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Raaah ça y est on arrive à ce moment de l’année où je n’en peux plus du manque de lumière, des pulls et des chaussettes en laine! Ajoutez à ça une actu pourrie, quelques insomnies, des nouvelles familiales guère enthousiasmantes et vous avez un bon cocktail pour déprimer. Je ne sais pas comment vous gérez ça de votre coté (car je n’ai pas l’outrecuidance de me croire la seule atteinte par cette déprime saisonnière) mais moi le seul truc que j’ai trouvé, c’est de lire encore et encore. Quel mécanisme d’auto-guérison cela produit-il produit chez moi? La fiction a toujours été le seul truc qui me faisait relever la tête dans ces moments-là. Du coup l’instant culturel est assez fourni, et j’ai assez d’en-cours pour m’étourdir jusqu’au retour du soleil et (on espère fort) des bonnes nouvelles.

roman laurent mauvignier

Loin d’eux – Laurent Mauvignier : Pour le coup, même si j’aime bien cet auteur découvert récemment, je ne recommanderais pas franchement sa lecture pour se remonter le moral. Disons qu’ici il est quand-même question d’un suicide, de relations familiales compliquées et de la difficulté de vivre ensemble, même quand on s’aime. Mais c’est quand même un très bon livre, et j’ai adoré l’alternance des narrations par les différents personnages de l’histoire. Ce va-et-vient montre à quel point on peut avoir des visions complètement différentes d’un même événement, au point de se demander si on était bien ensemble quand les choses ont été dites ou quand les faits se sont produits.

roman laurent mauvignier

Seuls – Laurent Mauvignier : On continue sur la lancée avec cet autre roman du même auteur. Tony voudrait disparaître; ça ne changerait pas grand chose d’ailleurs, puisqu’il ne parle plus à son père, qu’il ne va déjà plus au travail et que Pauline, la grande affaire de sa vie, n’a jamais vu en lui qu’un bon copain. Mais le livre ne raconte pas seulement la solitude de Tony. Il raconte celle de tous les personnages, qui se croisent sans jamais se trouver, se parlent sans jamais vraiment se comprendre. Dans ce livre aussi, l’alternance des voix déconcerte et accentue cette impression de solitude à plusieurs, d’impossibilité de communiquer. Et si le roman finit de façon dramatique, on n’est pas sûr qu’il y ait eu vraiment quelque chose à gâcher, quelque chose de solide à vivre ensemble qui vaille la peine, et c’est sans doute ça le plus triste.

roman capucine et simon johannin

Nino dans la nuit – Capucine et Simon Johannin : C’est un ami qui m’a offert ce livre pour mon anniversaire, et j’ai beaucoup ri en le commençant, puisque le récit s’ouvre sur un type qui tente d’échapper à sa vie en s’engageant dans la légion étrangère (j’en profite pour passer un appel aux libraires de la Rive gauche à Lyon, si jamais vous passez par-là, j’aimerais beaucoup savoir ce que cet ami vous a dit pour que vous lui recommandiez ce livre pour moi). Mais la chance a voulue qui, primo, le jeune Nino soit recalé aux tests d’entrée et retourne affronter sa vie, et deuzio, que le livre soit excellent, malgré une ambiance moyennement jouasse (coucou la pauvreté, les jobs merdiques, les proprios véreux et le gout du danger). J’ai trouvé ça remarquablement écrit et l’ai lu quasi d’une traite (en plus l’édition est très chouette et le papier d’une qualité démentielle).

Dans une interview parue en janvier 2019, l’un des auteurs Simon Johannin confesse que « Nino entretient un rapport fictionnel et grandiose à l’existence »; je n’aurais pas trouvée formule plus juste, et c’est ça sans doute qui m’a tellement plu dans ce livre, cette volonté de sublimer le réel, sans compter que j’ai un faible pour les auteurs qui savent parler d’amour et les personnages qui, comme Nino Paradis, ont des noms de légende.

roman baclofène alix de saint andré

L’angoisse de la page folle – Alix de Saint-André : (Je sais, on avait dit que la lecture était sensée remonter le moral, et après un livre sur un suicide et un autre sur la lose qui colle à la peau, je vous sors un titre avec le mot « angoisse » dedans, mais je vous avais dit l’autre jour que ma bibliothèque manquait de livres drôles) Ce livre, j’en ai entendu parler pour la première fois dans un magazine de salle d’attente il y a quelques années, et l’histoire m’avait interpellée. Journaliste et écrivain, Alix de Saint-André est aussi une fumeuse invétérée. Alors qu’on commence à parler d’utiliser le baclofène, un relaxant musculaire réputé sans effets secondaires, pour soigner l’addiction à l’alcool, une amie psy lui propose d’expérimenter les effets du traitement sur sa tabagie effrénée.

Très vite, sa vie change; elle fume toujours autant, mais ne ressent plus le besoin de dormir ni de manger et surtout, elle peut écrire sans discontinuer et sans plus craindre la fameuse page blanche, terreur des écrivains. Le hic, c’est qu’elle est aussi prise de délires mystiques, finit par avoir des hallucinations, souffre de paranoia et se croit au centre d’un grand projet pour sauver le monde, rien que ça. Un parcours qui la mènera en hôpital psychiatrique et dans un long processus de sevrage, et qui l’empêchera longtemps d’écrire et de trouver le sommeil. Dans ce livre, paru 8 ans plus tard, elle replonge dans ses souvenirs, ses notes de l’époque et ses échanges par mail avec son médecin, pour tenter de retrouver le fil de ce qui s’est passé. J’ai trouvé l’histoire passionnante mais la lecture souvent fastidieuse (échanges de mails sans intérêt majeur, répétitions de posologies, dates, notes reprises au mot près etc.), comme si la volonté de documenter l’expérience de façon exhaustive avait fini par primer sur le récit.

