J’ai un peu tardé à rédiger ce compte-rendu de lecture, et je constate avec effroi que certaines histoires qui m’avaient parlé si fort à présent déjà m’échappent, ou ne me reviennent que par bribes. Quelques lambeaux de dialogue, une phrase qui m’ont frappée, une trame déjà floue, restent les impressions générales, et quelque part comme un signal qui a remué quelque chose en moi. Echo, rappels d’autres histoires, vraies, lues ou rêvées, comme si la lecture était un fil que l’on déroule lentement et que certains livres se répondaient, à plusieurs mois d’intervale, parfois des années…
Le bruit de tes pas de Valentina D’Urbano semble ainsi faire écho à D’acier de Silvia Avallone, dans un même élan à la fois brutal et retenu de décrire une jeunesse brulée. Même misère sociale, mêmes personnages déphasés et même tension contenue, intrasèque aux choses, prètes à exploser. Au travers de l’histoire de Beatrice et Alfredo dont la seule façon de s’aimer est de se meurtir, au sens comme figuré, c’est toute une jeunesse désoeuvré, au bord du gouffre, en quête d’un but, qu’on voit sous nos yeux hair le monde, se détruire et malgré tout, aimer… Un premier roman sensationnel et aux prix littéraires bien mérités!
Et puisqu’on parle de romans générationnels, parlons de l’excellent Génération A de Douglas Coupland! Je l’ai lu avant les vacances, mais l’acuité avec laquelle sont décrits les personnages du livre, et la justesse avec laquelle l’auteur montre comment, d’un bout à l’autre du monde, les aspirations peuvent être les memes et les cervaux d’une génération ne faire qu’un, me trotte encore en tête… Des (anti?)héros à l’humour décapant dont le seul point commun est de s’être faits piquer par une abeille à une époque où elles ont pourtant disparu, et d’être devenus, malgré eux, le centre d’attention de scientifiques en mal d’explications et de groupies en mal d’objets d’affection… C’est peu dire que j’ai aimé ce livre, condensé d’humour, source d’interrogations sur la science, la société, la notion d’appartenance et de célébrité, et hommage à l’écriture, à comment les récits qui sont fait par chacun nourrissent l’imagination de tous dans une sorte de mastication universelle, à comment les rêves de chacun sont nécessaires à tous, à la fois garants de l’unité d’un monde, et source d’imaginaire collectif pour demain…
On enchaîne avec Une bonne éducation de Sylvia Tabet, petit bijou de réalisme autour d’un sujet toujours délicat, la famille, et comment ce microcosme qui nous entoure dans l’enfance nourrit nos peurs, notre représentation du monde et détermine à jamais une certaine façon d’envisager l’amour et la vie. Que conclure de cette sourde violence, caché sous les apparences du bonheur et les commodités bourgoises? Comment nommer ce mal qui ronge, hypocrisie, bienséance, hépatite ou mensonge? Et que dire de cette mère maisémante, de ce père soumis à de trop grandes attentes? Ce livre m’a fait penser très fort à quelqu’un que je connais bien, et qui fut aussi (preuve ou hasard?) la première personne à me raconter une anecdote qui figure dans le livre, celle d’un bateau dont on serait jeté à l’eau avec trop d’insouciance, sans possibilité ensuite d’y remonter… une métaphore de la vie pour qui a été chassé trop à la hâte de l’enfance?
Même sujet, autre registre avec L’échappée belle d’Anna Gavalda (emprunté à ma belle-mère un jour de pénurie littéraire!) qui m’a somme toute agréablement surpris. J’ai aimé cette histoire légère et ces instantannés de ce qui nourrit à jamais les liens entre frères et soeurs, malgré les énumérations interminables en forme de plaidoirie du bonheur (comme si l’auteur s’attendait à ce que le lecteur, s’identifiant à l’un ou l’autre des exemples donnés, s’exclame réjoui « moi aussi ») et malgré les invraissemblances, les longueurs. Parce qu’on a tous eu envie un jour de s’échapper d’une réunion de famille pour s’en aller gambader pieds nus au bord de quelque torrent ou écouter de la musique derrière un volant, parce que cette histoire est comme écrite pour des enfants, pour des lecteurs en mal de rires étouffés sous une table, de chamailleries et de pieds de nez. Un moment charmant mais aussi vite passé, un peu comme une récré…
Ca fait longtemps que je voulais lire En avant route d’Alix de Saint-André. Parce qu’en bonne marcheuse, l’idée du pélerinage à pied m’a toujours fasciné. Ce récit de pélerinages à Compostelle, même si j’ai eu un peu de mal au début à accrocher, m’a plu parce qu’il est un peu comme une journée de marche, justement. On s’y attèle avec enthousiasme, certain de ce qu’on va y trouver. Puis on se perd, on s’arrète pour une rencontre ou un coup de téléphone hors-sujet, parfois on croit y avoir trouver un sens, un but trop vite abandonné, on peine parfois à continuer, mais petit à petit et plus l’on s’approche de l’épilogue-arrivée, on se rend compte que les choses se sont mises en place toutes seules, sans nous consulter, et que le sens est là, non dans une quête mais dans l’acceptation de ce qu’a été cette journée, dans l’attente du lendemain, pour recommencer… Au final, je ne suis pas bien sûre de ce que l’auteur y a trouvé (et je dois dire que cette pudeur qu’elle y met est un peu frustrante) mais on sent dans le récit ce qui était confus s’ordonner, et l’écriture de prime abord laborieuse se faire limpide et déliée. Ca m’a donné une furieuse envie de marcher, peut-être même vers Compostelle -qui sait…
