Il y a quelques semaines, j’ai assisté à la présentation dédiée à un ouvrage sur le quartier de Porta Vittoria à Milan, au nouveau siège du FAI (l’association qui gère pas mal de biens du patrimoine culturel italien). J’avoue, j’y allais plutôt pour voir le lieu, une ancienne cavallerizza (lieu destiné au dressage et à l’entrainement des chevaux) longtemps laissée à l’abandon et restaurée il y a peu, et si le cadre m’a étonnemment peu fasciné (hormis les poutres apparentes au deuxième étage, le site a peu de charme et présente donc peu d’intérêt), j’ai en revanche beaucoup aimé la prestation de Bruno Pellegrino, grand spécialiste de l’histoire de Milan et de ses quartiers.
En réalité, j’ai regretté que cette présentation se fasse dans une salle de conférence, et non dans les rues même, à cavaler aux trousses de cet érudit un peu barré qui, d’anecdotes grivoises en références historiques comme-si-vous-y-étiez, vous entraîne sous la trame des trottoirs et des places tels qu’on les connait pour redécouvrir la ville du passé. Un passé flou là aussi, où se mèle histoire du pays (l’insurrection des 5 jours de mars 1848 contre l’occupant autrichien), petites histoires privées (la maitresse de Radetzky se nommait Giuditta et était blanchisseuse) et faits plus récents des années 50, et c’est à se demander quel âge a le conteur… (60, 1000 ans?), s’il possède quelque potion lui permettant de remonter le temps (et de voir, accessoirement, Radetzky donner la pièce au XIXe siècle à un mendiant).
Seul ennui, Bruno oublie parfois que tous ne sont pas aussi calés que lui, et l’on se perd un peu entre les époques, les références, les lieux… N’empêche, j’ai bien aimé ce foisonnement brouillon et je ne peux qu’encourager les curieux à parcourir ses livres (il en a écrit sur quasiment tous les quartiers de Milan), baskets aux pieds et plan actuel de la ville en main.
Concernant le quartier de Porta Vittoria, que dire? Que c’est via Borgogna, vers l’ancienne porta Tosa, que ce trouvait auparavant le ponte delle sirenette aujourd’hui visible au parco Sempione? Que c’est par là aussi qu’on pouvait voir une représentation de femme s’épilant qu’on voit maintenant au chateau Sforzesco (et qui, parait-il, ressemble étrangement à l’épouse du roi Barbarossa qui aurait eu, dit-on, du mal à digérer l’hommage)? Que c’est via dell’angelo (qui doit son nom à la statue d’un ange supportant un paratonnerre) qu’a été à l’époque posée la première pierre de la gare de la ligne Milan-Venise (même si, en réalité, elle n’a finalement pas été construite là)?
Ou préférez-vous savoir que dans la contrada de la Senavra, le palais du même nom, ancienne demeure de Gonzaga, a servi successivement à héberger des jésuites puis des fous, avant de devenir après 1800 une maison de correction? Qu’avant les V Giornate, la ville était aux mains des Autrichiens et les batiments officiels peints en blanc (comme les uniformes autrichiens); que les Savoia les ont ensuite repeint de jaune et que c’est la ville de Milan, il y a peu, a décidé de leur rendre leur teinte initiale? (mais initiale de quand? c’est confus nan?)
On a eu droit aux anecdotes météo aussi, apprendre qu’en janvier 1858 Milan a connu un froid sans précédent (-15°!) le jour des funérailles de Radetzky dont le cortège fit tout de même la route de la villa royale de via Palestro jusqu’au Duomo, et que c’est le 21 mars 1951 qu’un vent terrible souffla sur la ville, abattant le mur de Lorenteggio et tuant 13 enfants (sortis en avance de l’école parce que c’était Pâques) et déracinant l’un des quatre cèdres de piazza V Giornate (qui tomba sur un taxi jaune et vert, soit dit en passant).
J’ai aimé la galerie de personnages aussi, cet homme appelé « il Massimo » qui se déguisait en indien ou en Napoléon dans les années 50 et parcourait les rues en vélo; ce pauvre diable qui ne demandait pas d’argent mais dont le perroquet distribuait des horoscopes aux passants (???); ce vendeur ambulant avec ses sauts d’anchois sur un chariot piazza del suffraggio; et ce kiosque à journaux qui exposait dehors les nouvelles du jour avec des pinces à linge, et où Bruno se rappelle avoir vu en 49 un attroupement lors de la parution de la nouvelle de la mort du footballeur de l’équipe de Turin Luigi Meroni dit « Gigi « .
J’aime toutes ces histoires même si (ou justement, parce que) c’est confus, foisonnant, à la fois joyeux et rutilant, tragique et bruyant, et finalement, ça n’a pas tant changé que ça, Milan…
Tiens ça me fait penser qu’on doit faire des visites thématiques de la ville. merci !