la maison où elle vivait non loin de là. S’y tiennent des lectures, rencontres, spectacles, concerts et cafés littéraires…
La Casa del Manzoni (Via Gerolamo Morone 1) est quant à elle la maison jadis occupée par Alessandro Manzoni, écrivain milanais du Risorgimento et auteur du mythique Les Fiancés (en italien I promessi sposi), l’un des livres les plus étudiés par les écoliers italiens (qui lui en gardent souvent une rancune tenace). Mais il ne s’agit pas seulement de déambuler dans la maison du grand auteur, et la visite entremêle l’histoire de sa famille à son oeuvre, sa passion pour la botanique aux autres écrivains qu’il a côtoyé.
Circolo Filologico Milanese: Autre haut lieu des lettreux à Milan, ce cercle d’intellectuels fondé en 1872 a pour but ultime de promouvoir la culture, l’étude des langues et des civilisations étrangères. Vous pouvez bien entendu y prendre des cours de langue (coréen, sanskrit et hindi y compris), de peinture, de philosophie ou d’histoire des religions, mais le fin du fin est d’en faire réellement partie. Les membres peuvent en effet y consulter plus de 50 journaux et revues, accéder à la bibliothèque, au bar intérieur, assister à des conférences exclusives… et profiter de la compagnie d’autres érudits.
Dans le programme, il y a des activités dont je peine à comprendre l’intitulé (la personnalité postmoderne et les nouvelles dépendances psychologique) et d’autres qui font follement envie (mythologie comparée, histoire de France au travers de l’oeuvre d’Alexandre Dumas…), sans parler des conférences qui ont l’air complètement géniales (épopée dans l’espace entre imagination et réalité, rôle de l’alimentation dans l’évolution, nourriture spirituelle et synesthésie…) Bref, non seulement l’endroit est magnifique (vous pouvez jeter un coup d’œil ici) mais promet aussi de belles réflexions pour toute personne avide de culture. Via Clerici 10
Accademia Giallonoir : Ni plus ni moins, une école d’écriture de polars! Souvent sous-estimé et pourtant très populaire, ce genre littéraire a ses codes a lui, ses adeptes, ses manies. La Masterclass de 40h est sensé permettre à tout débutant, au travers d’exercices pratiques, d’apprendre à structurer son idée, à bâtir des ambiances, des personnages et dialogues cohérents, tandis que des modules plus brefs donnent les clefs pour écrire un scénario de polar qui tienne la route, maintenir une certaine tension dans le récit et surprendre le lecteur…
Les formateurs, qui sont tous des auteurs de polar ou des acteurs du secteur de l’édition, partagent ainsi leurs expériences et leur savoir, et le fondateur de cette école n’est autre que Paolo Roversi (l’écrivain, pas le photographe de mode), auteur de huit polars à succès (dont La ville rouge, qui se passe à Milan). Pas mal pour ceux qui ne savent pas par quel bout commencer, qui sont dotés de velléités littéraires qui peinent à prendre forme, ou tout simplement qui veulent s’entourer d’autres aspirants écrivains pour échanger. Viale Sarca 78
Retraite pour écrivains : Le concept est anglo-saxon et a de quoi faire rêver tout écrivaillon. Se retirer à la campagne avec une poignée d’autres auteurs pour faire avancer son projet d’écriture dans une ambiance studieuse et bienveillante, ça promet d’être une pause productive, en plus de l’occasion de rencontrer des gens qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Ça n’existait pas vraiment en Italie, alors Alessandra Mele, agente littéraire milanaise, a décidé en 2019 d’organiser des Book@ Writing Retreat. Un petit bourg de la campagne d’Ombrie a été choisi pour les premières sessions, le lieu parfait pour accueillir des groupes soucieux de dépaysement et de tranquillité.
L’endroit est sublime, et si la formule n’est pas donnée (à partir de 1450 € pour 7 nuits en demi-pension avec cours et entretiens personnalisés avec un tuteur), peut-être est-ce le prix à payer pour (enfin) faire germer ou terminer le roman qui vous trotte en tête depuis des années. Plus d’infos : info@bookat.it
NanoWrimo à Milan : Vous connaissez peut-être le concept, il s’agit du National Novel Writing Month, une initiative créée en 1999 qui consiste à écrire au moins 1667 mots par jour pendant le mois de novembre afin d’atteindre le chiffre de 50.000 mots (l’équivalent du Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald). C’est parfait pour se mettre un petit coup de pied aux fesses quand on a tendance à procrastiner, et le fait de pouvoir suivre l’avancée des autres participants aide à rester motivé.
Car s’il s’agit d’un défi individuel, le NanoWrimo a aujourd’hui une véritable communauté dans le monde, aussi bien virtuelle que réelle, et des événements (dédié à l’écriture ou à la détente) sont organisés un peu partout pour rencontrer d’autres participants et se soutenir dans son projet**. Une fois inscrit sur le site (c’est gratuit), il vous suffit de référencer votre position pour accéder au groupe correspondant à votre zone géographique et au forum des autres participants. nanowrimo.org
*Sur ce sujet je vous remets le lien vers une interview (en anglais) de Neil Gaiman, particulièrement en verve quand il s’agit de parler de stylos (25:58) et de papier (19:50)
**Pour l’édition 2019 je me suis inscrite par curiosité (et aussi pour booster un petit projet d’écriture qui prend son temps pour émerger), mon profil est là, n’hésitez pas à me faire signe si vous êtes inscrits aussi!)