Sélectionner une page

love pasta

Vous avez tous entendu parler de la polémique Barilla née ces derniers jours après les propos tenus par son fondateur Guido Barilla qui, invité d’une émission de radio, répond à l’éventualité de faire apparaître des familles homoparentales dans ses publicités: « Pas question. […] Je ne vois pas le concept de famille comme eux. […] Si les homosexuels aiment nos pâtes et notre communication, tant mieux. Sinon, ils peuvent manger des pâtes d’une autre marque. » Au delà du tolé généré par ces propos homophobes, on peut se demander comment une si grosse entreprise, aux départements marketing et relations publiques sans doute collossaux, peut gérer aussi mal sa communication et s’exposer au bad-buzz avec tant de candeur. Je vous propose d’en discuter avec Florian Silnicki, expert en stratégies d’informations, gestion de la réputation et de crises digitales.

Comment expliquer une telle bourde de la part de Barilla? Dans le climat toujours plus grand (et c’est heureux!) de tolérance à l’égard des homosexuels, peut-on imaginer que Barilla n’ait pas prévu que la question lui serait un jour posée? Et que son fondateur se laisse aller à tenir des propos homophobes en public, sachant très bien qu’ils ne sauraient être tolérés?

Disons le sans détour, ces propos sont inexplicables et inexcusables. Tout dans cette affaire est stupéfiant. Toutes les grandes entreprises savent aujourd’hui à quel point anticiper les crises est crucial. Dès lors, évidemment, anticiper les crises d’un dirigeant qui porte le nom de la marque et qui occupe le poste de Président paraît naturel. Cela ne semble pas le cas pour Barilla qui s’est retrouvée complètement dépassée. Cela a d’ailleurs mis en difficulté les community manager de la marque qui se sont retrouvés pris à partie par les internautes, faute de pouvoir leur apporter une réponse digne de ce nom. Pire, mal conseillée, elle a laissé son dirigeant mis en cause publier sur la page un message d’excuse, accentuant encore plus la confusion entre elle et ses propos. Pire encore, mal rédigée, la réaction du petit fils du fondateur de la marque n’a réussi à duper personne. Fleurant la mise en scène, l’insincérité du propos fut vite démasqué et dénoncé par les internautes qui, habitués à décrypter les mécanismes de communication traditionnelle des marques, ne se sont pas laissés leurrer par cette réaction maladroite.

Au lieu de cela, elle aurait dû se démarquer fortement de ces déclarations scandaleuses et rappeler qu’elle ne les cautionnait pas et qu’ils n’engageaient qu’un homme et non son entreprise, sa marque et ses milliers de talents répartis dans le monde.

Ce qui est particulièrement gênant et regrettable en l’espèce, c’est de constater que la marque, quelqu’ait été son niveau de préparation et d’anticipation (et il semble particulièrement faible et inefficace !) n’a pas un seul instant identifié l’attitude de son président comme une zone de risque potentiel, or c’est la base ! On ne demande évidemment pas à une entreprise d’identifier tous les risques auxquels elle pourrait faire face car cela serait sans fin. En pratiquant la politique de l’autruche et sans doute unanimement dans les équipes Barilla pour ne pas vexer la présidence, chacun a choisi de ne pas préparer de riposte à une crise potentiellement née par les propos déplacés de son représentant éponyme. Cela a d’ailleurs aboutit à la bombe que nous connaissons aujourd’hui.

Des excuses ont par la suite été publiées dans la journée, jugées trop timides par la presse et les offensés, et les appels au boycott se sont multipliés. Comment expliquez-vous la tiédeur de ce démenti, et quelle attitude aurait dû adopter immédiatement Barilla pour redresser la barre et atténuer, si ce n’est faire oublier, la dureté des propos tenus?

Il faut d’abord saluer ce retour à la raison de Barilla. Malheureusement pour elle, il est trop tard pour espérer que cette crise n’ait pas de conséquences durables sur la réputation et l’image de marque de Barilla.

Les mots choisis sont trop faibles. Cette tiédeur est assez révélatrice du fait que la marque sous-estime manifestement la crise à laquelle elle fait face. C’est sans doute aussi ce qui explique qu’elle ne réagisse que si tard aux appels au boycott qui se multiplient, aux pétitions qui circulent et aux critiques massivement diffusées sur les réseaux sociaux.

