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Je ne sais pas si vous avez remarqué, les instants culturels se succèdent et se ressemblent vaguement. A chaque fois je me plains d’avoir trop tardé à écrire, de ne pas savoir être un peu plus concise et je promets sans trop y croire de m’améliorer au niveau assiduité. Ajoutez à ça quelques fixettes sur des auteurs (Romain Gary, Benacquista, Stephen King, ou plus récemment Paul Auster et Truman Capote), quelques tics d’écriture auxquels vous avez dû vous habituer, et vous obtenez une petite routine bien huilée ! Cette fois encore, je m’y remets avec l’impression d’un retard à rattraper, et y’a Auster et Capote dans la fournée… Arghh, suis-je donc condamnée à me répéter?

En fait, je crois que c’est assez normal, car avec mes lectures j’ai l’impression de suivre une sorte de fil, comme si les livres, entre eux, se répondaient. C’est ce qui m’amène à cette tentative d’épuiser tout auteur ou sujet qui semble répondre à une question posée, et qui m’amène à relire, parfois, sur la base d’un vague écho ou souvenir, des volumes entiers. Du coup, forcément, ça se répète parfois, et je ne sais pas trop où ça va. Comme l’a si bien dit Truman Capote (encore lui): « sur le plan intellectuel, je suis un auto-stoppeur qui glane sa culture au bords des routes et sous les ponts ».

Mais après cet avant-propos qui, comme d’hab, a duré des plombes, commençons !

prières exaucées roman capote

Prières exaucées – Truman Capote : Dans le dernier instant culturel je vous disais que j’avais relu récemment  Musique pour caméléons de Truman Capote et que, comme la première fois, je l’avais adoré. La préface (ou était-ce la notice biographique?) mentionnait un autre ouvrage, que l’auteur considérait comme son chef-d’oeuvre et auquel il a travaillé longtemps: Prières exaucées. Entre roman initiatique et galerie de portraits, l’auteur y campe un écrivain raté, P.B. Jones, sorte d’alter-ego dont les aventures servent de prétexte à une critique incisive des mœurs mondaines. Si certains échanges y sont réjouissants (Capote est imbattable en matière de dialogues), j’avoue avoir été un peu déçue par ce récit volontairement provocateur.

Là où Capote annonçait une peinture proustienne, on trouve surtout une volonté de choquer ses contemporains. Si certains chapitres ont été publiés de son vivant et ont fait scandale, d’autres ont été perdu (ou détruits, ou jamais terminés?) et le texte publié à titre posthume demeure incomplet. Néanmoins, savoir que son éditeur a accordé à Capote des avances colossales pour son écriture et que celui-ci, tout en menant grand train, ne l’a jamais livré, prête à sourire et fait figure de joli pied de nez à une gloire qu’il méprisait tout autant qu’il la désirait.

meg wolitzer les intéressants

Les intéressants – Meg Wolitzer : Ce livre m’était plusieurs fois passé entre les mains en librairie mais, allez savoir pourquoi, d’autres m’avaient à chaque fois semblé plus tentants. Mais ça, c’était avant que Glenn Close ne remporte le Golden Globe 2019 de meilleure actrice pour son rôle dans The wife de Björn Runge (Ça n’a l’air d’avoir aucun rapport, mais en fait si). Comme le trailer m’avait beaucoup plu, j’ai voulu voir cette histoire de femme dont le mari vient de remporter le prix Nobel de littérature, et dont on comprend vite qu’elle a en réalité écrit les livres, mais j’ai découvert qu’il n’était sorti en France qu’en e-cinema (sans le Golden Globe, il ne serait d’ailleurs même pas sorti!) (Ben voyons, une histoire centrée sur une femme avec une actrice d’âge mûr, ça intéresse qui?) (grrr).

Passons, j’ai finalement vu (et beaucoup aimé) le film, et en cherchant de quel livre il était tiré, je suis tombée sur le nom de Meg Wolitzer (Vous voyez, on y revient). Partie chez mon fournisseur de livres d’occasion préféré, je n’ai pas trouvé L’épouse, mais j’ai retrouvé Les intéressants, et cette fois rien au monde n’aurait pu m’empêcher de l’acheter (C’est un peu comme si son moment était venu, je ne peux pas mieux l’expliquer).

