Revoilà l’instant culturel! Il est intitulé « d’automne » parce que j’ai commencé à la rédiger il y a plusieurs semaines déjà, et alors que l’hiver se profile à l’horizon une autre fournée de livre attend déjà son heure mais qu’importe, vous aurez deux instants culturels coup sur coup et puis c’est tout!
Doris Lessing – Filles impertinentes : Un livre lu très vite pour être rendu à temps à la bibliothèque, et c’est un peu dommage car j’aurais aimé le savourer un peu plus. L’autrice y dresse le portrait de sa mère et relate une vie faite de petits espoirs et de grandes désillusions. Une aisance financière qui ne vient jamais malgré les sacrifices, un fils sur lequel on avait fondé de grands espoirs qui se révèle peu brillant, une fille rebelle qui refuse de suivre conventions et conseils, une vie qu’elle aurait voulu mondaine et qui n’est que monotone… Doris voudrait sa mère plus libre, dans la vie plutôt qu’à regretter une vie imaginaire. Et si elle a conscience de la décevoir sans cesse, elle ne peut rien contre les fantômes de celle qui, en son temps, a aussi fait preuve d’un caractère étonnant, a déçu des attentes, bravé les carcans. Si les filles du titre sont au pluriel, ce n’est pas seulement parce que la relation mère-fille (et plus généralement parent-enfant) est un sujet universel, mais aussi parce qu’Emily Maude, avant d’être la mère du roman, a elle-aussi été une jeune fille idéaliste à sa façon, et n’a jamais arrêté de rêver.
Philippe Claudel – L’arbre du pays Toraja : Je redoutais un peu cette lecture, j’avais compris qu’il y était question de deuil, et je n’étais pas sure que ce soit une bonne idée de lire ça en ce moment. Et puis une nuit d’insomnie, je l’ai lu d’une traite. Ceux qui connaissent l’insomnie savent que c’est là la marque d’un bon livre, quand l’attente du sommeil se transforme en un agréable moment, quand on cesse de regarder l’heure pour se réjouir de l’intimité entre un livre et soi au cœur de la nuit. C’est un livre sur la perte – de la jeunesse, de gens aimés – et le temps qui passe, mais c’est surtout un livre sur la vie, sur ce qui continue, se renouvelle, nait du néant – un amour, un hasard, un livre. L’histoire est si simple que je ne peux guère en dire plus sans me mettre à la raconter, mais c’est un livre très beau, pas si triste qu’il en avait l’air et qui m’a fait du bien.
Pierre Lemaitre – Trois jours et une vie : Je retente une lecture de Pierre Lemaitre que tant de gens aiment et dont Miroir de nos peines m’avait beaucoup déçue (je n’aime pas rester sur un échec, et il me suffisait de piocher dans la bibliothèque de ma mère pour tenter d’y remédier). Encore une fois mon avis est mitigé : l’histoire est très chouette et tient en haleine juste ce qu’il faut pour avoir envie d’avancer, j’ai beaucoup aimé les thèmes du roman : l’enfance dont on ne se défait jamais, le poids de certaines décisions, les actes irréfléchis qui impactent toute une vie, les relations entre les gens d’un même village, la réaction des masses face aux drames de la vie… Il y a beaucoup de matière intéressante, globalement j’ai aimé. Mais il y a eu aussi des trucs qui m’ont rendue la lecture pénible : les personnages féminins sans exception dénués d’intérêts et très stéréotypés, des personnages globalement représentés avec beaucoup de clichés (le gentil médecin de campagne taiseux, le voisin rustre-mais-qui-a-bon-fond…) et puis, comme dans Miroir de nos peines, des scènes de sexe d’une nullité effarantes. Ai-je envie de donner une chance encore à cet auteur? Au revoir là-haut est dans ma PAL, mais il y a fort à parier qu’il aura les même défauts (et les mêmes qualités) que les deux autres! Si l’un ou l’une d’entre vous a un autre titre à me conseiller (un polar plutôt?) je veux bien tenter!
Cécile Coulon – Les grandes villes n’existent pas : Quand je n’aime pas un livre en général je n’en parle pas, mais là si vous pouviez éviter la même déception que moi (et accessoirement de perdre 5,60 euros) je me sentirais utile. J’ai rarement lu un livre aussi creux, aussi dénué d’intérêt. Pourtant j’aimais bien l’idée d’évoquer ces petits villages, simples points sur les cartes, invisibles la nuit, qu’on dit « perdus » quand on n’y vit pas mais qui sont le centre du monde quand on y grandit. C’est en écoutant le podacst Les gens qui doutent de Fanny Ruwet que j’avais eu envie de découvrir l’autrice, je retenterai peut-être l’expérience avec un autre livre, un roman de préférence, mais là ce n’est rien de dire que je me suis ennuyée ferme pendant 96 pages, et que si le livre avait été plus épais, je ne serais même pas allée au bout, fait rarissime chez moi.
