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Hey ho, me revoilà avec de nouvelles lectures! J’ai lu moins que de coutume il me semble cet été, et ce pour plusieurs raisons; j’ai lu de très gros livres (ma tendinite en atteste), et je ne suis pas allée me prélasser à la plage, d’où un rythme de lecture réduit. Néanmoins, l’instant culturel ne serait pas l’instant culturel s’il n’était beaucoup trop long pour vos emplois du temps bien remplis, donc je vais, of course, m’étendre plus que de raison sur la question.

Truman Capote – Mademoiselle Belle : Je commence à venir à bout des écrits de cet auteur que j’aime tant, et à écumer ses fonds de tiroir comme l’ont fait avant moi des éditeurs bien inspirés. Ici, ce sont des nouvelles de jeunesse de Truman Capote qui ont été réunies, écrites entre ses 15 et ses 19 ans. Un pari qui pourrait s’avérer risqué si Capote n’était pas Capote, mais évidemment, ici tout est brillant. Même si certaines intrigues n’échappent pas à quelques clichés, c’est toujours bien écrit, juste, mordant, démontre de qualités d’observation précoces et d’une facilité déconcertante à restituer simplement des situations et états d’âme, sans effets de manche ni adjectifs inutiles.

Là où c’est presqu’encore un enfant qui écrit, on pourrait croire qu’un vieux briscard témoigne de sa longue expérience des gens, des espoirs et des désillusions de la vie. On en regrette d’autant plus que cet écrivain de génie ait connu un déclin précoce – l’alcool et la drogue aidant – et n’ait pu devenir ce vieux sage exaltant dont on sentait déjà les prémices à 15 ans. J’arrive bientôt au bout de ses publications, heureusement il me reste à lire les nombreuses biographies dont il a fait l’objet, et surtout sa correspondance publiée sous le titre Un plaisir trop bref (On ne pouvait trouver meilleur titre!)

Nicolas Mathieu – Leurs enfants après eux : J’ai rencontré Nicolas Mathieu en dédicaces lors du Festival Quais du Polar en juillet, et toute à ma joie je n’ai pas été capable de lui dire mieux que : « Mes parents ont tous les deux détesté votre précédent livre, mais moi je l’ai adoré » (mode passif-agressif activé) (Un jour il faudra régler la question de ce handicap qui me fait parler à tort et à travers quand je suis intimidée, mais en attendant laissez-moi vous dire deux mots de cet excellent roman).

Je suis née moi aussi dans les Vosges, j’ai grandi comme l’auteur à Golbey et, tout comme les personnages de ce roman, je me suis baignée sur ladite plage américaine d’un petit lac qui tenait lieu d’océan aux prolos du cru, les tessons de canettes en sus. Et c’est peu dire que j’ai eu l’impression, pendant tout le livre, d’avoir croisé les lieux et personnages qui peuplent ses 555 pages (aïe ma tendinite), cette « France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans ». Avec une mention spéciale pour les personnages féminins, les mères, les filles, les ados et leurs rêves et leur lucidité cachée sous des dehors de midinette. Comme souvent lorsque j’ai vraiment aimé un livre, je ne trouve guère mieux à dire que « Lisez-le! », vous savez ce qu’il vous reste à faire!

Roberto Bolaño – Les détectives sauvages : J’ai rarement mis autant de temps à lire un livre, et le fait qu’il soit énorme (je vous ai dit que j’avais une tendinite?) ne peut suffire à expliquer cette lenteur, d’autant que je l’ai beaucoup aimé. Je crois que l’explication tient plutôt à la densité du texte. C’est l’émission de radio de France Culture La compagnie des œuvres avec sa série en 4 épisodes consacrée à l’auteur qui m’avait donné envie de le découvrir, et ce titre magnifique avait fini d’attiser ma curiosité (en vrai tous les titres de Bolaño sont géniaux : Monsieur Pain, Étoile distante, Les Chiens romantiques…) Et j’avoue qu’avoir eu cette porte d’entrée m’a aidée à appréhender ce texte polyphonique aux mille personnages, mille lieux, ces êtres mi-rééls mi-fantasmés comme la littérature sud-américaine semble en foisonner.

