Cette fois pas de blabla, pas d’introduction tiens, je vais vous parler derechef de six livres lus récemment. (En fait, c’est surtout de l’un d’eux dont j’ai envie de parler parce que je l’ai terminé hier et beaucoup aimé) (Les autres sont bien aussi mais comme leur lecture a déjà plusieurs jours, leur effet s’est déjà un peu dilué). C’est parti pour l’instant culturel du mercredi !
Commençons avec Le chat qui allait au placard de Lilian Jackson Braun. On a déjà parlé de cette autrice (là par exemple) et de sa série de livres félino-policiers (tout un concept) dans lesquels Jim Qwilleran, fort sympathique moustachu, résout d’intrigantes enquêtes avec l’aide de ses chats (en vrai, les chats ont la solution bien avant lui, et il n’est en quelque sorte que l’émissaire humain par lequel la vérité est révélée). Dans cet opus, c’est en explorant les placards d’une vieille demeure que Koko et Yom Yom vont mettre en lumière les secrets de la famille Gage et les liens curieux qui unissent la riche Euphonia, un camp de retraités en Floride et une jeune éleveuse de chiens de traîneaux. Une lecture légère, mais non dénuée de charme, car de multiples histories annexes comme celle de l’incendie du Comté de Moose émaillent le récit, et la richesse des dialogues ferait presque oublier les invraisemblances propres au genre du polar félin (les chats qui bloquent un voleur dans l’ascenseur, c’est un brin tiré par les cheveux, si vous me permettez)
Je vous parle souvent de Romain Gary et vous devez penser que j’ai tout lu, tout vu de lui. Mais en réalité, je l’aime tellement que je tempère depuis toujours mon avidité, afin d’avoir toujours de nouvelles découvertes à faire. Je lis ses livres au compte-goutte, regarde ses interviews avec parcimonie, je relis mes romans préférés, tout plutôt que d’arriver trop vite au bout du mystère… Parfois, je repense à certains de ses livres, lus il y a longtemps, et je me demande ce que j’en penserais à présent. Il m’est même arrivé de penser que, peut-être, il n’était qu’un élan de jeunesse, et que je trouverais aujourd’hui ses récits moins bien ficelés. Shame on me! Dès que je remets le nez dans un nouvel ouvrage, je me repens de telles pensées, et je suis fan à nouveau, prête à tout lui pardonner, même ses mines dédaigneuses, ses mensonges, ses sorties de Don Juan, son ego surdimensionné*.
Récemment j’ai lu La nuit sera calme, transcription d’un long entretien avec François Bondy, un de ses amis de longue date. Imposture! En réalité l’entretien est fictif, Gary a rédigé questions et réponses et son ami n’a joué que le rôle de prête-nom. (Dans un sens c’est rassurant, je me demandais aussi comment on pouvait maintenir un tel niveau d’échanges pendant une interview aussi longue, ne jamais être banal ou sonner faux.) Il s’agit donc d’une auto-interview (qui a parlé d’ego il n’y a pas 2 minutes?), sorte d’entretien idéal qui sert de prétexte à se raconter, à parler de son engagement pendant la guerre, de ses débuts dans la diplomatie, de son poste à l’ONU, de De Gaulle, des femmes de sa vie, du cinéma… Bref, a priori, de tout ce sur quoi il aurait aimé qu’on l’interroge, mais à sa façon, dans un ordre et avec un à-propos établis par lui (l’ego toujours). Alors certes la démarche est un peu malhonnête, mais le résultat est tellement bien! J’ai mis des post-it et des marque-pages partout, je me ferais tatouer sans problème la moitié des phrases extraites de ce livre (oui enfin peut-être pas quand même), et j’ai saoulé tout mon entourage avec ce livre pendant plusieurs semaines.
C’est simple, comme à chaque fois que je referme un de ses livres, j’ai envie de le relire (d’ailleurs le temps d’écrire ces quelques lignes, j’en ai bien relu 35 pages). C’est clairement l’auteur que j’emmènerais sur une île déserte (enfin ses livres, peut-être pas lui, parce que clairement, même s’il ne manquait pas de charme, j’ai dans l’idée qu’il ne devait pas être facile à supporter). Bref, testament littéraire, manifeste politique ou récit de vie, on peut qualifier ce livre comme on veut, critiquer la forme, l’auto-complaisance (mettre dans la bouche fictive du journaliste « une telle virtuosité – je m’aperçois que j’utilise souvent ce mot à ton propos« , n’est-ce pas hilarant?), il n’en reste pas moins génial, drôle et, sous ses dehors bouffons, plus profond qu’il ne veut bien l’admettre.