L’erreur concrète et persistante de la marque fut de ne protéger que la réputation de son président. Elle aurait immédiatement dû mesurer l’importance de s’en dissocier pour mieux redresser la barre. A mon sens, ces propos n’avaient pas à être atténués. Ils sont malheureusement ce qu’ils sont. Il ne faut pas chercher à en atténuer la portée. Il faut honnêtement et humblement reconnaître la faute de l’homme. La faute est humaine. Mais il fallait immédiatement penser à protéger l’entreprise, ses publics et ses hommes (et femmes !). En communiquant pour communiquer sans avoir anticiper la crise et sans même l’avoir gérée, la marque a subi sa communication évidemment inaudible et inefficace sur les publics d’internautes. Il faut d’ailleurs noter que c’est l’absence de réaction propre à la marque qui a fait naitre la crise.

Ce n’est que bien plus tard que la marque a publié un communiqué ferme et décidé sur la question. Comment expliquer ce temps de réaction? Pensez-vous que ce démenti suffira à endiguer les réactions des consommateurs?

Ce démenti ne suffira pas à lui seul à sortir la marque de la crise qu’elle traverse mais était indispensable. Ce communiqué n’était manifestement pas prêt. Même non préparé et anticipé, il aurait dû être publié dans les heures qui suivaient le propos, diffusés au service clientèle de la marque ainsi qu’à une communauté de fans de la marque. Le problème est que la marque n’avait rien préparé et rien anticipé. Elle n’avait donc pas de communauté de suiveurs sur qui s’appuyer. Or, ils auraient été bien plus crédibles que la marque elle-même pour diffuser ses éléments de langage visant à organiser une distanciation maximale entre la marque et ses propos tout en se préservant.

C’est d’ailleurs pour moi l’occasion de faire une mise au point. Dans un ouvrage récemment publié et traitant de la communication de crise et médias des sociaux, il est écrit « le web 2.0 a déjà porté atteinte à la réputation de nombreuses marques ». Je m’inscris en faux avec cette affirmation. C’est désigner les conséquences du mal pour mieux s’abstenir de le traiter et s’en soigner. Dans la majorité des cas de l’histoire des crises digitales, ce n’est clairement pas le web 2.0 qui a porté atteinte aux marques mais les agissements de ces marques elles-mêmes ou de leurs représentants. Le Web et les médias sociaux sont une caisse de résonnance et si les marques doivent y préserver leur image, elles doivent surtout l’intégrer dans toute leur stratégie mais pas l’intégrer pour l’intégrer comme cela semble le cas dans la stratégie de Barilla. Il faut intégrer le web et réfléchir sa stratégie en fonction des spécificités du web et de ses acteurs.

Ainsi s’achève le communiqué Barilla: « Nous mettrons cet incident à profit pour apprendre et progresser de façon à promouvoir davantage encore le chemin de la diversité sur lequel Barilla s’est engagé ». Ici aussi, on parle de promotion, de l’image de la marque plus que d’une volonté profonde. On savait déjà être à l’ère de la communication d’entreprise controlée, j’ignorais qu’il suffisait de prétendre pour convaincre, de cacher des sentiments peu glorieux une fois exposés devant une façade de tolérance… Excusez ma candeur, mais n’est-il pas un peu tard pour prétendre respecter la diversité?

Vous avez totalement raison. Je partage votre avis. La marque et ses conseillers en communication font une erreur d’analyse. La réaction est maladroite et inefficace parce qu’ils tentent d’être empathique. Evidemment la marque doit l’être après une absence de réaction face à des propos si grave. Simplement, elle doit adopter une communication par la preuve. Elle doit donc s’engager. Elle doit mettre en œuvre une action forte visant à démontrer la sincérité de son engagement pour la diversité et la lutte contre les discriminations.

Jouer sur la distinction entreprise/fondateur, n’est ce pas un peu facile? Cette pirouette ne risque-t-elle pas, au contraire, d’entacher encore plus la crédibilité de la marque?

Je pense qu’il était primordial pour la marque de se distancier des propos de son fondateur.  Ne pas réagir, c’était prendre le risque de tuer le capital confiance des clients en la marque. Cela n’excuse rien et la marque comme son dirigeant doivent en tirer des leçons pour l’avenir.