Qui est Cesarea Tinajero, la mystérieuse poétesse dont les réal-viscéralistes se réclament? Ulises Lima et Arturo Belano sont-ils des poètes maudits ou de simples dealers, des génies incompris ou des imposteurs? Juan Garcia Madero a-t-il tort d’abandonner ses études de droit pour les suivre dans le désert à la poursuite d’une chimère ? Le mezcal Los Suicidas est-il aussi bon qu’Amadeo Salvatierra le prétend? La réponse à ces question a-t-elle la moindre importance au fond ?

Virginie Despentes – King Kong théorie : Je ne sais plus si j’ai déjà dit ici combien j’aime Virginie Despentes et tout ce qu’elle dit, et ce même quand je ne suis pas d’accord avec elle) (et j’en profite pour vous inviter à écouter son excellente série d’entretiens avec Victoire Tuaillon). A force de l’entendre en interview ou citée en référence par d’autres féministes, j’avais presque l’impression de l’avoir lue (alors que non) (hormis une incursion du coté de chez Vernon Subutex il y a quelques années).

Pour combler mes lacunes, j’ai opté pour ce petit essai qu’on m’a souvent recommandé, et bien m’en a pris. Même si ce qu’il aborde n’a pas grand chose de nouveau pour moi (s’agissant d’un pilier qui a inspiré beaucoup de femmes et militantes de ma génération, ces thématiques ont été disséquées et digérées par nombre d’entre elles que j’ai lues ou entendues), ça fait toujours du bien de les voir rassemblées dans une réflexion aboutie, qui plus est avec une économie de mots qui fait parfois défaut aux discours militants. C’est direct, ça frappe fort et ça ne s’excuse jamais d’être cru, violent ou impudique, bref c’est Virginie Despentes !

Marie-Marie – Il était une oie : Je ne sais pas trop ce qui m’a poussée à lire ce récit (si ce n’est l’envie de reposer mes phalanges avec un livre plus léger) où celle que Gainsbourg appelait la p’tite Marie livre son journal d’étudiante qui relate sa relation d’alors avec l’homme à tête de chou. Groupie de province à qui la célébrité, le champagne et les nuits blanches parisiennes font tourner la tête, elle voue à son Serge une admiration sans bornes. Il est goujat, menteur et puéril autant qu’elle est passionnée, frivole et inconséquente, et leurs deux trajectoires – son déclin à lui et son envolée à elle – vont se croiser durant trois ans.

Une relation à la fois intime et superficielle relatée sans fards, sans volonté d’embellir ce qui fut, et dont l’autrice – aujourd’hui professeur de français – se souvient avec tendresse mais avec lucidité : « j’ai replongé dans le journal de la jeune fille que j’étais… J’y ai pris du plaisir, même si j’ai souvent eu envie de la gifler! ») On y éprouve les sentiments contradictoires qu’inspirent toujours Gainsbourg, l’admiration mêlée de dégout, et que les bons mots (« J’ai demandé à mon médecin : Docteur, alors si j’arrête de boire, de fumer et de baiser, je vivrai plus longtemps? Et le toubib m’a répondu: Pas sûr… Mais le temps vous paraitra plus long!« ) ne suffisent pas à sauver de l’égout.

Shirley Jackson – Nous avons toujours vécu au château : ça fait des années (des décennies peut-être?) qu’on me recommande ce livre, mais le hasard ne l’avait jamais mis sur ma route (je vous l’ai déjà dit, la lecture est pour moi un parcours, et les livres débarquent dans notre vie quand le moment est venu). Finalement, je l’ai débusqué au rayon des polars (Il ne s’agit pas d’un policier mais il est édité dans la collection Noir de Rivages) et c’est peu dire qu’il a tenu ses promesses. C’est peut-être le livre qui m’a le plus marqué cette année (je sais, je dis ça trop souvent, mais qu’importe puisqu’à chaque fois c’est vrai?). Comment vous dire? Ce livre ne ressemble à aucun autre, ne me rappelle – même pas vaguement – aucun autre roman, voix ou histoire lus précédemment. C’est une sorte d’ovni délicieux, paru en 1962, qui se lit d’une traite, et où la narratrice – qui annonce dès les premières lignes avoir 18 ans mais pourrait en avoir 12 ou 8 – nous entraine sans en avoir l’air dans une folle histoire.

