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Quand je bossais à Milan, un de mes clients était producteur discographique et se définissait comme « le dernier hippie ». Quand il était seul, il se nourrissait quasiment exclusivement de pancakes, de pâtes à tartiner diverses et de Fluff mais paradoxalement, c’est chez lui que j’ai bu les meilleurs vins de ma vie et mangé les trucs les plus déments (une tarte au chocolat de chez Ernst Knam par exemple, dévorée sans chichi au dessus de l’ordi en traduisant des mails). Une fois, son père a débarqué alors qu’on bossait pour nous préparer des sardines panées à l’ail et au persil (aka la vie) et on les mangées dans la cuisine, avec les doigts, copieusement arrosées de citron et de Chianti, avant de se remettre au boulot.

J’ai découvert chez lui des thés incroyables, et à chaque fois que je m’extasiais sur la qualité des denrées qu’on trouvait sur sa table, il disait (et après je vous promets qu’on en arrive aux fameuses chaussettes): « Ecoute, si c’est pour boire et manger des trucs pas bons, je vois pas ce qu’on fait là. Autant boire de l’eau et manger des gâteaux secs. Tant que je peux, je ne veux que le meilleur« .

chaussettes à motifs

Dans un livre que j’ai lu il y a très longtemps et dont j’ai oublié le titre, l’auteur décrivait la chambre d’une adolescente d’origine populaire et, pour rendre compte de l’état d’esprit « prolo » dans lequel elle avait grandi, dépeignait les coûteux flacons de parfum qu’elle se faisait offrir à Noël, n’utilisait qu’avec parcimonie et dont elle exposait à la fois les boites et les bouteilles vides sur une étagère de sa chambrette. Quant à moi, j’ai un souvenir assez précis de ces miniatures de parfum que mes copines du lycée collectionnaient sans jamais les utiliser.

Je vous assure qu’à un moment on va parler de chaussettes, mais je crois que vous commencez à saisir où je veux en venir non? Pourquoi garder le meilleur pour les grandes occasions?

Dans le podcast Traverse de France Inter au sujet du deuil qui m’a touché à bien des égards et que je vous invite à écouter, Maïa Mazaurette nous raconte comment elle a vécu et surmonté la disparition prématurée de son fiancé de 29 ans. Une anecdote m’a interpellée : Maïa nous révèle entre autres que le mort avait une jolie cave de bonnes bouteilles réservées aux grandes occasions futures, et que celles-ci ont été bues après sa mort par ses amis cherchant la consolation et la communion dans le vin. Maïa déplore qu’il n’ait pas profité lui-même de sa collection, et invite les auditeurs à vider leurs bons flacons tant qu’ils le peuvent encore.

C’est une idée extrêmement banale sans doute, mais au fond, est ce qu’on ne fait pas tous ce genre de trucs, en prévision d’un après hypothétique qui voudrait plus le coup que l’instant présent? Qui n’a pas ses chaussures « pour les grandes occasions », ses vêtements de fête ou ces bouteilles gardées au frais pour le jour où… où quoi déjà? J’ai des potes qui comme ça ont gardé pendant des années de jolies boites de sardines rapportées du Portugal, les affichant dans leur cuisine sans oser les manger. Une amie hollandaise m’a confessé avoir gardé si longtemps des pâtes artisanales hors de prix offertes par un ami qu’elles ont fini par périmer sans avoir été consommées.

chaussettes dépareillées

Mais du coup, et les chaussettes, me direz-vous? Et bien voyez-vous, je me suis rendue compte récemment que j’avais des chaussettes pour les grandes occasions. Est-ce que ça ne vous parait pas fou? Je m’explique : j’aime beaucoup avoir de jolies chaussettes, que je laisse dépasser de mes baskets ou bottines en retroussant mes pantalons (ma vie est dingue, je sais). Sauf que les jolies mailles coutent cher et ne sont pas si faciles à trouver, que les lots de trois comportent toujours au moins une paire de chaussettes fadasses inutiles mais qu’on n’ose pas jeter (c’est tout neuf, c’est péché), et qu’on finit souvent par acheter des trucs basiques qui vont avec tout, pour plus de simplicité. C’est comme ça qu’on se retrouve à diviser ses chaussettes en deux catégories: les moches (en majorité) qu’on met tout le temps et qu’on va planquer dans des chaussures, mettre chez soi, pour faire du sport ou pour dormir (coucou les frileux.ses!), et les jolies qu’on va sortir pour les « grandes occasions« , quand on veut un look parfait jusqu’au bout des pieds… ou qu’on a rdv chez le médecin (super la grande occasion). A ce propos, j’ai une copine qui me confessait un jour avoir acheté de la très jolie lingerie coordonnée qu’elle osait trop rarement porter, de peur que les lavages ne l’abiment, et que son ostéopathe avait plus souvent vue que son mari…

