Ça fait un petit bout de temps que je ne suis pas passée par ici, mais j’ai une bonne excuse puisque j’écrivais ailleurs, histoire de me frotter au challenge NaNoWriMo dont on reparlera bientot. Et comme d’habitude pendant les périodes où j’écris beaucoup, je lis aussi beaucoup, par un curieux phénomène qui tient d’une volonté inconsciente d’achever mes yeux fatigués autant que de remplir mon cerveau que je vide de l’autre coté. Dit comme ça, ça n’a pas franchement l’air fun, mais en réalité si. Alors c’est parti pour l’instant culturel de décembre, a priori ce ne sera pas le dernier de l’année parce que j’ai plein de trucs en cours dont je veux vous parler, et que j’aime bien suggérer des idées de livres à ce moment de l’année (quitte à sacrifier à ce grand délire commercial de Noël, autant que ça profite aux libraires et aux auteurs, c’est à moitié pardonné).
Le livre des illusions – Paul Auster : Je vous épargne les blagues sur cette nouvelle lubie, et on attaque tout de suite avec l’inévitable Auster du mois, comme ça c’est fait. Comme d’habitude, il est question d’identité et de mémoire, mais ce qui fait tout l’intérêt du livre, c’est qu’on passe une grande partie de la lecture à en apprendre plus sur un personnage, l’énigmatique Hector Mann, star du cinéma muet mystérieusement disparu, pour ensuite voir toute l’histoire se détricoter sous nos yeux et n’être guère plus qu’un mirage, un récit dont on n’aurait fait que rêver. C’est brillant, of course, sans même parler des digressions sur le deuil ou la dépression, la place que prennent les disparus dans la vie de ceux qui restent et l’implacable oubli qui attend néanmoins chacun de nous et dont seule la littérature, peut-être, peut nous sauver un peu.
Le fleuve et l’enfant – Chris Offutt : J’ai rencontré Chris Offutt en début d’année lors du festival Quais du polar à Lyon, alors qu’il venait animer une rencontre avec des lycéens et parler de son roman Le bon frère, paru en 2000 et réédité chez Gallmeister en 2018. Imaginez un grand type, immense même, hilare et dégingandé au point d’en paraître un peu saoul, et qui préfère interpeller les lecteurs dans un mélange d’anglais fortement accentué et de mauvais français*, plutôt que de solliciter son traducteur qui se tient pourtant à ses cotés. C’est cet homme-la qui revient avec une candeur d’enfant sur ses jeunes années, sur son amour pour la nature, et surtout la foret, avec un enthousiasme non feint et des yeux qui brillent comme après une bouteille de vin. Comme j’avais déjà explosé mon budget livres, je me suis retenue d’acheter le sien, malgré une fascinante anecdote à base de sapin qui a parlé très fort à mon petit cœur vosgien. Mais lorsque cet été je suis tombée dans une brocante sur un autre de ses livres, je n’ai pas pu résister.
Et c’est comme ça que j’ai lu Le fleuve et l’enfant, un récit autobiographique qui alterne, chapitre après chapitre, entre souvenirs de jeunesse – tout juste diplômé, Chris a traversé les Etats-Unis en vivant de petits boulots – et moments présents dans la foret attenante à sa maison, où il essaye de se préparer au rôle de père qui l’attend. Dans le genre roman d’initiation, j’ai rarement lu quelque chose qui sonne si brut et si vrai, ni où les personnages déterminants soient plus la crue, les renards et les chouettes que les vrais gens.
La folle du logis – Rosa Montero : Ce livre porte tellement bien son titre – tiré d’une citation de Sainte Thérèse d’Avila et qui fait référence à l’imagination comme rempart à la folie – que je l’ai acheté deux fois sans m’en rendre compte (heureusement, à chaque fois d’occasion). Je ne connaissais pas l’auteur, mais elle jouit a priori d’une certaine notoriété, notamment en Espagne, et a reçu des prix dans plusieurs pays. De mon coté, après avoir lu cet essai fantasque sur le pouvoir de l’écriture et de l’imagination, j’ai envie de lire tous ceux qui ont été traduits en français. J’ai adoré ce mélange d’anecdotes sur des écrivains, de souvenirs d’enfance, de lectures ou de folies passagères, et encore plus les parties de récit autobiographique qui mêlent fantasmagorie et réalité.
Comme souvent, j’ai rempli les pages de post-it (je fais une consommation dingue de ces trucs-là) et suis ressortie de cette lecture avec l’envie de lire des tas d’autres livres, comme la biographie de Philip K.Dick par Emmanuel Carrère et la Trève de Primo Levi, mais aussi un livre de linguistique de Klemperer sur la langue du IIIe Reich et « la manière dont le totalitarisme […] avait déformé le langage ».