Mary Katherine Blackwood mène une existence pétrie d’habitudes bien réglées, de rituels magiques et de certitudes, dont celle qui donne son titre au roman Nous avons toujours vécu au château. Pour elle rien ne doit changer ou évoluer. Jamais. Une réalité toute personnelle qu’elle fera tout pour défendre, au mépris des autres, des faits, des toits qui s’effondrent et de la porcelaine brisée.

Florence Aubenas – L’inconnu de la poste : J’avais adoré il y a bien longtemps son Quai de Ouistreham mais je n’avais rien lu de plus récent avant de tomber sur cet excellent article pour le Monde sur la femme des bois des Cévennes (ceux qui ne sont pas abonnés et veulent connaitre l’histoire, laissez-moi un mot en commentaire pour que je vous envoie le pdf ou voyez ce reportage de France Bleu, la plume d’Aubenas en moins). Bref, ça m’a donné envie de relire cette excellente journaliste et, profitant de sa venue au festival Quais du Polar, j’ai bravé la pluie pour me faire dédicacer son dernier livre, la reconstitution d’un fait divers – le meurtre d’un postière à Montréal-la-Cluse et la restitution de 7 ans d’entretiens et d’enquêtes auprès des protagonistes de l’histoire. Je ne suis pas spécialement fan de faits divers sanglants et je tiens généralement pour vaguement dérangés ceux qui se passionnent un peu trop pour les affaires criminelles (unpopular opinion auprès de pas mal d’amis, mais j’assume!).

Dans ce livre, ce que j’ai aimé, ce sont les portraits des gens, et la minutie de détails avec lesquels l’auteur restitue chaque lieu et personne, même ceux qui ne jouent pas nécessairement un rôle central dans l’histoire. L’avocat qui voit l’affaire lui échapper, le père de la victime et son illusoire aura d’ancien élu, et surtout, surtout, cette mystérieuse famille de cultivateurs qui vit recluse et dont on ignore par quelle sorcellerie ils sont au courant malgré tout de ce qui se passe au village. Une lecture captivante!

Henry David Thoreau – La vie sans principe : Je vous annonce depuis plusieurs mois mon envie de m’attaquer à Walden de Thoreau, mais voyez-vous je commence à en avoir marre des livres-enclumes! Il est là, qui attend son moment près de la tête de lit, mais son heure n’est pas encore venue! Du coup j’ai opté pour ce mini-livre qui transcrit une conférence donnée pour la première fois en 1854. L’ascète y poursuit sa réflexion sur la quête de soi, la cohérence à soi-même, l’affranchissement des conventions sociales.

Morceaux choisis : « La façon dont la plupart des hommes gagnent leur vie, autrement dit, vivent, n’est que moyens de fortune et manière d’esquiver la véritable affaire de l’existence« . « La ruée vers la Californie, par exemple, et l’attitude adoptée à ce sujet non seulement par les marchands, mais aussi par les prétendus philosophes et prophètes, traduisent une très grande disgrâce de l’humanité. […] Cela fait de Dieu un gentilhomme cossu qui sème une poignée de pennies afin de voir l’humanité se disputer pour les ramasser. » Quand on sait que les seuls à s’être réellement enrichis pendant la ruée vers l’or furent les marchands de pelles et de tamis, on comprend mieux encore l’ironie de cette conception de la vie. Bref, ça m’a donné envie de braver la tendinite et de me lancer enfin dans la lecture de Walden… à moins que je n’opte pour un autre essai plus léger (en poids, s’entend), De la marche. À suivre…

Charles Dickens – Le mystère d’Edwin Drood : Je vous parlais en début d’année de ce mystère ferrovio-littéraire entourant l’écriture du dernier roman de Dickens. À peine avais-je entendu parler de cette histoire que je m’étais ruée en librairie pour acquérir les deux ouvrages, le mystère d’Edwin Drood (le roman inachevé de Dickens) et le roman de Dan Simmons (on en parle juste après) qui se propose de donner un contexte au roman en explorant les dernières années de vie de Dickens et son travail d’écriture à partir d’une curieuse rencontre lors d’un accident de train qui mènera l’auteur anglais aux confins de la folie. Mais. Constatant que les 2 romans faisaient respectivement 500 et 1200 pages, j’avais repoussé l’entreprise à plus tard. Cet été, me résignant à recourir un jour à un exosquelette de poignet*, j’ai finalement mené à bien ce projet!

