Sélectionner une page

J’avais commencé en décembre l’écriture de ce post, et m’y plaignais de n’avoir pas le temps de lire, même si la variété des romans en cours me laissait le choix, en fonction de l’humeur et du temps disponible, de la lecture la plus appropriée… J’en concluais que seules quelques journées de train me permettrait de venir à bout de mes lectures en retard… Grâce aux vacances et à de longs parcours ferrés, c’est chose faite!

On commence avec La vie matérielle de Marguerite Duras… Celui-là, on peut le lire par petites touches… Il ne s’agit pas d’un roman, ni même d’un récit autobiographique… c’est plutôt un recueil d’écrits sur tout et rien, des anecdotes, des impressions, des souvenirs mélés de récits de pans de la vie des autres… Marguerite y donne son avis aussi, sur tout et rien, avec une prose catégorique qui la fait passer de la compassion à l’indifférence, du féminisme le plus farouche aux pensées les plus rétrogrades et conventionnelles… Un livre qui, plus que des histoires, raconte une certaine vision de la vie et une envie de la faire partager, sans forcément théoriser ni approfondir… Voici ce qu’en dit la préface de l’auteur:

« aucun des textes n’est exhaustif. Aucun ne reflète ce que je pense en général du sujet abordé parce que je ne pense rien en général, de rien, sauf de l’injustice sociale. Le livre ne représente tout au plus que ce que je pense certaines fois, certains jours, de certaines choses. », « Ce livre n’a ni commencement ni fin, il n’a pas de milieu. […] J’ai hésité à le publier mais aucune formation livresque prévue ou en cours n’aurait pu contenir cette écriture flottante de La vie matérielle, ces aller-et-retour entre moi et moi, entre vous et moi dans ce temps qui nous est commun »

Depuis, une forme adaptée a été inventée, et si Marguerite Duras avait vécu à notre époque, ce qu’elle aurait sans doute tenu, c’est un blog!

Changement de registre avec Histoire de Lisey… Ca faisait bien longtemps que je n’avais pas mis mon nez dans un livre de Stephen King… Non pas que je m’en sois lassée, mais j’avoue que sa lecture nécessite souvent un état d’esprit propice qui n’a vraissemblablement pas été le mien depuis un moment! Ici, encore une fois, le vieux Stevie nous parle de ce qu’il connait le mieux, la vie d’écrivain… Une vie à rebours presque, puisque le roman reconstitue pièce par pièce les moments clé de la vie de Scott Landon au travers des souvenirs de sa femme, la fameuse Lisey du titre, qui suit un parcours entre mémoire et signes laissés par son défunt mari… Honnétement, pendant 500 pages, je me suis un peu ennuyée… Mais, ce qui est bien avec Stephen King, c’est qu’au-delà des 500 pages il y en a encore au moins 250, où l’on s’émeut d’une histoire d’amour ni banale ni cucul, où l’on frémit avec délices, (et où l’on saute quelques passages vraiment trop dégueu aussi!) et où on s’emerveille, comme souvent, d’une prose qui crée un monde à part entière et en définit les limites au travers des mots mâême… Des mots souvent inventés pour les besoins du livre, au service de l’histoire et pour le plus grand bonheur du lecteur qui devient alors détenteur d’un nouveau langage qui, comme ces échanges entre amis faits de private jokes, le lie, le temps de la lecture, intimement au roman…

Passons ensuite aux Copains de Jules Romain, l’auteur du génial Knock lu et relu il y a bien longtemps… Ici, c’est toujours le même humour caustique qui est à l’oeuvre, s’exerçant dans le cercle d’amis loufoque formé par Broudier, Bénin, Huchon et les autres… Une joyeuse troupe, mi-alcolo mi-rieuse, qui rappelle à la fois le film Amici miei (mes chers amis) avec Tognazzi et Noiret, à la fois les copains d’abord de Brassens… Des amis barrés et toujours prêts, à déboucher une bouteille comme à venger l’honneur de l’un d’eux blessé par quelque offenseur, imaginaire ou non…

Mais croyez-moi, je ne lis pas que des trucs rigolo, même en période de vacances… La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé par exemple n’a pas été de ceux qui m’ont fait me bidonner dans le train… L’histoire triste de la lignée du roi Tsongor, l’histoire de l’humanité en somme, de pères qui voudraient voir leurs fils grandir en paix, de filles qui voudraient vivre heureuses et amoureuses, de frères et d’amis fraternels qui devraient s’aimer toujours, mais que la guerre entraîne tous, par soif de vengance, de justice ou de pouvoir, ne laissant derrière elle qu’une trainée vaine et sanglante… (du grand, très grand Gaudé, comme toujours!)

Ce fut ensuite au tour de Tatiana Lafumette et la guerre des branchés de Françoise Gehannin, livre rafraîchissant qui épingle sur le vif les habitudes et tics des friqués parisiens épris d’art et de tendances… On commence en se disant que c’est facile, cliché, déjà vu… et on finit par sourire tout de même, parce que ça finit immanquablement par nous rappeller quelqu’un!

Et puisque nous parlons ici de lectures de vacances, cette série ne pouvait se passer d’un peu d’exotisme! C’est donc avec grand plaisir que je me suis laissée entrainer dans une Espagne sans âge par Carole Martinez, à la suite d’une lignée de femmes aux étranges pouvoirs… De Frasquita la brodeuse un peu sorcière à Angela la choriste aux yeux de poule, de Clara l’illuminée qui éblouit les hommes le jour et luit la nuit à Martirio la cruelle, le coeur cousu nous entraine dans une fable redoutable sur la vie de femme, des hésitations de petite fille à la tyrannie de la vieillesse en passant par les joies de la séduction et les affres de la maternité, et du fil si ténu qui peut faire passer de magicienne à sorcière, de femme enviée et convoitée à vistime des hommes et de la vie… (Avec en prime, pour l’exotisme toujours, des processions religieuses qui tournent mal, d’épiques scènes de poulailler, une révolution, une oliveraie, un ogre, et même des combats de coqs!)

Et pour finir, Des nouvelles du Celsa, un ouvrage collectif plein d’imagination! Les lauréates du concours de nouvelles organisé chaque année par le CELSA ont effectivement mérité leur distinction! On passe avec plaisir d’un univers à l’autre, d’un SDF lapin-friendly qui découvre la cruauté du monde au tendre récit d’un père qui se réapproprie son histoire à travers le récit qu’il en fait à sa fille, du rire aux larmes, de superstitions créoles en drame familial parsemé de post-it, d’une étonnante dynastie du chou au poignant récit d’un deuil féminin… Un seul livre mais de nombreux univers, avec pour seul fil conducteur le talent! Chapeau les filles!