C’est un gros livre (plus de 700 pages), mais finalement pas tant que ça si on considère qu’on suit ses personnages de l’adolescence à l’âge mûr, de leurs premiers émois au moment où ils deviennent, à leur tour, parents d’adolescents. En ce sens, ça m’a un peu rappelé les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin que j’avais dévorées quand j’étais ado, et qui m’avaient laissée infiniment triste, convaincue que la vie passe trop vite mais aussi qu’il faut, férocement, sans tergiverser, en profiter. Ici, l’histoire est centrée sur un groupe d’amis qui se rencontre, puis se retrouve chaque été à Spirit-in-the-Woods, un camp de vacances proposant de nombreuses activités artistiques et culturelles. Musique, théâtre, danse, films d’animation intègrent ainsi la vie de ces jeunes qui se mettent à rêver d’en faire leur métier. Certains connaîtrons le succès, d’autres non, certains abandonneront tout ou frôleront la prison… De ces parcours divergents naissent des rivalités, des jalousies, des mensonges aussi, mais tous resteront soudés par le souvenir de ces étés où tout était encore possible.

Je vous ai choisi un petit extrait, situé vers la fin du livre, que j’ai beaucoup aimé :

« Ce camp est un endroit formidable […]. Tu as eu de la chance de venir ici à cette époque-là. Mais ce qu’il y avait de plus excitant, c’était que tu étais jeune, justement. […]

-Non, il n’y avait pas que ça. […] Ce camp m’a apporté quelque chose. […]

-[…] Admettons. Il t’a donné l’impression d’être exceptionnelle. Peut-être même qu’il t’a rendue exceptionnelle, si ça se trouve? Et tout le monde veut être exceptionnel. Mais nom d’un chien, est-ce la chose la plus essentielle? La plupart des gens n’ont aucun talent. Alors, qu’est-ce qu’ils doivent faire? »

roman john steinbeck

Les naufragés de l’autocar – John Steinbeck : Au début de l’été, je ne sais pas pourquoi, j’ai regardé moult documentaires en rafale sur Arte (ça me prend parfois, jusqu’à ce que j’ai épuisé les disponibilités du Replay). Je vous ai déjà parlé de celui sur Daphné du Maurier, et juste après, j’ai regardé celui sur le voyage de Steinbeck à travers les Etats-Unis, avec son chien, au volant d’un mobile-home. Ça m’a de nouveau conduit en librairie en quête de Voyage avec Charley (c’est le nom du chien), le récit de voyage qu’il en a tiré. Comme d’hab’, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais mais je suis tombée sur cette histoire de passagers naufragés (magie des librairie, impossible à égaler sur Amazon ou Ebay).

On y suit les passagers d’un autocar, très différents et mus par différentes motivations mais réunis par le désir d’arriver prestement à destination, et que de violentes pluies menacent de bloquer sur place, dans une station-service tout d’abord, puis au bord d’une route défoncée. Prétexte à l’observation d’une étonnante galerie de personnages, ce voyage interrompu va suspendre le temps et obliger les passagers à révéler d’autres facettes de leur personnalité que celles qu’ils ont coutume de montrer… C’est épatant de cynisme, mais aussi de tendresse, car si tous ont leurs bassesses, leurs secrets et leurs maladresses, ceux-ci dissimulent souvent un grand besoin d’amour et, sans doute, des rêves un peu trop grands.

dora bruder

Dora Bruder – Patrick Modiano : Je ne sais plus où j’ai entendu parler de ce livre, mais son titre est resté griffonné longtemps sur un coin de mon agenda, reporté de semaine en semaine, jusqu’à ce qu’un détour par la bibliothèque me permette d’assouvir ma curiosité. Dora Bruder n’est pas un roman. C’est le récit d’une quête, si ce n’est d’une enquête. En 1988, ayant lu dans le journal Paris-Soir, à la rubrique D’hier à aujourd’hui, un avis de recherche datant de 1941 concernant une jeune fille juive de 15 ans, l’auteur se demande ce qu’à bien pu devenir cette inconnue portant manteau gris et chapeau bleu marine.

Commence-t-il ses recherches par jeu, ou sa quête a-t-elle d’autres enjeux? Toujours est-il que, peu à peu, Dora Bruder se met à l’obséder. Il réalise que, à des années d’intervalle, ils ont fréquenté les mêmes lieux, et peu à peu découvre qu’un réseau de correspondances semble lier leurs deux existences. Le récit entremêle dès lors enquête et souvenirs personnels, extraits de documents officiels et récits de ses pérégrinations parisiennes. Au final, ce qu’a fait Dora lors de ses fugues adolescentes, on ne le saura pas, et c’est peut-être tant mieux. C’est autant de mystère volé à l’implacable vérité de l’Histoire qui l’a ensuite frappée. Car ce qu’on sait avec certitude, c’est qu’en 1942, Dora sera arrêtée, internée aux Tourelles puis à Drancy avant d’être envoyée à Auschwitz dont elle ne reviendra jamais.