Ça raconte Sarah – Pauline Delabroy-Allard : Comme beaucoup de monde, j’ai un peu l’impression de connaitre Pauline, alors que non. J’ai longtemps suivi son blog, parfois si léger, parfois si émouvant, et puis longtemps après, son compte Instagram où les photos ont remplacé les mots. Forcément, je me faisais une joie de la lire à nouveau, qui plus est aux éditions de minuit qui lui vont si bien. Allez savoir pourquoi, j’ai choisi de l’emprunter à la bibliothèque, où il serait déjà passé entre d’autres mains. C’était moins intimidant peut-être qu’un livre intact qui aurait senti l’encre et la nouveauté. Et je l’ai lu d’une traite, la nuit – c’est toujours la nuit qu’on lit d’une traite non? et sans savoir à quoi m’attendre je me suis laissée porter. Par la liesse d’abord, le rythme de la musique, de la rencontre et de la passion. On a beau savoir dès le début que tout ça finit mal, on est ravi de l’oublier, de croire qu’on a mal lu, mal interprété, et que tout ça finira bien, qu’elles vivront longtemps, les héroïnes de ce livre, heureuses et amoureuses.
Aussi quand ça dérape, on chute, et la dégringolade qui se poursuit est moins celle de la narratrice que celle du lecteur – en l’occurrence, de la lectrice – qui essaye de se rattraper, de s’accrocher partout, à un disque, un yaourt ou un patron de café, cherchant les signes de la rémission dans une tartine de pâté, un port ou une affiche, et éperdu(e) de ne les y pas trouver. Quand c’est fini, on referme le livre, on renifle un peu aussi, et on se demande comment ça peut faire si mal et être si joliment dit.
Histoire de la violence – Edouard Louis : Changement de registre mais nouvelle claque nocturne (vous l’avez compris, l’insomnie est à nouveau mon amie) avec ce récit autobiographique à la structure complexe. Edouard Louis y raconte sa rencontre avec un inconnu, un soir de Noel, dans la rue, et avec qui il partagera un moment d’intimité avant que l’histoire ne bascule dans la folie.
Violence, viol, tentative de meurtre, il doit être si difficile de mettre des mots sur le mal et la peur, ici l’auteur se livre sans retenue et ajoute à l’exercice deux biais intéressants : une forme de compassion pour son agresseur et une volonté de s’élever au-dessus de son sujet pour tenter d’expliquer la violence, et une distanciation par rapport aux faits qui tient à un brillant procédé narratif : dans un grande partie du texte, le narrateur ne raconte pas directement son agression ni les sentiments qu’elle lui a inspiré, mais se décrit lui, écoutant en cachette sa sœur qui en fait le récit à son mari. Cette mise à distance, probablement nécessaire, donne au livre une profondeur inédite et permet d’éviter l’écueil du voyeurisme qui me faisait un peu peur, j’avoue, quand j’ai commencé ma lecture. Je vous invite donc si ce n’est déjà fait à lire cet excellent livre (sorti en 2016), malgré le sujet glauque qui ne va pas arranger votre négativisme de français ^^.**
Football – Jean-Philippe Toussaint : Pour finir sur un sujet plus léger, parlons foot! Si on m’avait dit un jour que je lirais un truc pareil, j’aurais surement haussé un sourcil (oui, je fais partie de ces grincheux qui n’y voient pas d’intérêt), et je n’ai accepté de me lancer dans l’aventure que guidée par Jean-Philippe Toussaint. Il était ma lubie il y a quelques années et puis ça m’est passé (comme quoi un jour vous serez peut-être débarrassé de mes élucubrations sur Auster et Capote, qui sait), mais un détour par la bibliothèque à la lettre T (je cherchais un truc de Gunzig et puis j’ai dérapé) a mis ce petit ouvrage sous mes yeux et je n’ai pas pu résister.
On y parle foot donc, mais pas de footballeurs, ce qui est assez étonnant au demeurant, et surtout de comment le foot rythme la vie des gens qui s’y intéressent. Lors de la dernière coupe du monde on a assez entendu « on se souviendra toujours d’où on était et de ce qu’on faisait au moment où la France a gagné » (moi non) pour s’interroger sur le rapport du foot au temps et aux gens. Toussaint égraine donc le chapelet des parties qui ont rythmé sa vie, et du rapport particulier qu’il entretient avec chacune d’entre elles, ou pas, ce qui est encore plus intéressant selon moi.
C’est tout pour aujourd’hui, mais je crois que c’est déjà bien assez à digérer, d’autant que j’enchaîne bientot sur un autre billet (avec Truman Capote dedans – cachez votre étonnement – mais aussi Titiou Lecoq, un polar nordique et un essai sur les pauvres. Vous avez hâte? Moi aussi ! )
*Si vous voulez un aperçu de cette fascinante façon de parler, je vous recommande cette vidéo où Chris Offutt parle de son nouveau roman Nuits Appalaches. (« It’s the same for me and for beaucoup de gens qui habitent à la montagne » <3)
**Pour vous donner une idée des suites de l’affaire judiciaire, je vous invite également à lire cet article du NouvelObs datant de mars 2016, cet article du Huffington Post de janvier 2019 et ce post Facebook publié par Edouard Louis dont il est question dans l’article.