Je vous ai parlé de nombreuses fois ici de Marie Kondo et de cette histoire de « Does it spark joy? » (est ce que ça te procure de la joie, une étincelle de bonheur, en bref est ce que ça fait boum boum dans ton cœur?) pour savoir si on garde ou jette un objet dont on hésite à se séparer. Je me suis souvent fait la réflexion qu’avec ce genre de critère, je balancerais tous mes basiques pour ne garder que des robes à fleurs et des vestes à paillettes. Et pourquoi pas au fond? Pourquoi garder cette robe de créateur au fond de la penderie, si on l’aime tant? Qu’est ce qu’on attend, que la coupe soit passée de mode ou de ne plus rentrer dedans?

chaussettes à motifs

Du coup, pour en revenir à cette histoire de chaussettes, j’ai pris une bonne résolution (Je sais, on est en juin, je m’en fous, si y’a pas d’heure pour porter une robe de soirée y’en a pas non plus pour les résolutions). J’ai balancé toutes mes chaussettes nulles (salut les moches, les élimées, les 3e paire du lot qui sont toujours beiges, vous avez remarqué?) et gardé mes préférées. Evidemment, je n’en ai plus assez, mais c’est une excellente occasion pour en trouver de nouvelles, des parfaites, la crème de la crème de la chaussettes, bref le meilleur, comme dirait le dernier hippie.

Du coup, je vous ai fait une petite sélection (et je compte sur vous pour allonger la liste) (dites-moi que je ne suis pas seule dans mon délire de chaussettes, pitié).

Pour commencer, il y a Bonne Maison, le fabricant de chaussettes en coton égyptien made in France qui permettent de « raconter des histoires dans l’espace qui sépare la chaussure du bas d’un pantalon » (Vous voyez, on est plusieurs dans mon asile de fous virtuel). Ils font des chaussettes bicolores, basiques, rayées, dans des teintes nouvelles à chaque saison, et d’incroyables motifs inspirés de la mythologie, de l’art, des éléments…

Ensuite, j’ai découvert il y a peu (par le biais de la newsletter de Damien Aresta si mes souvenirs sont bons) l’existence du Socksial Club : un club d’amateurs de chaussettes en coton dont chaque membre reçoit chaque mois une paire de chaussettes inédite dessinée par un artiste, sportif, penseur ou personne engagée. (Quand je vous dit que je ne suis pas seule!) Si la formule abonnement vous fait peur, vous pouvez aussi acheter les paires de chaussettes à l’unité. Elles sont fabriquées en France, à 80% en coton bio et, cerise sur le bout du pied, chaque paire achetée offre un repas pour un.e réfugié.e, et chaque abonnement un repas par mois et un kit de sous-vêtement. Pomme, Jean Jullien, Hell’o Collective et d’autres se sont déjà prêtés au jeu, et on souhaite longue vie à ce projet !

Vous en voulez encore? A ce stade, si vous êtes encore là, vous faites probablement partie du club des fous de chaussettes et des amoureux de la vie, donc j’en déduis que oui. Alors parlons un peu de Label Chaussette, dessinées par des artistes et tricotées dans le Limousin. Il y en a pour tous les gouts (même des collab’ un peu douteuses avec des marques comme La vache qui rit) (d’ailleurs ce projet sent un peu trop les reconvertis d’école de commerce à mon goût, mais personne n’est parfait même dans la communauté des chaussettes lovers que voulez vous) et si vous prenez le temps de fouiner sur le site, vous trouverez forcément vos chaussettes des grands jours à vous. Personnellement j’aime beaucoup celles dessinées par Séverine Dietrich et Blandine Lamy, mais chacun.e ses grandes occasions et ses couleurs préférées !

Dernière trouvaille en date, la marque Cornaërt fondée en 2014 qui propose des chaussettes « fabriquées en France avec amour » (les gens, vous êtes dingues, je vous aime). Regardez comme c’est beau! Ça me donne envie de ressortir sandales et méduses, rien que pour apercevoir ces délicieux imprimés entre les lanières!

J’ignorais en tout cas que la France avait un tel savoir-faire dans la fabrication de chaussettes, et je suis ravie de l’apprendre! C’est une bonne raison de plus d’arborer des pieds joliment maillés, et d’inaugurer cette philosophie du meilleur au quotidien. Je sais déjà qu’on va me dire que 20 euros la paire de chaussettes ce n’est pas donné, mais pour vous donner une idée, je porte depuis 3 ans mes chaussettes Bonne Maison et elles sont comme neuves! Au pire, c’est une excellente idée cadeau à glisser à l’oreille de vos proches (avant les grandes occasions justement!), ce sera toujours plus utile qu’une bougie parfumée ou une Box que vous n’utiliserez pas et dont le contenu, quel qu’il soit, prendra la poussière sur une étagère. Que le meilleur on a dit!