Au mémorial de la Shoah à Milan, une phrase m’avait interpellée. Alors que la scénographie égrainait les noms des disparus, on nous invitait à en retenir un, et à ne jamais l’oublier. Je me souviens que j’avais jeté mon dévolu sur une femme, une certaine Anna, âgée d’une quarantaine d’année. Je me souviens avoir passé la journée à me le répéter mais, faute de stylo ou trop confiante, je ne l’ai pas noté. Quelques jours plus tard, je n’en suis pas très fière, je m’étais aperçue que je l’avais oublié. Dans Dora Bruder, si le mystère de la fugue de la jeune fille n’est jamais élucidé, et si rien ne peut plus empêcher le funeste destin qui l’a amenée à Auschwitz, Patrick Modiano réussit, par le pouvoir des mots, à la matérialiser un instant, dans un portrait incomplet et mystérieux certes, mais d’un souvenir bien vivant.

de sang froid roman

De sang froid – Truman Capote : Alors que je cherchais Prières exaucées, je suis évidemment tombée sur le plus connu des livres de Truman Capote. Inspiré d’un fait réel, chef d’oeuvre de ce qu’on appellera alors le nouveau journalisme, il s’agit du récit prenant du massacre de la famille Clutter au Kansas par deux criminels à la personnalité complexe. Des prémices de l’affaire à l’exécution des coupables, le livre nous mène au plus près des personnages (victimes et tueurs) de ce fait divers dramatique et haletant, et témoigne d’un travail d’enquête minutieux qui a duré six ans. C’est bien simple, on s’y croirait. Dans la voiture tandis que les deux hommes échafaudent leur plan, dans la maison pendant la nuit du crime, au tribunal lors du procès ou encore auprès de la potence, lorsque Kickock et Perry, les deux affreux du roman, finissent au bout d’une corde, quelques heures seulement après avoir commandé et mangé des crevettes, des frites et une crème glacée.

C’est un livre terrible, et le portrait des coupables est à glacer le sang. Terriblement inhumains et pourtant tellement humains, ils incarnent le pire. Mais dans le même temps, avant qu’ils ne soient confondus, tout le village tremble à l’idée que le coupable puisse se cacher partout, derrière chaque visage connu. C’est toute une vision manichéenne du monde qui est ici ébranlée, durant ces mois où plus personne ne dort, ne fait confiance ou ne laisse le verrou tiré. Et si l’équilibre est à la fin rétabli, les coupables punis, il flotte encore, pour tous ceux qui de près ou de loin les ont approchés, comme un parfum de danger.

roman paul auster brooklyn

Brooklyn follies -Paul Auster : Je vous en parlais il y a quelque temps, Paul Auster en ce moment c’est un peu mon dada (mais s’il vous plait ne visualisez pas). Lors de mon dernier passage en librairie je crois que j’en ai acheté 5 d’un coup, dont l’énormissime 4321 (1024 pages) que mes petits biceps pourtant musclés redoutent encore d’entamer. Dans Brooklyn follies on apprend à connaitre Nathan, sexagénaire divorcé, retraité des assurances, en rémission d’un cancer, qui ne voit pas vraiment ce que le futur peut encore lui apporter. En désespoir de cause, il s’installe seul à Brooklyn et se met en tête de coucher sur le papier quelques souvenirs. Un peu en vrac, sans arrière-pensées, pour le plaisir de consigner petites histoires et cocasseries du quotidien.

Et petit à petit, celui qui se croyait fini va être rattrapé par la vie. Retrouver un neveu perdu de vue, jouer les entremetteurs, se faire des amis, s’occuper d’une petite fille, narguer des escrocs, rêver d’une auberge à la campagne, tomber en panne ou encore amoureux… De petites anecdotes en grandes émotions, il apprendra que tant qu’on aime les gens et les bonnes histoires, on n’en a jamais fini avec la vie.

C’est tout pour aujourd’hui ! Mais on se retrouve bientot avec, autres autres (la suite va vous étonner) Romain Gary, Lilian Jackson Braun, Paul Auster encore et, une fois n’est pas coutume, quelques nouveautés !