Les concurrents de Barilla en ont profité. Entre Buitoni qui publie: « Chez nous, il y a de la place pour tout le monde. » et Garofalo qui clame: « Les seules familles qui n’achètent pas notre marque sont celles qui n’aiment pas les bonnes pâtes. », va-ton vers un afflux de publicités pour les pâtes mettant en scène des homosexuels? Ne risque-t-on pas l’effet mixité forcée, trop marketée et du coup peu crédible pour les consommateurs?

Les consommateurs sont de plus en plus informés, avertis et ne se laisseront pas duper par cet arrivisme. Les marques concurrentes ont raison d’en profiter, mais elles ne doivent pas sous-estimer la capacité des internautes à renverser la situation. S’ils s’aperçoivent que l’une d’elles n’est pas irréprochable en la matière, la crise se répercutera encore plus violemment à son égard.

Vous dites: « Barilla a démontré toute la désuétude de sa conception d’internet », qu’entendez-vous par là?

Mon propos est de regretter qu’une marque aussi importante ait géré sa communication de crise en 2013 comme en 1990. Les réseaux sociaux ont bouleversé la gestion de crise. On ne peut pas vouloir imposer aux internautes un message. On ne peut pas par une mise en scène vulgaire et des propos insincères croire pouvoir les convaincre. On ne peut pas poster un message sur une page Facebook et se laver les mains de la responsabilité de ses propos. C’est avoir une conception bien trop hiérarchique de l’information. Nous sommes dans l’air de la conversation. Il faut dialoguer avec les internautes pour tenter de les convaincre de relayer votre message auprès de leurs cercles d’amis. Pour cela, il faut que le contenu proposé soit adapté et susceptible de les pousser à s’engager sur celui-ci en le partageant sur leurs propres réseaux sociaux. Bref, ou ce groupe n’a rien compris à internet ou ses conseillers ont élaboré, à tort, une stratégie de riposte à crise désastreuse car déconnectée des réseaux sociaux qui ont pourtant contribué à la créer et continuent d’ailleurs à l’heure où nous échangeons à l’amplifier.

Si l’on considère que le scandale de la viande de cheval dans les produits bovins Findus est aujourd’hui (d’un point de vue médiatique pour le moins) oubliée, pensez-vous que le scandale Barilla (dont la qualité des produits n’est ici pas en cause) puisse faire du tort à la marque sur le long terme?

Oui. Je pense que cela n’aura pas d’impact important à court terme. Vous savez, les ventes de Guerlain n’ont jamais été aussi importantes que dans l’immédiat moment des propos inqualifiables de son nez historique. Cela s’explique simplement par le fait que les consommateurs avaient la marque à l’esprit, ce qui facilitaient classiquement l’acte d’achat. En revanche, à long terme, et on le voit encore aujourd’hui, l’image de marque comme la réputation et l’e-réputation de la marque sont ternis et même salis, ce qui freine le consommateur dans son cheminement traditionnel d’achat et a donc un impact sur le volume des ventes. C’est clairement ce que n’a pas su éviter Barilla.

Pour finir, ces discussions sur l’image de marque et les stratégies de communication, est ce que ça ne fait pas oublier le fond du problème, le manque de tolérance encore trop grand envers les homosexuels? Ces problématiques n’auraient pas lieu d’être si un certain chef d’entreprise avait fait preuve d’une plus grande ouverture d’esprit? (Même si j’admets, en tant que webmaster de ce blog, qu’il est bien plus facile d’en parler de ce point de vue)

 Sans doute. Je partage votre analyse. Je crois en l’intelligence collective. J’ai une conviction forte : il ne faut pas braquer la société française sur ces questions. Ce chef d’entreprise aurait dû être mieux mediatrainé et se contraindre comme cela est classique à ne parler que de sur quoi il était légitime. Il n’aurait dû ne s’engager que sur son terrain, celui de son expérience, de son expertise. En s’aventurant en dehors de son champ naturel d’intervention, il a glissé. C’était le risque. Il a manifestement sciemment pris ce risque. C’est irresponsable. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux de la fonction qu’il occupe dans l’organigramme de Barilla. Il ne pouvait pas ignorer que tous ses propos, encore plus un de ce type, impacterait sa marque et ses employés.

Merci Florian pour cette analyse de l’actualité! Et pour ceux qui sont fans de ces questions de statégies d’informations et de réputation digitale, je vous invite à suivre son blog sur le sujet: http://floriansilnicki.fr