Etant donné que j’ai été beaucoup malade ces derniers temps (la sinusite, quand elle devient chronique, c’est looong), j’ai aussi beaucoup lu, des livres achetés d’occasion il y a longtemps, des nouveautés fraîchement reçues, des trucs que je n’avais jamais pris le temps de finir, des choses qu’on m’avait prétées il y a des lustres et même un improbable que j’avais juré de ne pas ouvrir! Ca nous donne comme toujours une liste hétéroclite mais réunie par un critère de prime importance: ils sont tous très bons!
Commençons avec Manuel de survie à l’usage des incapables de Thomas Gunzig parce que c’est lui, celui que j’avais décrété ne pas vouloir lire après avoir retrouvé dès les premières pages un style cru qui m’avait tant déplu dans un précédent livre. Je ne pas parle forcément du sujet, même si la violence de certaine scènes est bien plus décapante que son titre humoristique ne le laissait prévoir, mais bien du style, direct, brusque voire dérangeant (je précise que j’avais de la fièvre, mais tout de même, je suis loin d’être une chiffe molle!). Finalement, je me suis remise à sa lecture un aprèm’ de pénurie, et bien m’en a pris. Une fois habituée à la brusquerie des changements de rythme dans le récit, on finit par se laisser prendre à cette histoire réalistico-futuriste d’enfants-loups souhaitant venger leur mère licenciée d’un grand supermarché, entre tableau de l’injustice sociale, violence des dynamiques familiales et tribulations génétiques sous forme d’upgrade dotant certains humains de caractères animaliers (et le ravissement d’apprendra au passage que les loutres rient et jouent toute leur vie durant)… Un livre inclassable, avec des coups et des méchants, des histoires d’amour, des découvertes et même un bout du paradis dedans, un livre foisonnant comme un micro-monde observé à la loupe, tellement réaliste qu’il peut au premier abord pour les chiffes-molles comme moi sembler impressionnant!
C’est un hasard, mais je vous avais récemment parlé de Marguerite Duras quand j’ai reçu le très beau récit d’Olympia Alberti, Marguerite Duras, une jouissance à en mourir. Un livre né de l’amitié entre les deux femmes, et d’une journée d’automne lors de laquelle l’une revisite pour l’autre sa vie et l’oeuvre qui s’y entremèle. Plus qu’une biographie complète, c’est un destin qui se dessine au fil d’instantanés, de moments décisifs que, bien que lointains, elle semble revivre sans fin. De révélations devant le Mékong à la vision d’une femme élégante qui ne cessera de la hanter en passants par la rencontre avec le chinois, le souvenir d’une mendiante qu’elle ne pourra oublier, et puis toujours, cette conviction qui l’a portée, celle de devoir écrire pour comprendre et donner un sens à sa vie. Dans tout le récit, on sent la bienveillance de l’auteur envers son amie, et une grâce et une simplicité dans la manière de Duras de se raconter qui confine au génie.
Je me suis souvent fachée contre les emprunteurs de livres un peu oublieux, aussi j’espère réussir à trouver la nouvelle adresse de Sarah qui m’a prété ce livre il y a 6 ans au moins pour pouvoir le lui rendre Trois maitres, l’ayant enfin lu! Cet essai littéraire a fait ma joie pendant plusieurs journées de fièvre comme peu de romans auraient pu le faire! Evidemment, le talent de l’auteur, Stefan Zweig, n’y est probablement pas pour rien, non moins que les sujets choisis: Balzac, Dickens et Dostoievski. J’ai retrouvé la joie éprouvée lors de mes études de lettres à aller au delà des livres eux-même, à en savoir plus sur les auteurs, leur singularité, leur époque, leur vie, à entrevoir derrière des anecdotes personnelles certaines clefs qui donnent envie de relire l’oeuvre… Après chaque chapitre, sentir la fièvre (ahem, pas franchement subjective) de courir en librairie, d’engloutir la comédir humaine, de découvrir Dickens (car si Zweig n’est pas tendre avec lui, il ne lui nie pas le talent qui l’a rendu populaire), de creuser plus avant du côté de Dostoievski… Peu de profs à la fac m’ont autant passionnée, m’ont autant donné envie de (re)lire, forte de connaissances nouvelles, l’oeuvre de ces grands génies!
