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Voici venu le retour de l’instant culturel… Et qu’avons-nous aujourd’hui dans notre besace? Des voyages pour Rome, Naples, New-York et la République Dominicaine… Tout ça sans quitter Milan, avec en plus des leçons de solfège, d’inédites recettes de bronzage et la recette des nems au chocolat, le tout en six livres et quelques nuits blanches… (un billet à l’origine destiné à une publication aoûtienne, d’où le titre honteusement mensonger)

On commence avec Corps et âme de Frank Conroy, roman d’apprentissage et chef d’oeuvre inattendu (du moins pour moi qui ne suis pas musicienne, et n’ai jamais réussi à tirer d’une guitare autre chose que les trois premiers accords de Zombie des Cramberries). On évolue ici autour d’un piano, à New-York dans les années quarante, de leçons de maintien en répétitions, de concerts en théories sur la mélodie, par dessus l’épaule de Claude, jeune pianiste prodige, que la musique sauvera d’un quotidien glauque en même temps qu’elle l’isolera dans l’hermétique solitude du génie. Un livre qui se lit d’une traite, sans lever les yeux du papier, comme un musicien ne peut se distraire de sa partition avant la fin du morceau… (En prime, on y apprend deux trois combines citadines, comment récupérer les pièces dans les bouches d’aérations du métro ou se faire quelques sous avec les bouteilles consignées) (ben quoi? c’est la crise ou bien?)

On passe à L’Enquête de Philippe Claudel. Oui, l’Enquête avec une majuscule, une manière d’en faire l’archétype de toutes les enquêtes, voire l’Enquête Supreme, comme le sont nombre de mots-clés du livre: un homme se rend en ville pour enqueter sur des suicides suspects dans une Entreprise, surveillée par un Gardien anonyme et gérée par le Responsable sans nom. Une histoire de fous qui n’est pas sans rappeller le Château de Kafka dans l’illustration d’une mission, d’un but inatteignable dont tous cherchent à détourner l’Enquêteur. Une lecture qui s’effectue dans un état de stress permanent qui ne fait que préfigurer celui infligé au personnage principal, poussé à la folie et jusqu’au désir d’en finir (mais d’en finir avec quoi?). Un livre qui vous happe et entretient un délicieux qui-vive littéraire et nerveux, et dont le final, loin d’appaiser le Lecteur, ne fera que laisser planer le doute…

On part ensuite à la mer avec les Nourritures marines de Cécilia Norick, recueil d’histoires à voiles ou à bon port où s’entremèlent relations familiales, pêche au requin, superstitions océanes et voyages lointains. Si certaines de ces nouvelles manquent selon moi de sel, les recettes qui émaillent chaque situation, retour au port ou pique-nique sur le pont, font subitement rêver de beignets de sardine au retour de la pêche, voire de cales débordantes de morue (si)

Mais redevenons sérieux pour évoquer mon grand enthousiasme pour La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao de Junot Diaz. Pourtant commencé puis lâchement abandonné l’année dernière, je n’en ai fait, en un week-end de fin juillet, qu’une bouchée. Je ne sais pas vous, mais je ne savais rien (mais genre, rien de rien hein) de l’histoire de la République Dominicaine, la dictature de Trujillo, celle de ses successeurs, la diaspora vers les Etats-Unis, les relations avec Haiti, Cuba etc…  Ici, Junot Diaz s’efforce de combler ces lacunes au travers du destin d’une famille immigrée aux Etats-Unis, le fils obèse féru de SF et de culture populo-trash, l’athlétique fille indocile, la mère hystérique et la bienveillante Inca restée au pays, détentrice des secrets de la malediction qui frappe la lignée, et se confond avec celle qui frappe tous les dominicains, celle de l’oppression folle d’un tyran dont le nom seul a le don d’attirer sur qui le prononce le fléau de son joug. E-blou-i-ssant!

Mais revenons plutot en Italie avec Magari d’Eric Valmir (juste derrière le Pulitzer 2008, comme promis!), pour entrevoir dans le fulgurant flashback d’un jeune romain accidenté ce que fut la Rome des années 70 à 2000. Les baignades dans le Tibre et l’épouvantail communiste, la gouaille populaire, l’héritage mussolinien et l’arrivée au pouvoir de Berlusconi (sur cet étincellant fondement: je ne veux pas cette place pour l’argent, je suis déjà pété de tunes, que je rêverais de pouvoir asséner lors d’un quelconque entretien professionnel). Vision d’un passé orientée par ce qui fera l’histoire de l’Italie, et qui ne pouvait donc s’écrire qu’à rebours: les problèmes liés à l’immigration, les médias tout-puissant, la démagogie du président du conseil, les alliances politiques incongrues… Et puis, survolant tout ça, le quotidien d’un adolescent ébloui par l’amitié, les oliviers, le foot, et plus tard l’amour et les sardines farcies (si). Une Italie à la fois fantasmée et bien (trop) réelle, mais où sourd l’essence de ce qui pourrait être. Magari.

Et enfin, partons pour Naples avec Montedidio d’Erri de Luca! Lu en italien (merci Sophia) juste avant de partir en vacances, en quête d’exotisme napolitain, de sauce tomate qui fume et de linge au soleil… Pour les clichés ensoleillé, on repassera, mais sous le froid hivernal, les histoires d’inceste, l’évocation de la maladie, un quotidien pas franchement joyeux et quelques échardes de bois dans les mains sourde l’incroyable talent évocateur de l’auteur, qui en quelques chapitres, qui sont plutot des paragraphes, comme les bribes d’un récit échevelé et pourtant au jour le jour, réussit à camper des personnages comme des roseaux dans la tempête, Errico, Maria, le père sans nom et Rafaniello le cordonnier dont la bosse cache des ailes prêtes à s’ouvrir… Car tout ici est histoire d’ailes, du boomerang préfigurant l’envol à la plume du narrateur qui libère le soir venu les mots et les rêves sur la ville, du haut de son toit de Montedidio, ville au nom usurpé, sorte de piédestal monumental et bancal (et dont la traduction en français sonnerait presque comme un délicieux juron, sorte de Mondedieu! à la face du monde endormi…)

Et voilà! On se retrouve très vite pour un nouvel instant culturel (vu qu’on a pris du retard, votre dose de culture sera doublée pour la rentrée!) Et vous, racontez-moi tout, qu’avez-vous lu cet été? A part les instructions de tartinage de votre crème indice 30, s’entend? Du palpitant, de l’épatant, du beau, du bon (du bonnet de bain!)?