Et ce mystère alors? Imaginez un jeune homme (Edwin Drood) fiancée à une délicieuse jeune fille, promis à un brillant avenir et entouré de l’affection de tous, notamment de son jeune oncle John Jasper qui lui est tout dévoué. Le soir de Noël, Edwin disparait. Et chacun s’aperçoit alors que le jeune homme comptait au moins un ennemi, que la fiancée ne voulait plus se marier, que l’affection du fameux oncle pour cette dernière n’était pas tout à fait désintéressée, et que celui-ci, loin de n’être que l’irréprochable chef de chœur de la cathédrale, nourrissait une passion secrète pour l’opium et de curieuses fréquentations… On ne va pas se mentir, on devine assez vite qui a fait le coup, et tout le mystère réside dans le comment la disparition d’Edwin a été orchestrée, avec quelles complicités, et comment confondre le meurtrier qui semble avoir perpétré le crime parfait. Mais un deuxième mystère s’ajoute à l’affaire : Dickens meurt avant d’avoir écrit la fin du livre, publié en feuilleton dans sa revue d’alors, et les lecteurs restent sur leur faim.

Après de nombreuses querelles et conjectures, c’est finalement le traducteur de Dickens qui proposera la version que j’ai lue. A priori tout tient debout, s’accorde au style de l’auteur et à sa façon de développer personnages et rebondissements. Sauf que. Dickens n’ayant jamais écrit d’enquêtes auparavant, les éléments de comparaison ne sont pas légion, et le doute subsistera toujours sur la fin qu’il souhaitait donner au roman.

Dan Simmons – Drood : Et c’est là le point de départ de Dan Simmons! Pourquoi Dickens s’est-il lancé dans l’écriture d’un polar sur le tard? Pourquoi cet soudain intérêt pour les cryptes, les fumeries d’opium? Et si l’auteur avait changé depuis le terrible accident de train de 1865 qui a emporté en bas du viaduc de Staplehurst tous les wagons de première classe – sauf le sien? S’il est vraisemblable que l’auteur ait été traumatisé par cet événement, rien n’indique pourquoi sa production littéraire s’est par la suite tarie, ni par quel curieux hasard il a finalement succombé cinq ans jour pour jour après l’accident, dans des circonstances qui restent aujourd’hui mystérieuses.

Dan Simmons fait alors un pari : lors de l’accident, alors qu’il portait secours aux victimes, Dickens aurait fait la rencontre d’un inquiétant personnage nommé Drood, sorte de figure de la mort semblant aspirer l’âme des défunts et que personne ne se souviendra avoir croisé ce jour-là. De retour à Londres, il aurait tout fait pour le retrouver, se retrouvant pris dans une spirale qui l’aurait fait côtoyer criminels et gourous maudits, et se passionner jusqu’à l’obsession pour l’hypnose et les phénomènes paranormaux. Mais qui est vraiment Drood? Existe-t-il seulement ailleurs que dans l’imagination de Dickens? Qui poursuit qui, Drood ou Dickens? Et quel rôle joue Wilkie Collins, le confident et rival littéraire de Dickens qui tient ici lieu de narrateur, dans cette descente aux enfers? (Je vous mets un peu de suspens parce qu’en vrai, je n’en suis qu’à la page 500 au moment où j’écris ces lignes, et le mystère pour moi demeure entier!)

Et vous, vous avez lu quoi cet été? Ma pile à lire s’est amincie à la lecture de tous ces pavés, je prends toute suggestion (au nombre de pages modéré) pour la requinquer! En attendant, j’ai encore quelques (trop gros) livres qui m’attendent dès que j’en aurai fini avec Drood, et je me suis crue maline en allant à la bibliothèque en août (je prends que des DVD, tu parles d’un traquenard!), ce qui va m’occasionner un marathon pour les rendre à temps (mais puis-je décemment rendre sans les avoir lues Harper Lee et Doris Lessing? Je ne crois pas!)

*J’ignore pourquoi je tiens toujours les livres à une main (la gauche), quelle que soit leur taille et leur poids. Ça me flingue le pouce et le petit doigt qui servent de signets, évidemment le poignet qui supporte tout le poids, et le métacarpe en général qui se fossilise dans une position prolongée, laissant présager une bonne vieille arthrose prématurée. Si quelqu’un a des astuces je suis preneuse (mais je refuse d’entendre parler de liseuse!)