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Depuis mon arrivée à Lyon, et n’étant pas encore dotée des biens nécessaires à la vie moderne en milieu urbain (comprenez: j’ai pas de four, ni de placard à balais, ni de machine à laver), je me vois dans l’obligation de fréquenter ces halls de vie publics plus communément appelé laveries automatiques. Une plaie? Pensez-vous, j’en rêvais! (je suis une fille simple, j’ai des rêves très abordables vous voyez) Le lavomatic, ça sonne vie étudiante trépidante, ça fleure bon les chroniques d’Armistead Maupin que je lisais dans ma jeunesse (sauf qu’à San Francisco il se passait des trucs pas très avouables entre le distributeur de lessive et l’essoreuse), ça me rappelle ma laverie alternative milanaise préférée (et aujourd’hui disparue), en bref ça me rajeunit comme c’est pas permis. D’où mon enthousiasme débridé pour les bancs de bois et les odeurs de lessive, les séchoirs qui font voltiger les chaussettes et les conservations accoudées aux machines à laver (on est d’accord, ça me passera sans doute, mais pour l’instant, laissez-moi me réjouir en paix). Autre bonus, la possibilité, que dis-je l’obligation, de ne plus sortir sans un roman à lire en regardant les débardeurs tourner derrière le hublot. D’où (et j’en viens finalement au fait) mon appétit littéraire débridé ces temps derniers.

shelly king roman

Commençons avec un livre qui devrait plaire à tout le monde: ça se passe dans une librairie, ça s’adresse aux amoureux des livres, ça prône la victoire des saines valeurs et de la culture sur l’appât du gain et y’a une (et peut-être même deux) histoires d’amour vrai! Mais le risque que ce soit du même coup un peu sirupeux est habilement évité par un décor un peu loufoque (la loose dans la Silicon Valley n’est pas plus verte qu’ailleurs), une bonne dose d’humour et un début tout sauf mièvre: « Les livres ne changent pas la vie, du moins, pas comme on le pense. Lire […] ne vous rend pas plus éclairé que tournoyer dans des tasses géantes à Disneyland. Et les livres d’occasion qu’on trouve ici au Dragonfly ne sont pas infusés de davantage de sagesse que ceux flambant neufs vendus chez Apollo Books & Music. [Ils] sont juste moins chers et plus abimés. » Ca tombe sous le sens, mais ça méritait d’être dit, tout comme mérite d’être lue cette amourette épistolo-littéraire sur fond d’étagères poussiéreuses et de 21e siècle désabusé… Le coeur entre les pagesShelly King

douglas coupland

On avait déjà parlé de Douglas Coupland l’année dernière à l’occasion du délirant Génération A, et j’étais ravie quand j’ai reçu le nouvel opus, La pire. Personne. Au monde. qui sort dans quelques jours. Lu en quelques jours avec jubilation en ricanant derrière mon baril de lessive (en vrai j’utilise des dosettes, mais j’aime bien l’image), si ce livre n’a pas selon moi la profondeur du précédent, il est doté d’une qualité précieuse: son absence totale (mais vraiment totale) d’esprit politiquement correct. Le tout grâce à Raymond Gunt, personnage détestable qu’on se réjouit de ne croiser que sur papier, abject et décomplexé, dont la verve provocatrice n’épargne rien, ni les femmes, ni les gros, ni les pauvres et dont l’auteur se sert pour délivrer a passage quelques vérités bien senties sur les médias, les relations humaines et la musique pop. C’est ordurier, provocateur et parfois un peu abscons, mais parfaitement jubilatoire, soit le livre pour les trajets quotidiens de rentrée, quand la grisaille et la promiscuité auront dressé quiconque contre l’humanité!

titiou lecoq roman

Autre auteur dont j’avais déjà parlé ici, Titiou Lecoq, pour dire que j’avais bien aimé son livre les morues, même si dans mon snobisme patenté je m’étais empressée de préciser que ce n’était pas non plus le chef d’œuvre de l’année (la demoiselle ne manquerait sans doute pas de me rétorquer que, si elle n’est pas Victor Hugo, je ne suis pas non plus Bernard Pivot). Mais venons-en au fait: La théorie de la tartine, si contrairement à ce que laisserait penser son titre ne parle pas confiture, est aussi addictif qu’un pot de miel, aussi croustillant qu’un toast grillé. Qui ne rêve pas d’écouter les bonnes vannes de copains attachants, tout en en apprenant plus sur les communautés virtuelles et le Big Data? Et de s’entendre dire, une fois n’est pas coutume, que le web c’est aussi beaucoup d’amour, d’humour, de rêve de liberté? Je ne sais pas vous, mais moi, c’est exactement le genre de choses que j’ai envie d’entendre au petit déjeuner!

stephen king

Je voulais aussi vous parler de Duma Key de Stephen King*, un de mes auteurs favoris dans ma jeunesse et dont je reconnais, aujourd’hui encore, l’immense talent de conteur et la justesse dans l’art de bâtir des dialogues. Quand je suis arrivée à Lyon, toute seule avec mon sac à dos et la perspective de passer la nuit dans mon nouvel appart vide sur un matelas gonflable par 35 degrés en attendant que le Mec et le camion n’arrive 2 jours après (cette phrase est trop longue ou c’est mon histoire qui est compliquée?), je suis entrée dans le premier Relay de gare venu en sachant très bien ce que j’y cherchais: un livre épais pour nuit blanche avec une histoire bien ficelée. Un roman de Stephen King donc. Et quand j’ai vu Duma Key, j’ai tout de suite su que sa couverture fuchsia à base de typo grinçante et de palmier sur soleil couchant s’accorderait parfaitement au minimalisme de mon campement. Une histoire à la fois délirante et fort simple, une fois admis ce parti-pris: les mutilés développent une sorte de 6e sens pour compenser la perte de leur membre manquant, et ceux qui prennent un coup sur la tête deviennent des sortes de médium pour entités pas toujours bien intentionnées. Ce préambule posé, plus rien ne vous empêche d’entrer dans le roman, et d’y suivre Edgar d’atelier en galerie d’art, de plages de sable fin en maisons hantées, à la recherche du secret de l’île. C’est haletant et drôle, parfois cliché et un brin trop truqué mais comme toujours bien ficelé, et ça a comme prévu suffit à sauver ma soirée!

culture lavomatic

*C’est un hasard si 2 auteurs de cet instant culturel porte le nom de King, et pourtant! Pendant des années, j’ai hanté les allées de la bibliothèque municipale dans l’attente que les nouveautés de Stephen King sortent des listes des réservations où je me refusait par principe à inscrire mon nom (je trouvais ça honteux que des livres acquis pour la collectivité ne soient en réalité disponibles que 6 mois après!) (la jeunesse est pleine de principes, oh yeah!) (toute référence à Antoine est absolument fortuite) (quoique j’en dise souvent, je n’ai pas 200 ans!) Bref, j’ai du coup découvert tout un tas d’auteurs à la lettre K, dont la femme de, mais aussi Barbara Kingsolver ou Dean Koontz, et je pense que ma fiche-lecteur de l’époque m’aurait donné l’air d’une maniaque alphabétique.

Et vous, qu’emportez-vous dans votre valise cet été ? Et  la laverie, vous me conseilleriez quoi pour m’occuper? Je m’excuse au passage pour mes notes à astérisque kilométriques et je vous laisse, j’ai un roman initiatique et une pile de linge sale qui m’attendent !