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Vous vous en doutez, à un séjour en France ne peut manquer un passage prolongé par une librairie bien famée… cette fois, non seulement je suis parvenue à ne pas craquer en gare ni au supermarché, mais je me suis même montrée fort raisonnable une fois dans l’antre fantastique du lecteur nancéen, j’ai nommé le Hall du Livre… ni l’impressionant choix de titres de Tom Sharpe, ni même la libraire enthousiaste vantant le livre du fils Gary sur ses célèbres parents ne m’auront fait flancher… je l’avais dit et je m’y suis tenue, cinq livres et pas plus… marre de trainer un sac à dos de 25kg au retour des vacances… envie de profiter du gain substantiel de place libérée, une fois les panettones dévorés… Le n°1, dont je parlerai plus tard, a même été lu sur place, histoire de gagner 200 grammes…

Nous parlerons donc aujourd’hui du n°2, lu dans le train, l’excellent Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald, dont j’avais déjà beaucoup aimé l’étrange histoire de Benjamin Button et surtout la nouvelle La lie du bonheur

Gatsby le magnifique, outre son titre vraiment enthousiaste et du coup enthousiasmant, est vraiment un bon livre, quoiqu’un tantinet ringard… pas tellement en ce qui concerne l’histoire elle-même, même si c’est rempli de snobs qui s’affrontent autour de cocktails à grand renfort de déclarations percutantes et de tentatives d’humiliations publiques (mais plus comme dans Amour, gloire et beauté que dans Cyrano de Bergerac…)…
mais plutot, disais-je, un tantinet ringard en ce qui concerne le style… c’est un peu guindé, laborieux, trop retravaillé peut-être? (comme le laisse d’ailleurs penser l’échange de courrier entre l’auteur et l’éditeur durant l’année précédant la publication, mis en appendice dans l’édition du livre de poche)
Et puis cette pudibonderie, cette scène dont il craint qu’elle ne choque (un homme et sa maîtresse s’éclipsant un moment dans une autre pièce… ohlala!), ces adjectifs pesés par la magie desquels un salaud est magnifié en escroc, une criminelle sans remords en femme d’une extreme insouciance?

Quand on pense que dans la préface de 1962, Bernard Frank ose le préférer à Albert Camus qui, selon lui, « mettait de l’amidon sur tout ce qu’il écrivait »… (je rappelle quand même que, Camus, c’est le type qui conseillait d’allumer une clope pour aller se promener dans la rue des abattoirs, histoire de supporter l’odeur) (amidon mon oeil)

Ceci dit, il y a dans ce roman des passages absolument formidables, et notamment des phrases formidables… j’ai encore en tête l’une de ces répliques lumineuses, placée en fin de chapitre (et qui n’est pas sans me rapeler cette fête où, ayant apporté des choux à la creme en dessert, un type guindé, n’osant me complimenter sur leur goût, me suggéra qu’il n’en avait jamais vu autant): « Je suis tellement, tellement triste, de n’avoir jamais vu autant, autant de si belles chemises »… éblouissant…
Aussi, même si je ne lui accorde pas toute la virtuosité que l’auteur y plaçait en disant « je crois que mon roman est probablement le meilleur américain jamais écrit » (quand même), je vous invite chaudement, ne serait-ce que pour découvrir dans quelles circonstances surgit la délicieuse phrase sus-citée, à en envisager la lecture…