C’est peut dire que j’ai dévoré L’orgie, la neige de Patrick Grainville, ces récits d’enfance au coeur de l’hiver qui collaient si bien à mes grelottements, alors que dehors il faisait 35 degrés… Je vous ai dit maintes fois mes regrets de l’enfance, de ces vacances d’éternité et de cette omniprésence de la nature qui semble faire corps avec un âge encore un peu sauvage… Patrick Grainville dit tout cela, au travers ses souvenirs de parties de chasse, d’effrois pendant la chasse au grives et de premiers émois, ces journées de conquête forestière escorté d’un chien, les rêves de justice, d’exploits éphèmères, le mystère encore intact de la nuit, de la neige, des filles… C’est à la fois triste et beau, ce père si fort autrefois qui chancelle aujourd’hui, ce chien mort depuis, cette cachette où il ne pourrait plus se faufiler à présent, ces visages oubliés et la mer qui semble aujourd’hui domptée; un beau livre sur l’essence même du sentiment nostalgique, la perte de l’enfance façon grand Meaulnes en version hivernale, et sur le pouvoir de l’écriture pour faire revivre la magie perdue.
La première fois que j’ai lu un roman de Lucià Etxebarrìa, ç’avait été un peu une révélation. Il s’agissait de Cosmofobia, et j’avais aimé la justesse des portraits de femmes et la place de la ville dans le récit. Ensuite, je m’étais mis en tête de les lire tous, et j’avoue que je m’étais vite lassée… Ce livre, Beatriz et les corps célestes, avait donc été abandonné il y a quelques années aux alentours de la page 40, avant d’être retrouvé et lu d’une traite il y a quelques jours (d’où l’utilité de la présence près du lit d’une pile de livre inachevés et jamais rangés). Ici, on retrouve cette justesse dans l’évocation d’une jeunesse paumée, ce sentiment de trahison devant les choses et les gens qui changent, et l’importance dans la construction d’une identité des troubles liés au corps: la faim, le désir, l’ivresse, comme autant d’états fondateurs de la jeunesse.
Et puis aussi, j’ai pris le train pour un aller-retour en France, et suis rentrée un jour de grêve; 15h de voyage porte à porte et 4 correspondances qui sont passées comme un éclair, puisque j’étais en bonne compagnie, avec le très opportun Histoires de gare, de dessins et de ruines de Jean-louis Brahem. Un livre inspiré des cours de géométrie que l’auteur tient à l’école d’architecture et de paysage de Lille, qui enseigne les différentes techniques de représentation des sols, des bâtiments et des techniques au travers de l’histoire de personnages rééls. Ici, le livre nous plonge dans le passé, sur les traces d’Antonin Terminal, dessinateur à la fonderie d’un village lorrain (quand je vous dit que c’était un livre de circonstances!). On y repasse un peu de trigonométrie et de perspective, on y revoit le fonctionnement d’un pentographe, mais surtout on découvre des applications pratiques dans les domaines de la cartographie, du dessin d’architecture et bien entendu des trains, le tout sans s’en rendre compte, entre les leçons d’un instituteur éclairé, les chamailles du fondeur avec les dirigeants des chemins de fer et les amourettes épistolaires de la femme du maire…
Pour finir, je voulais vous parler de Grâce de Delphine Bertholon, un petit chef d’oeuvre dégotté dans la bibliothèque de ma maman. Ca tombe bien, c’est un livre de femmes, écrit un peu à rebours façon route de Madison où, à l’occasion d’un repas de Noël en famille, resurgit un secret que seule la lecture du journal de jeunesse de la mère, et des lettres de la jeune fille au pair un jour disparue, pourra permettre de comprendre. Un livre sur la jalousie, le temps qui passe et les prisons, celles de pierre qui enferment souvenirs et secrets divers, et celles qu’on s’invente, de toutes les plus puissantes.
C’est tout pour aujourd’hui! Plein de lectures sont en cours et, si je jette l’éponge pour Disent les imbéciles de Nathalie Sarraute, je ne désespère pas de trouver le temps de finir tous les autres! Et vous, que lisez-vous? Ca vous arrive aussi de ressortir des pas-finis et de les adorer? J’ai fait de la place du coup, j’attends vos conseils de lectures pour la combler!
Il m’arrive de relire des livres que je n’ai pas aimé, et me dire au fil des pages « mais je l’ai déjà lu ». C’est pas beau de vieillir !
oh mon billet préféré ! et paf ma PàL en reprend un coup !
Oh oui, j’ai deux romans en tête commencés et inachevés mais que je compte bien reprendre un jour. Je crois que c’est comme la nourriture, si on a envie de pâtes et qu’on nous sert des haricots ça ne va pas, mais deux jours plus tard on aura envie de haricots ! Je ne me force plus, je repose les livres et je les reprends à l’envie. Je note le premier, les 3 Maîtres et le dernier !
Merci pour ce partage! CANON LA TOF!!!!!!
Le Thomas Gunzig m’interpelle, faudrait que je lise, j’aime bien être dérangée comme ça !
@ohoceane: ça m’a donné envie de ressortir d’autres livres « dérangeants » de la pile des jamais finis; dans le genre, « microfictions » de Didier Daeninckx va sans doute resurgir!