Sélectionner une page

Un petit séjour en France, 25h de trains effectuées en quelques jours et BAM!, voici revenu l’instant culturel! Avec un peu de tout, comme d’habitude, de la BD de fille au récit historique, du recueil épistolaire au phénomène design en passant par des racontars du grand Nord et des ragots hollywoodiens…

franz kafka

L’une de mes grandes passions de jeunesse, ça a été Kafka (avec Gide, Camus et Pérec aussi) et je crois en avoir lu à l’époque tout ce qui me tombait sous la main (erreur que je ne commets plus à présent, quand j’aime un auteur je le découvre à petit feu). Une passion littéraire courronnée par un oral universitaire passionnant où, au terme d’une conversation à batons rompus sur l’auteur, l’examinateur m’a collé une note moyenne et dit « vous maitrisez fort bien son travail mais du coup on est un peu sortis du sujet qui était de commenter le texte » VLAN! (sans rancune Mr. A) Mais je m’égare… Autant vous dire que quand je suis tombée au Libraccio sur les Lettres à Max brod de Franz Kafka (ed. Rivages), j’ai bondi. Si j’ai au début été un peu déçue par la teneur des propos échangés avec l’ami de longue date (Kafka a une vie un peu plan-plan*, il parle du temps qu’il fait, de ses ennuis de santé, passe le bonjour à d’autres amis et commente des articles de journaux) et surtout frustrée par l’aspect unilatéral du recueil (y associer les lettres de Max Brod, c’eut été merveille!), j’ai fini par dévorer le livre comme un roman. On découvre peu à peu un homme extrémement humble (il ne parle que peu de son propre travail), au contraire curieux et très admiratif des autres, et au fur et à mesure que sa maladie progresse, on prend conscience de l’importance de la littérature dans sa vie: « Non pas que je lise vraiment […] je suis trop fatigué pour ça, l’état naturel de mes yeux c’est d’être fermés, mais jouer avec les livres et les revues, ça me rend heureux. » Tout dans ces lettres est émouvant, la peur du déclin omniprésente et à la fois acceptée, le retrait volontaire et pas seulement subi de la vie familiale et même sociale, la vie au ralenti de sanatorium en maison de repos compensée par une activité intellectuelle d’une rare intensité. A lire pour découvrir mieux cet auteur à l’imagination foisonnante!

premier roman michel de castillo

Ce que j’ai appris aussi en annexe de ce livre, c’est qu’Ottla, la soeur tant aimée de Kafka, a perdu la vie en 1943 à Auschwitz… La tragédie du siècle qui, depuis quelques temps, me trotte en tête, avec la visite du mémorial de la Shoah de Milan il y a peu, mais aussi avec la lecture récente de Tanguy de Michel del Castillo. Un roman en partie autobiographique où l’auteur espagnol mèle le drame historique aux événements de sa propre enfance: il a été réfugié politique en France puis interné dans un camp de concentration en Allemagne, et enfermé en maison de redressement à son retour en Espagne à la fin de la guerre avant de s’enfuir et d’être accueilli par une école de jésuites qui lui donnera goût à l’étude et un peu de foi en l’humanité. Ce roman relate le parcours d’un homme abandonné et trahi successivement par son père et sa mère, bousculé par l’Histoire, emblème de quiconque subit les tragédies du monde et perd prise sur son destin. Encore un que le littérature a aidé, relevé, peut-être même sauvé! (en voilà un instant culturel qui va nous booster!)

roman tony o'neill

Le salut dans la littérature, vous y croyez? Apparemment, Tony O’Neill, l’auteur de Black Néon, en est, avec son foisonnant roman, panorama d’un Los Angeles décadent, peuplé de junkies, de truands et de prostituées, écosystème fragile où évolue Jacques Seltzer, artiste provocateur qu’Hollywood presse de réaliser son deuxième chef d’oeuvre, 15 ans après son premier succès. Le réalisateur (ou est-ce l’auteur?) se plait à se vautrer dans la fange et à illustrer la décadence des paumés, à toucher le fond avec eux en espérant s’y retrouver. Si Tony O’Neill, lui-même ancien héroinomane reconverti à l’écriture, n’accordera pas le salut à son héros maudit, il entrouvrira à la fin une porte de sortie et, à défaut de « trouver le rêve américain dans une chambre de motel », fera naître la possibilité d’un ailleurs, une vie meilleure, comme une île…

BD de filles

Après le roman de mecs (sex, drugs & rock n’roll), place à la Bd de filles! La aussi, si les thèmes changent un peu (ambiance sexe, quête de soi et talons hauts), il est toujours question de se raconter, de mettre sa vie en scène pour lui donner un semblant de cohérence. Avec la tectonique des plaques, Margaux Motin continue de dérouler le fil  de sa vie (une « thérapie » commencée sur son blog il y a xx années): son divorce, sa vie d’ado attardée mais besogneuse, l’éducation de sa fille, les prémices d’un nouvel amour, le fléau des abdos mous et des valises à fermer… Un oeil aiguisé et un crayon acéré qui subliment la vie et brisent le mythe de la fille en fleur qui sait pas roter. (En vrai, je l’avais acheté pour une copine, mais j’ai pas pu resister!)

racontars arctiques

Il vous faut encore une preuve? Alors parlons un peu d’un safari arctique de Jorn Riel! Qu’est ce qui sauve de l’ennui les trappeurs du Groenland, isolés dans le froid sans femmes avec juste quelques bouteilles de gnole, si ce n’est leur imagination, leur capacité à inventer un sens à la fonte des neiges, au trait de fumée qui s’échappe de la cheminée de la cabane et aux icebergs dérivants? A se faire héros de récits de batailles contre l’ours, à nourrir des querelles pour une souris retrouvée gelée, une copine imaginaire échangée contre une paire de bottes et un peu de tabac à chiquer? Ayant connu le Grand Nord, Jorn Riel sait mieux que quiconque l’importance de ces racontars à échanger, propager, faire enfler, tout comme il sait combien les écrire a pu faire renaître pour lui cette époque qui nourrit son imagination depuis des années.

libri bruno munari

Bon. Et une orange, ça vous évoque quoi? Et une gousse de petits pois? Donnez ça à un cuisinier, il vous fera une soupe parfumée, mais refilez ça à un pro de l’imagination, vous obtiendrez un petit livret où, sous couvert de les décrire comme d’excellents produits manufacturés, on vous raconte toute une histoire sur la poésie des choses et la conception des objets. Avec Good design, Bruno Munari, l’essayiste-designer italien de génie, dresse un éloge de mère Nature et donne un coup de pied au derrière des designers. Ergonomie, forme, fonction, distribution et esthétique de l’objet, rien n’est laissé au hasard pour servir la cause de l’auteur: concevoir un objet, c’est avant tout apprendre à observer.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui! Mais comme j’ai fait en France une hallucinante provision de livres et BD, l’instant culturel suivant ne devrait pas trop tarder! Et vous, dites-moi tout, que lisez-vous?

*si vous êtes observateurs, vous aurez noté que, oui, mon exemplaire a eu un petit accident de train (je passe au passage le bonjour à la dame assise à coté de moi qui, en déplaçant mon sac à dos, a coincé la couverture du livre glissé dans la poche de devant dans une grille de refroidissement) (quand je vous disais que Kafka avait une vie pleine de rebondissements!)