Jules Verne – Le rayon vert : Il y a fort longtemps (je pourrais chercher dans mes archives photos mais ai-je envie d’un coup de vieux en cet instant?) M. avait lu ce livre pendant des vacances en Bretagne, et avait passé l’été à me bassiner avec le rayon vert, phénomène optique se manifestant par une lueur verte visible lorsque le dernier rayon du soleil frappe la mer avant de disparaitre. On s’était cramé la rétine à essayer de l’apercevoir, sans succès. Dans le roman, c’est Helena qui cherche à convaincre ses oncles de poursuivre le fameux rayon. Selon la légende, le voir apparaitre garantirait la clairvoyance en amour. En réalité, Helena cherche surtout à repousser le mariage arrangé par ses oncles avec l’ennuyeux Aristobulus, un scientifique plus pédant que compétent. Le rayon vert n’étant visible que dans des conditions météorologiques et atmosphériques bien particulières, le moment de l’observer est sans cesse repoussé, et c’est à chaque fois l’occasion de renouveler l’antique débat entre science et croyance, rêve et rationalité.
Je ne peux pas dire que la lecture ait été transcendante. Le livre date de 1882, et ça se sent. Dans les personnages stéréotypés, les scènes convenues, le happy end prévisible bien à l’avance… Néanmoins on trouve toujours quelque chose d’intéressant et de dépaysant dans les livres de Jules Verne, et en cherchant un peu, j’ai lu qu’à l’époque de la parution du livre, le fameux rayon était très peu connu et qu’aucun scientifique n’avait encore étudié le phénomène. C’est donc le roman qui a révélé la chose au public et précédé l’étude scientifique, et c’est le nom choisi par Jules Verne pour désigner le rayon qui est resté.
Dorothée Caratini – Traverser la foule : Je suis la plume de Dorothée depuis un moment déjà, grâce à Titiou Lecoq qui avait recommandé la lecture de son blog dans l’une de ses newsletters pour Slate. Une veuve quarantenaire, maman de deux petites filles, dont le mari s’est pendu dans le salon avant Noël et qui depuis, aimerait bien que le karma soit un peu plus sympa. C’est un rapide résumé mais ça ne suffit pas, loin de là, à résumer le livre. Car Dorothée a un talent fou, et l’art de dire les choses et de toucher la vérité en peu de mots. La solitude, le désordre intérieur (et extérieur), la peur du temps qui passe, des choses qui nous échappent et cette envie furieuse de prendre sa part de joie, de légèreté, dans une vie qui ne nous épargne pas.
Jean-Philippe Toussaint – L’urgence et la patience : Vous savez que je fonctionne par période. J’ai eu ma période Duras, ma période Gide, ma période Paul Auster, et maintenant je suis depuis un moment dans une période Truman Capote. Il y a les permanents aussi, ceux dont un exemplaire traine toujours dans un coin, les Romain Gary et Stephen King… Il y a quelques années (en 2011-2012 si j’en crois les archives du blog), j’ai ainsi eu une période Jean-Philippe Toussaint. Avec une petite récidive en 2019 avec l’excellent Football. Aussi j’étais très contente de tomber en librairie sur ce petit livre dont j’ignorais l’existence. En plus, la quatrième de couverture annonçait un livre sur l’écriture, et je me frottais les mains d’avance à l’idée de cette lecture.
Bon ben bof en fait (appelez-moi Bernard Pivot). Il ne s’agit pas tant d’un essai que d’un recueil de textes disparates sur le sujet, écrits à différentes occasions dans le cadre de projets bien distincts. Du coup c’est forcément inégal, et frustrant aussi. J’aurais aimé que certains textes soient plus longs, plus développés (L’urgence et la patience, Comment j’ai construit certains de mes hôtels) et d’autres au contraire m’ont semblé d’un ennui total. C’est sans doute plus de ma faute que de celle de l’auteur, mais j’ai eu l’impression de rester très en surface, de ne jamais me laisser happer par la lecture, et je ne suis que déconfiture et déception.