Elle court, elle court… La maladie d’amour de Frédéric Joignot, qui relate dans un récit tendre et cru l’impuissance de Yohann, alter ego viril, libertin et déchu. A la fois prétexte au récit de parties fines, détails sordides dont on se serait bien passé en prime, et à des reflexions pas bidon sur le couple, le temps qui passe, l’angoisse de la mort, le miroir de la séduction; on y retrouve le thème d’Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable de Romain Gary, avec peut-être moins de poésie, mais surtout sans cette précience de ce que le sujet peut avoir d’éminement comique, sans que cela nuise en soi à la crédibilité du héros tragique. Comme c’est une histoire de mecs, on y parle aussi mécanique, tuyauterie, ballistique, et comme c’est une histoire d’amour, on y parle de gens qui s’aiment, se blessent et meurent de trop de haine…
Et aussi, j’ai finalement pris le temps de lire L’Argonauta de Milton Fernàndez offert par Cristiana lors de notre entretien en novembre dernier. Un livre délicatement écrit et qui décrit avec une finesse et une richesse de vocabulaire extraordinaire les sentiments qu’agitent l’exilé partagé entre nostalgie et répulsion pour le pays qu’il a fui. Dommage que le texte veuille par trop se donner une portée universelle, des allures de mythe et de perfection dans le choix des mots. Je m’attacherais d’autant plus à Machadito et Silvia si je ne sentais pas qu’on essaye de faire d’eux des symboles, et si certaines grandes vérités se cachaient simplement derrière des expressions éculées… C’est dommage, car l’histoire de ces réfugiés milanais ayant fui Montevideo et la peur pour se réfugier sous les toits de Rogoredo et les petits boulots mal payés mérite d’être lue, non comme une légende, mais comme une histoire d’hommes perdus qui ont trouvé ici, malgré eux parfois, un chez-soi.
Et puis, j’ai failli l’oublier, parlons pour finir sur une note légère de Demain j’arrète de Gilles Legardinier. Un livre un peu cucul, une fille qui tombe amoureuse d’un voisin mystérieux et rêve de refaire le monde façon Amélie Poulain, mais s’emmèle dans ses bonnes intentions, entre ramonage de boite aux lettre et imprécations ayant pour cible les chats. C’est simpliste et burlesque, à la limite du livre pour enfants, mais qu’est ce que j’ai rit! De façon un peu coupable, cachée derrière mes genoux dans le train, et horrifiée parfois de me reconnaître dans cette nunuche… Ce qui est fou, c’est que ce ne sont pas les personnages, ni les situations, qui sont droles, ce sont les mots choisis et la façon qu’a l’auteur de nous embarquer, même contre notre volonté, dans l’hilarité… Ca m’a rappelé Marilyn, Elvis, le prince William et moi de Lucy-Anne Holmes, pour son ambivalence cucul-drôlatique et son coté roman de plage bien écrit, recommandé pour se reposer après d’autres lectures plus pesantes pour l’esprit!
Et vous, que lisez-vous? Vous avez profité de l’été pour faire de la place? Ou au contraire entassé, en prévision des soirées d’hiver, des piles de livres hautes pour vous barricader? Je m’apprète à refaire mon stock, et aussi à tester les e-books (je suis encore récalcitrante, parmis vous il y en a qui ont essayé?) Dites-moi tout!
Je prends note !
Je suis rassurée de voir que toi aussi tu t’es laissée attendrir par « Demain j’arrête » 😉 Et tu m’as aussi donné envie de lire du Anna Gavalda, ce qui me manque à mon actif. La description que tu fais de « L’échappée belle » correspond précisément au genre de lecture que j’aimerais faire en ce moment 🙂
Je n’ai lu que « L’Echappée belle » de ta liste, je me souviens d’une lecture légère qui m’avait bien plu! « En avant, route! » me tentait bien, mais à te lire je ne pense pas que ça me plairait autant que ce que je pensais.
Pour ma part j’ai pas mal lu en vacances (quel bonheur, ça faisait un bail que je n’avais pas passé une journée entière à bouquiner!) et je viens de terminer « Le confident » qui m’a beaucoup plu! De nombreux billets lecture vont donc fleurir sur le blog prochainement 😉
Concernant les ebooks, comme toi je suis récalcitrante, et pour l’instant je ne vois pas le besoin de tenter. Tu nous donneras ton avis, bon week-end!
@My Little Discoveries: c’est vrai qu’«En avant, route!» est un peu déroutant, pas du tout ce à quoi je m’attendais non plus, mais pourtant très intéressant!