roman patrick delperdange

C’est pour ton bien – Patrick Delperdange : (Hum, encore un sujet qui se prête à la rigolade dites donc, on va parler violences conjugales) La disparition de Camille, une jeune femme sans histoires, ne pouvait que soulever les interrogations de ses proches, et notamment de sa meilleure amie Maëlle. N’a-t-elle pas su décoder les appels au secours de Camille? Et pourquoi son mari se montre-t-il aussi brusque? Et qui est Antoine, ce vagabond qui semble en savoir plus long que quiconque sur la jeune femme? Lu d’une traite (coucou l’insomnie), j’ai beaucoup aimé le flou autour des personnages : la bonne copine pas aussi attentive qu’elle le prétend, le mari vrai/faux inquiet, l’inspectrice dont on ne sait si elle est une alliée, le frère dont on se sait s’il est un ennemi ou s’il a été volontairement écarté, le clochard qui croit avoir démêlé toute l’histoire…

On ne sait pas qui croire, de qui prendre le parti, et il est compliqué d’octroyer sa sympathie à l’un ou l’autre des personnages. Au-milieu de tout ça, il y a Camille, dont on ne sait au fond pas grand chose, comme si elle était définie, non pour elle-même, mais dans ses rôles vis-à-vis des autres: la sœur, l’épouse, l’amie. Et qu’on espère très fort, tout au long du livre, retrouver pour qu’elle goûte enfin à la liberté.

recueil nouvelles concours george sand

Il aurait suffit de presque rien – Ouvrage collectif : L’ouvrage réunit les sept textes choisis par le jury du concours de la nouvelle George Sand. Des textes exclusivement écrits par des femmes, en 2019 autour du thème « Il aurait suffit de presque rien » (qu’allez savoir pourquoi, toutes ont plus ou moins interprété sous les auspices de la catastrophe – le féminicide, la Shoah, l’incendie, la mort – vous voyez que je ne suis pas la seule à broyer du noir).

J’aime beaucoup les nouvelles, c’est un format compact, qui surprend, mais qui donne parfois à penser autant qu’un gros roman. Ce n’est pas juste plus court, c’est plus condensé, et l’intensité de la lecture compense les détails qu’on aurait aimé avoir, la description d’un lieu ou d’un personnage qu’on aurait aimé mieux se représenter. Du coup il m’est difficile de vous en parler sans en dire trop, de dire pourquoi j’ai beaucoup aimé les nouvelles d’Alice Quantin, de Maryse Petit et de Valérie May-Pige sans risquer de faire s’évaporer tout ce qui fait leur saveur. Aussi je ne peux que vous conseiller de les lire, comme on déguste une limonade à petites gorgées, en appréciant que tout à la fois ce soit doux et que ça pique !

essai sur l'écriture marguerite duras

Ecrire – Marguerite Duras : (Ahem non, ceci n’est toujours pas un livre comique. Du coup je ne m’explique toujours pas que lire me remonte le moral, suis-je un peu masochiste?) Ce livre comporte 5 parties, et je ne vous parlerai que des deux premières, que j’ai trouvées éblouissantes et après lesquelles la suite m’a semblé du remplissage (ok, du remplissage de qualité, mais tout de même). Dans ces deux premières parties, Duras parle tout d’abord d’écriture, des lieux où on écrit, de ce qu’on sait de ce qu’on écrit avant de l’écrire, de ce qu’on en perd en l’écrivant. Je ne sais pas si ça parle à ceux qui n’écrivent pas, mais moi ça me crie dans les oreilles à plein volume.

Ensuite, Duras parle d’un jeune aviateur anglais, tué le dernier jour de la guerre et enterré à Vauville dans le Calvados, près de l’église. Un jeune homme qu’elle ne connait pas mais qui va prendre une importance démesurée dans sa vie. Elle écrit cela, et cet aviateur de 20 ans dont elle n’a jamais parlé jusqu’alors, va devenir le centre de son récit. Ce que cette mort signifie pour elle, ce qu’elle n’a jamais osé dire, demander à son sujet. C’est un récit qui n’existe que pour elle, et qui l’oblige à formuler cette part d’elle, inconnue de tous, reliée à l’aviateur anglais. C’est un exercice incroyable, une tentative de dire ce qu’on a au fond de soi, je pourrais le relire cent fois et le trouver toujours juste, essentiel, sans pourtant pouvoir le saisir entièrement. Parce que ce lien n’existe que pour elle, et que toute tentative pour l’écrire est forcément incomplète.

instant culturel completementflou hiver 2020

Voilà, l’instant culturel est fini, et j’espère que vous ne comptiez pas trop dessus pour vous remonter le moral en ce nuageux lundi. Promis je vais essayer de faire provision de livres un peu plus gais lors de mon prochain passage en librairie (mais j’ai déjà réservé « une histoire de France » de Joffrine Donnadieu à la bibliothèque, une histoire d’inceste située dans une ville horrible où j’ai vécu quelques années pendant mon adolescence, donc pour la rigolade c’est plutôt mal parti).

Donc petit défi personnel, vous concocter un prochain instant culturel à base de livres drôles, ou au moins optimistes et gais ! (En écrivant ces mots je réalise que tout en haut de ma PAL il y a « Tout est foutu » de Mark Manson, mais je le fais exprès ou quoi?!) Bref aidez-moi! Balancez vos titres rigolos, vos bons souvenirs de lecture qui donnent le sourire et vos romans qui finissent bien préférés!