Dan Fante – Régime sec : J’ai pris ce livre à la bibliothèque et, chose étonnante, j’étais persuadée dès la première minute de l’avoir déjà lu. Pendant toute la lecture j’ai attendu le passage, l’anecdote qui allait confirmer cette idée, mais rien n’est venu. C’est bien la première fois que j’ai un déjà-vu de ce genre, mais je n’ai pas réussi à me l’expliquer sur le moment. Le plus probable, c’était que j’aie déjà lu un autre livre de l’auteur et que le style me soit familier, bien que la bibliographie ne me dise rien*. Mais passons.
Dans ce récit autobiographique, Dan est chauffeur de taxi pour payer son whisky et l’impression de ses manuscrits. Les jours fastes, il embarque de jolies filles et empoche de gros pourboires. Les autres jours, la plupart, il traine sa gueule de bois et sa déveine entre clients désaxés, véhicule branlant et engueulades avec sa copine. Ces jours-là, il se promet de changer de vie, il essaye d’arrêter de boire et se remet à écrire, mais la lose est tenace et lui colle aux basques comme un vieux chewing-gum. C’est tout ce qu’il connait, et c’est d’ailleurs ce à quoi on s’attend en tant que lecteur. Il est si crédible en raté flamboyant qu’on s’étonne presque de tenir un de ses livres entre les mains, mais il semblerait que même la lose soit un sujet porteur, quand on sait bien la raconter.
*Alléluia! A force de me creuser les méninges, j’ai retrouvé à quoi le livre m’avait fait penser : à Travaux forcés de Mark SaFranko lu et chroniqué ici-même en 2013. Je n’en garde qu’un souvenir très flou, celui d’un mec qui picole et livre des annuaires. Mais en cherchant, j’ai découvert que Mark était un ami de Dan Fante et que tous deux appartenaient au « mouvement néo-beat ». Voilà donc l’explication à mon déjà-vu, me voilà rassurée sur le fonctionnement de mon cerveau, merci et à bientôt.
C’est tout pour aujourd’hui! Dans le prochain instant culturel (vu que je suis en retard je peux même vous spoiler!) il y aura Romain Gary (ça faisait longtemps nan?), Truman Capote évidemment, et puis Nicolas Mathieu et Philippe Claudel à nouveau (des lorrains à gogo!), Sophie Divry, Edouard Louis et de la sociologie. Et puis n’importe quoi qui me tombera sous la main pendant les vacances, puisque j’ai décidé de m’éloigner un peu des écrans pendant les prochaines semaines. Pendant mes achats de Noël je me suis efforcé de ne pas acheter de livres pour moi (tâche ardue) mais il n’est pas impossible que je me rue en librairie d’ici peu, quand la frénésie sera retombée. Si vous avez des titres à me recommander, c’est le moment, la pile près du lit se ratatine un peu et je n’y voit rien de très excitant!
Ps 1 : Je vous avais parlé il y a quelque temps déjà de Didier Eribon. A mon grand désespoir j’ai raté l’adaptation de son livre Retour à Reims par Thomas Ostermeier au théâtre des Célestins de Lyon en janvier 2020 pour cause de budget serré. Par ailleurs je vous avais déjà conseillé d’écouter Guillaume Gallienne en lire quelques extraits. Et bien sachez que jusqu’au 27 février 2022, vous pouvez visionner gratuitement sur Arte le documentaire Retour à Reims – Fragments de Jean-Gabriel Périot qui a été tiré du livre.
Ps 2 : Autre conseil culture pour les lyonnais, et toujours au Théâtre des Célestins : l’adaptation du livre Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauviginer dont je vous avais parlé ici par Michel Raskine. Le livre est une seule longue phrase inspirée par un fait divers lyonnais et c’est peu dire que je l’avais adoré. Je ne sais pas encore si je vais réussir à y aller mais je suis sure que ça va être formidable!
ah génial ! j’ai cru que ma blogroll faisait remonter un vieil article (le mot « automne »)
super que tu aies pu retrouver la mémoire avec ce déjà vu ! J’avais lu Le coeur du pélican de Cécile Coulon et détesté le personnage principal et pas trop aimé le style, là je viens de lire un autre article sur son dernier livre, et ton avis sur celui-ci me conforte dans mon idée. Pour ma part, je vais me concentrer sur les classiques en 2022 (russes et britanniques) et sinon, je vais lire Duras pour la première fois en janvier. Je continue les Rougon-Macquart. je suis curieuse pour Divry, jamais lu. Je lis très peu en français (ah et je viens de noter Doris Lessing et réserver le livre à la BM) mais j’ai beaucoup aimé Le cercueil de Job de Lance Weller et Son fils de Justine Levy.Et il faut aussi que je pense à lire Truman !