Il y a quelques semaines, j’ai dû expliquer à quelqu’un le concept d’assiettes parlantes, ces assiettes populaires dont le fond est orné d’une scène pleine de détails, généralement assortie d’un dicton, d’un bon mot ou d’une devinette. Le but de ces assiettes était de donner matière à discussion aux convives entre deux services, et de permettre à l’hôte de s’éclipser en cuisine sans craindre que la conversation ne tarisse à table. Ces assiettes sont aujourd’hui passées de mode, mais la préoccupation – de quoi va-t-on parler – demeure (l’occasion de rappeler au passage que la pire façon d’amorcer une conversation avec des inconnus est toujours « qu’est ce que vous faites dans la vie? »)
Mais je ne suis pas là pour vous parler d’assiettes, mais de mon veston bleu. Le fait que je donne des noms à mes vêtements et que j’aie souvent une histoire à raconter à leur sujet peut prêter à sourire. Mais c’est une excellente façon de briser la glace en société : « Cette veste? Oh merci, mais je ne connais pas la marque non, c’est juste la veste à Christian. »
Elle provient du démontage de l’expo Personnes de Christian Boltanski en 2010. Après avoir été exposées au Grand Palais de Paris et à New-York, les immenses montagnes de vêtements évoquant la Shoah avaient atterri à Milan au Hangar Bicocca. Le dernier jour de l’exposition, les visiteurs étaient invités à s’emparer à bras le corps du thème de la mémoire et de l’identité en escaladant les montagnes de vêtements et en repartant avec les vêtements de leur choix. Une expérience étrange où se mêlaient sensation de pillage et réappropriation libératrice.
J’en ai gardé cette veste bleue, devenue par la force des choses « la veste à Christian », qui m’amène à raconter régulièrement cette anecdote et ravive à chaque fois dans mon esprit l’impression saisissante de ce moment qui, mine de rien, remonte aujourd’hui à plus de 12 ans! L’occasion de parler de la force d’évocation des objets et, selon le degré de profondeur que vous souhaitez donner à la discussion, de la solidité des boutonnières d’antan, de culpabilité collective ou de ce qui reste quand les gens ne sont plus là. Une veste parlante quoi!