Après Gary, parlons d’un autre habitué de l’instant culturel (si vous en avez marre dites-le), Paul Auster. Là on est sur une dynamique de lecture un peu similaire, je sais que son oeuvre est vaste alors j’y pioche par petites touches, je me laisse le temps de découvrir, j’alterne avec d’autres lectures, et je me réjouis de ce que la découverte durera encore longtemps. Ce qui est amusant, c’est que chacun de ses livres ressemble un peu aux autres, et réussit à être en même temps complètement différent. Dans celui-ci, Invisible, un auteur sexagénaire reçoit des nouvelles d’un vieux camarade de fac, jamais revu, qui lui annonce être en fin de vie et lui demande conseil concernant l’écriture d’un livre, dont il lui envoie le premier chapitre. Ledit livre étant autobiographique, on entre ainsi dans le récit d’un épisode de la vie d’Adam Walker, étudiant poète idéaliste qui, s’étant laissé impressionné par un couple de français aussi séduisants qu’inquiétants, se trouve malgré lui mêlé à un crime. Sans en avoir la preuve formelle, il est convaincu que Rudolf Born a assassiné un jeune voyou et, après moult hésitations, se décide à dénoncer celui qui promettait pourtant de devenir son mécène.
A ce stade, en tant que lecteur, on attend la suite avec autant d’impatience que, sans nul doute, le destinataire du manuscrit, qui invite son ami à poursuivre avec enthousiasme. Sauf que le deuxième chapitre, sobrement intitulé ÉTÉ, part complètement en vrille et s’embourbe dans une histoire incestueuse et passionnée entre Adam et sa sœur Gwyn et que, quand le lecteur part pour la Californie pour en rencontrer l’auteur, celui-ci vient de mourir. On désespère d’avoir le fin mot de l’histoire jusqu’au moment où on apprend que, sentant ses forces décliner, Adam a laissé à l’intention de son vieil ami l’ébauche d’un troisième chapitre, AUTOMNE… Maintenant vous voulez savoir comment ça fini? Que dit la suite du récit, qui est Cécile Juin, que va-t-on faire aux Caraïbes et pourquoi l’auteur a changé les noms de tous les personnages pour, comme à son habitude, brouiller les pistes, les identités et toutes les certitudes concernant le récit? Pour cela, il vous faudra trouver le livre et lui faire une place sur la pile près de votre lit*** (ne me remerciez pas, je suis là pour ça).
Nous devons aussi parler d’Un jeune homme superflu de Romain Monnery. Parce que j’ai cru que je n’aimais pas du tout au début du livre, pour devenir plus indulgente à mesure que les pages défilaient, pour ensuite trouver ça vachement bien et finalement regretter, au dernier chapitre, que le bouquin ne compte pas 100 pages de plus. Étonnant mécanisme non? Bon, déjà, les phrases sont hachées, les chapitres minuscules, les idées peu développées, les rebondissements clichés. Vous comprenez qu’au début, ça ait semblé un peu léger. Et ennuyeux aussi. Et pas super bien écrit (pour autant que ça veuille dire quelque chose, ce dont je doute). Mais. Mais.
Mais il y a tout de même quelque chose dans la vacuité apparente de ces pages. Quelque chose de ténu, de non-nommé, qui sous des airs désinvoltes finit par vous toucher. Une sorte d’à quoi bon, de mélancolie, d’ennui, une sorte d’homme qui dort** à la Pérec, mais avec des angoisses contemporaines. Des angoisses d’open space, de Playstation, de colocataires trop bruyants. Le « tu » est là d’ailleurs, la répétitions d’épisodes insignifiants aussi. On n’est vraiment pas loin des chaussettes qui flottent dans la bassine rose, pas loin des déambulations urbaines de l’étudiant raté. Si ici le narrateur ne vit pas reclus, et semble même plutôt bien entouré, il n’en fait pas moins l’expérience de la solitude, et si l’on hésite un moment à qualifier ce qu’il exsude de paresse, de veulerie ou de dépression, le tout dernier chapitre laisse peu de doutes quant à l’origine de son désœuvrement.
Je crois qu’on en a déjà parlé (à vrai dire je n’en suis pas sure, mais j’ai la flemme de compulser les archives pour vérifier), j’adore écouter des histoires. Que ce soit la radio, en feuilletons radiophoniques, un audiobook, un podcast ou quelqu’un qui me lit des histoires le soir, je trouve que c’est le truc le plus relaxant au monde. Seul souci, ça me détend tellement que je m’endors généralement en 2 minutes 30. J’ai déjà songé à contourner le problème, en écoutant la radio dans une position inconfortable, ou un podcast en faisant du sport, mais rien n’y fait. Le pire, c’est que j’ai un peu le même souci avec les films, d’où ma préférence pour les divertissements en format livre qui me permettent de rester éveillée! (Si quelqu’un a une astuce sur le sujet, merci de la partager!) En attendant, je trouve que c’est une très bonne idée de la part de L’Harmattan d’avoir publié certaines des fictions radiophoniques crées pour France Inter par Léo Koesten, comme ces Quatre histoires intimes d’écrivains pour la radio qui mettent en scène de grands écrivains lors de conversations fictives avec leur proches (fictives mais non fantaisistes, puisque les faits évoqués sont bien réels).
