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Il y a quelques années (en 2003, je n’habitais pas encore Milan, mais j’y venais déjà de temps en temps), j’étais tombée par hasard sur l’annonce d’une grande braderie: un restaurant sur le point de fermer, Via Sciesa 8, mettait son matériel en vente. Déjà férue de casseroles, je m’y précipitai… Pour découvrir un lieu hors du commun et déplorer de n’assister qu’à sa fin. L’enseigne Giannino, comptant pas moins de cinq salles dotées de thèmes différents, se délitait sous mes yeux: piles d’assiettes à perte de vue, monceaux de casseroles, nappes, chaises et cendriers, céramiques arrachées aux murs, linteaux désossés et lustres à pampilles démontés dans les encoignures… Fauchée comme les blés, je n’emportai que deux assiettes et une nappe en jacquard brodé…

interno ristorante giannino milano

Un tout petit bout de ce qui fut l’une des enseignes les plus prestigieuses de la ville (dont la fermeture ne fut parait-il dûe qu’à une mauvaise gestion de ses affaires par le propriétaire, le restaurant en soi n’étant pas déficitaire), ouvert en 1899 et réputé pour son salon anglais (cheminée, boiseries et grande tablée), sa salle des fêtes (150 couverts, une cheminée et une salle pour l’orchestre) et sa salle dite « des céramiques » où les lustres en cristal de bohème faisaient reluire les décors bleutés du maitre Silavo Taiuti au mur… Un endroit plus que chic, féérique, mais où l’on se targait de proposer, à la fin du service, les restes aux plus démunis du quartier, une soirée spéciale clochards étant même organisée tous les ans à Noël, en grande pompe et dans le même décor raffiné…

giannino via sciesa milano

Aujourd’hui encore le souvenir de cet endroit unique me poursuit et je me souviens avoir fait tout un foin, dans le showroom Biffi lors du Fuorisalone il y a deux ans, en apercevant sur une gazinière un petit fait-tout estampillé Giannino, arrachant finalement la promesse d’être recontactée pour plus d’informations par la styliste ayant décoré les lieux, une fois le salon terminé (ce qu’elle n’a jamais fait)…

giannino via sciesa

Le plus étonnant, c’est qu’il est aujourd’hui difficile de trouver des informations sur le restaurant toscan, puisque le nom a été repris quelques années plus tard par l’enseigne ouverte par le nouveau gérant près de la gare, qui souhaite laisser croire en son historique héritage et accueille aujourd’hui politiques, vip et autres nantis (mais pas les clochards, cela va sans dire) via Vittor Pisani.

assiette fil doré

J’ignore pourquoi, mais je suis toujours en quête d’autres morceaux de cette histoire dont il me parait hallucinant qu’elle ait pu être sciemment oubliée, et ait pu finir ainsi, par la vente, le ventre ouvert, de ses cuisines et de son mobilier, jusqu’à ses sachets de sucre, et aux cartes postales envoyées par les habitués…

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