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Vous le savez, j’ai du pour cause de migraines faire une détox informatique de huit jours (horreur malheur). Du coup, entre boulot en retard, mails non lus et avalanche de gribouillis sur bout de papier, j’émerge à peine. Ceci dit, le mal aura eu un mérite: me laisser le loisirs de lire et me rendre insomniaque, multipliant encore mon temps de lecture. D’où un instant culturel en mode géant, que je vais essayer d’alléger en parlant peu et bien (si)

Avec Padre padrone de Gavino Ledda, on plonge dans le quotidien d’un enfant retiré de l’école à 6 ans pour apprendre la dure vie de berger. De la rudesse des hivers aux beautés des paturages, c’est une initiation à la rude qui nous est livrée par le jeune garçon analphabète, devenu par la suite, en dépit de tout et tous, professeur de linguistique. Une peinture à la fois pittoresque et tragique du monde rural italien, et un poignant récit autobiographique de qui refuse de se soumettre à la misère, surtout quand elle est intellectuelle et humaine…

Ensuite, pour soulager mon cerveau ralenti, j’ai opté pour une BD… Sauf qu’avec La petite peste philosophique de Vanna Vinci, il ne suffit pas de regarder les images… Son personnage, petite fille aux interrogations adolescentes et au caractère d’ancêtre, nous entraîne entre cynisme et bons mots sur les traces d’un nihilisme forcené, citations de Emil Mihai Cioran à l’appui (un type qui a écrit entre autres De l’inconvénient d’être né)… Pour le reste, un cochon qui danse le tango, une voisine de table et un singe en peluche d’un stoïcisme effarant suffisent à lui recréer un adorable univers à observer, questionner, et surtout cordialement détester…

Du coup, pour me fatiguer encore moins, j’ai terminé La valse lente des tortues de Katherine Pancol, commencé il y a bien longtemps et jamais terminé (quand je pense qu’il y a un tome 3, j’en frémis d’avance). Comment une auteur qui écrit si bien peut-elle s’enliser dans une histoire pareille, bourrée de clichés et de tempéraments à sens unique? Pour pallier à l’ennui, la voilà qui nous invente un serial killer, une histoire d’envoutement, des malabars qui tentent de faire pression sur une étudiante à coups de ceinture et un amant schyzophrène, et même Kate Moss qui débarque à l’improviste au détour d’une page… C’est énorme, et pourtant, on s’ennuie toujours autant…

Et puis j’ai reçu Ossobuco d’Andrea Marcelli, joli livre au ton et aux tons délicats… L’histoire d’un homme qui part sur les traces d’un ami disparu, avec pour seul guide une sorte de journal-confession, et un réseau de femmes qui ont partagé le quotidien du disparu. Sur fond d’odeurs de cuisine italienne -on devine l’homme fin gourmet- la vérité se tisse peu à peu et révèle les liens qui unissent les situations et les personnages, plus profondément qu’il n’y parait, et à leur insu parfois…

Sur ma lancée j’ai ouvert Le lac indigène d’Anna Luisa Pignatelli, l’histoire d’un homme qui part à la recherche d’un ami disparu (hein? quoi?) (et bien oui). Sauf qu’ici on est au Guatemala, sur les rives du lac Atitlán, et que l’ami en question a disparu sur le flanc d’un volcan après avoir pris et dissimulé des photographies compromettant le régime en place… Un parcours entre magie, lutte armée, vocabulaire indigène et découvertes géographiques, où le narrateur est moins guide que compagnon d’égarement du lecteur…

Ca redevenait un peu trop ardu pour mon cerveau fatigué, alors je jetai mon dévolu sur Maudit Karma de David Safier, une fiction légère sur la réincarnation d’une star de télé… De l’état de fourmi à celui de chien fidèle, elle apprendra l’humilité et la valeur des sentiments qui unissent les êtres… Ca pourrait être fort cu-cul, c’est souvent drôle, parfois même décapant, surtout quand Boudha, Casanova et une marchande de frites s’en mèlent… Pas un grand livre certes, mais il y a certaines répliques, lues la semaine dernière, dont je ris encore…

Et puis il y eut La nuit du carrefour de Simenon, une des rares enquêtes du commissaire Maigret qui me manquait encore…  Avec, comme toujours, la certitude de passer un bon moment avec le gros homme bourru, à boire des coups en mauvaise compagnie, à regarder en dessous des femmes trop fières pour être honnètes, à percer à jour les petites lachetés, les infimes mesquineries et les grosses combines de tous, et à attendre la faveur de la nuit pour qu’éclate enfin la vérité, dans toute sa banalité et toute sa noirceur…

Enfin, mon cerveau a cessé de bouillonner un peu, et j’ai pu lire avec délectation La contrée immobile de Tom Drury. Quand Pierre Hunter, personnage à la fois banal et marginal, traverse la glace du lac gelé en patinant, c’est une autre vie qui va commencer pour lui. Sauvé des eaux, il deviendra sans le savoir un pion sur l’échéquier d’une étrange justice sacrificielle et joueuse. Tout convergera, alors qu’il pense agir à sa guise, vers le destin qui le lie à d’autres qu’il ne connait pas encore. Et si lui-même se passionne pour l’idée d’un futur déjà écrit, il n’imagine pas dans quelle mesure il fait figure d’instrument. En somme, une reflexion presque métaphysique sur fond de polar, portée par des situations épatantes d’inventivité et de crédibilité, une fête de village complétement barrée et des personnages bancals plus vrais que nature…

Voilà pour l’instant culturel! Et vous, que me conseillez-vous? Je crois n’avoir lu aucun livre de cette rentrée littéraire, j’attends donc vos conseils avisés en la matière!