Le 27 janvier, c’était la journée de la mémoire en Italie, pour évoquer la Shoah et rendre hommage aux innocents disparus. A cette occasion, on pouvait ces jours derniers visiter le nouveau mémorial créé sur un lieu hautement symbolique: le binario 21, c’est à dire le quai de gare d’où partaient les convois emmenant les juifs vers les camps d’extermination. Un lieu tristement historique et unique en Europe qui, enfin, sort de l’oubli pour rappeler la responsabilité de chacun dans les tristes événements passés. J’ai eu la chance lundi de participer à une visite guidée et, comme l’endroit n’est pas souvent ouvert, je vous en fait « profiter »!
Sachez tout d’abord que le lieu est intimement lié au fonctionnement de la gare: les voies de dèpart et d’arrivée sont au 1er étage et surplombent la ville, et c’est donc au sous-sol que se déroulaient les faits, sur une zone appelé binario 21 (la voie n°21) qui servait auparavant au chargement et déchargement des wagons postaux et qui a, entre 1943 et 1945, été utilisée pour charger sur des wagons à bestiaux, conçus pour transporter 8 chevaux, les juifs et autres déportés emmenés vers les camps de travail ou d’extermination. Il s’agit donc d’une zone de manoeuvres sous la gare, dotée d’un monte-charge qui élève ensuite les wagons, quelque part entre les voies n°18 et 19, à hauteur des quais.
C’est dans cet endroit souterrain, et volontairement laissé dans une quasi-obscurité, qu’a été créé le mémorial dédié à la fois aux disparus et aux vivants, dans l’espoir que ces derniers ne deviennent des « indifférents ». J’ai aimé la sobriété des aménagements: le lieu se veut un témoignage et non un musée, et presque tout a été laissé en l’état: la voie, le ballast, les wagons d’époque. Parce que nul n’est besoin de fioritures pour accentuer l’effet provoqué par la vue de ces wagons clos, pour évoquer l’horreur dont une simple liste de noms au fond indique le nombre de victimes. Entre le 6 décembre 1943 et le 30 janvier 1944, 774 personnes ont pris place dans ces trains à destination d’Auschwitz-Birkenau, et seules 27 en sont un jour revenues.
Notre guide en profite pour nous rappeler les lois raciales en application alors: le port de l’étoile jaune, le mariage mixte défendu mais aussi, anecdotiques mais tout aussi symboliques, les interdictions d’apparaître dans l’annuaire, de posséder une simple carte de pêche ou même un pigeon voyageur (eh oui…) Etaient-il besoin aussi de nous rappeler les conditions de voyage et de détention des déportés? Oui, sans doute, car nul ne doit oublier qu’un jour des hommes ont avili, torturé et tué. Et si la guide invite les enfants présents à crier un nom de la liste au mur dans le recueillement des lieux, c’est pour souligner ceci: se souvenir, ce n’est pas pleurer ou s’apitoyer, c’est justement maintenir vivant ce sentiment d’indignation qui nous prend à ce rappel des faits, c’est tenter de construire un monde plus juste où tout un chacun oeuvrerait pour laisser ce type de tragédie au passé…
A la fin de la visite, un lieu de reflexion a été aménagé: un cône tronqué de 60m2 où les visiteurs peuvent prendre place pour méditer, sur cette histoire de roi danois ayant refusé de livrer ses citoyens juifs, sur la condition humaine, la désobéissance civile, cette tradition juive de déposer des pierres sur les lieux du souvenir, le courage et la responsabilité… D’ci peu, le mémorial sera aussi doté d’une bibliothèque, d’un centre de reherches et d’un auditorium, et devrait être ouvert au public plus fréquemment. Pour l’instant, les réservations ne sont ouvertes que les premiers et troisièmes jeudi du mois, et chaque année à l’occasion de la journée de la mémoire le 27 janvier.
Pour réserver: coordinamentomemoriale@memorialeshoah.it
N’oublions pas qu’un des plus grands écrivains sur les camps était italien : Primo Levi « Se questo è un uomo » !