On y croise Stefan Zweig au carnaval Rio, quelques jours avant qu’il ne mette fin à ses jours; Marguerite Yourcenar aux cotés de son père qui a encouragé ses aspirations littéraires, puis de sa compagne Grace Frick, lorsqu’elle retrouve une malle égarée dix ans plus tôt lors d’un voyage, contenant notes et documents sur les mémoires d’Hadrien qu’elle écrira alors et qui lui vaudra d’entrer à l’Académie française. Des moments à la fois anodins et décisifs auxquels le lecteur/auditeur assiste, comme un voyageur du temps privilégié qui pourrait assister au quotidien de ses écrivains préférés. Et ainsi du talentueux mais si infâme Louis Ferdinand Céline aux prises avec son éditeur, du farouche Aragon dont l’idéalisme se heurte aux réalités du régimes stalinien.
Pour finir, voici le livre dont je voulais absolument vous parler tout de suite, Sauvage de Jamey Bradbury, que j’ai eu la chance de rencontrer lors du festival Quais du polar en mars. Je devais faire quelques photos au début de son intervention devant des lycéens, et au final je suis restée planquée au fond de l’amphi pendant une heure, à l’écouter parler de son travail d’écrivain et de cet inquiétant personnage de sauvageonne buveuse de sang. Sur le coup j’ai résisté très fort à l’envie d’acheter le livre (rapport à une certaine pile qui menace de s’effondrer sur le coin de mon nez***), mais quand je l’ai à nouveau croisée en dédicaces le jour suivant, je n’ai pas lutté très longtemps (à ce stade, j’étais déjà méga fan, alors j’ai poussé jusqu’à me le faire dédicacer).
Avant même de l’ouvrir, sur la base de ce qu’elle en avait livré, je savais déjà que j’allais l’adorer. Cette histoire d’ado un peu brusque, un peu garçonne, qui aime passer du temps dans la neige et la foret (ça vous rappelle pas un certain copain des bois?), qui conduit un traîneau et cache un terrible secret, toute cette histoire sur le sang et la mémoire, la transmission, ce que l’on sait des autres qu’ils le veuillent ou non… J’ai tenu 6 mois pourtant avant de le commencer, mais le livre était là, et de temps en temps, à la recherche de quelque lecture, je le prenais en main, le tapotais et lui disais : « ton moment viendra ». Et le moment est donc venu, il y a deux jours, pour la première soirée vraiment froide de l’année, et dès les premiers mots (« J’ai toujours su lire dans les pensées des chiens »), j’ai su que j’étais partie pour ne pas dormir avant la fin. Comme tous les livres que j’aime, j’aurais du mal à en parler sans trop vous en dire. Sachez juste qu’on y trouve, en vrac, des histoires de chiens, de courses folles dans la neige, un livre annoté, un ou deux couteaux, quelques mensonges, des pièges et des collets, des bruits dans la foret, d’étranges pressentiments et beaucoup, beaucoup de sang.
C’est tout pour aujourd’hui les amis! Je vous jure que j’avais cru faire court, jusqu’à ce que je scroll vers le haut de la page, ooops, encore raté. Du coup le prochain coup, on parlera de Truman Capote (oh ça fait longtemps!), d’un autre auteur découvert lors des Quais du polar, Chris Offutt, et de comment j’ai acheté sans m’en rendre compte le même livre en trois exemplaires. Et peut-être, si je craque d’ici là, de Honoré et moi de Titiou Lecoq qui me fait de l’œil depuis la librairie la plus proche (j’évite le secteur mais je sais qu’il est là) (ceux qui savent savent).
*La semaine dernière, j’ai eu la bonne idée d’aller voir La vie devant soi au théâtre de l’Elysée, interprété par Maxime Ubaud et mis en scène par Heidi Folliet. Le comédien était excellent, la mise en scène et les costumes fantastiques, mais surtout j’ai retrouvé ce texte lu il y a bien longtemps, sublime, drôle et violent, et je n’ai eu qu’une envie en sortant, l’extirper de ma bibliothèque (là ceux qui ont déjà vu comment je range mes livres se marrent au mot bibliothèque) pour le lire à nouveau.
**Si vous n’avez pas lu le livre, vous pouvez vous faire une idée en regardant le film qui en a été tiré.
***Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, je chronique surtout des livres de poche récemment. Non pas que je sois allergique à la nouveauté, mais la pile de livres de poche à lire qui trône à coté du lit a dépassé le niveau de la tablette de la cheminée et menace régulièrement de s’effondrer (au hasard, quand le chat se met en tête de chasser les moustiques pendant mon sommeil), ce qui risquerait de poser problème, rapport au fait que ma tête est juste à coté. D’où ma mission du moment, réduire les dimensions du monticule! Pour y parvenir, je dois à tout prix éviter les coups de folie en librairies, même si des tas de nouveautés me font de l’œil en ce moment (seule solution du coup, ne pas s’approcher à moins de 20 mètres d’une librairie), ne pas céder aux sirènes de la bibliothèque (c’est pire encore, c’est gratuit, impossible de résister) et passer moins de temps sur Twitter et Instagram en soirée. Ça en fait des défis, je sais, mais je me réjouis d’avance de voir la pile diminuer et de pouvoir ranger ces petits formats, bien alignés dans la pile des livres lus qui leur est assignée (et qui, elle aussi, menace de s’effondrer, mais comme elle est à l’autre bout de la pièce je me sens moins concernée).