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Je vous parlais l’autre jour du projet Different bodies présenté en Off de la Design week milanaise, qui mettait en scène la notion de diversité dans le design, et les remarques récoltées ici ou là m’ont interpellée. L’expo n’était, selon certains lecteurs, pas assez déco ou un peu trop conceptuelle. Chacun a évidemment le droit de ne pas aimer, mais j’aimerais profiter de l’occasion pour exprimer mon point de vue sur la question.

Je fréquente le Salone del Mobile depuis 14 ans je crois, et si je m’émerveillais devant a peu près tout au début, je suis devenue plus sélective avec les années. Ce n’est pas que je sois blasée (t’as vu, je me pâme encore devant des bougeoirs et des tapis bariolés), mais il m’en faut un petit peu plus pour être vraiment impressionnée, et je ne dégaine plus mon appareil photo à chaque chaise répondant aux codes du moment, ou pour une lampe au Pantone de l’année.

social design fuorisalone 2019

En plus, je fais pas mal la distinction entre le Salon officiel, où les marques viennent présenter leurs nouvelles collections, et le Fuorisalone, dont le concept a pas mal évolué avec le temps. Il y a une dizaine d’année, on y rencontrait beaucoup d’étudiants en design ou de jeunes designers s’étant cotisé pour louer un espace et exposer leurs projets. Il y avait aussi de petites marques naissantes, des initiatives un peu expérimentales, des éditeurs n’ayant pas les moyens de s’offrir un stand au Salon officiel, des artistes qui profitaient de l’affluence pour gagner en visibilité, des designers étrangers (pour la plupart belges et hollandais) à l’attitude décalée qui préféraient la coolitude du Off au Salon plus guindé, et pas mal d’écoles venues promouvoir leurs cursus, leurs étudiants et leurs projets.

Aujourd’hui tout a changé. Le moindre mètre carré en ville coûte une fortune et les outsiders ont du remballer leurs ambitions. Le fuorisalone accueille aujourd’hui beaucoup de grandes marques (high-tech, automobile etc.) qui utilisent l’événement pour faire de la pub ou lancer un nouveau produit, les éditeurs de mobilier cumulent stand au Salon et expo en Off pour organiser leurs cocktails en ville et jouer la carte informelle. Devant la flambée des tarifs, les expos auparavant concentrées dans des zones stratégiques se sont éparpillées un peu partout en ville et il faut de bonnes jambes ou un BikeMi au top de sa forme pour espérer voir le maximum. Ça pousse le visiteur à devenir sélectif!

dutch design social label

Mais où est-ce que je veux en venir, me direz-vous? Et bien au fait que, sur le Fuorisalone, je ne me satisfais plus que rarement de voir des meubles et des jolies décos. Je passe encore voir mes chouchous pour la forme (Karimoku new standard, Marimekko, ou encore Dimore Studio dont on reparle bientot), mais en vrai, ça me gonfle un peu d’être là juste pour dire « j’aime » ou « j’aime pas ». C’est pourquoi j’adore quand on me donne l’occasion de réfléchir un peu, dans le déluge d’infos visuelles (et pas que) que mon cerveau doit traiter pendant la semaine du Salone. C’est un peu comme en voyage où, si certains se contentent que ce soit « beau », j’ai pour ma part besoin que ça ait un peu plus de sens. (Attention je ne juge personne et j’ai bien conscience que cette quête de justifications permanente contient une bonne part de névrose!)

Du coup pendant une expo, j’apprécie qu’on fasse plus que me présenter une esthétique, j’aime bien quand le visiteur n’est pas seulement là pour dire « c’est beau », et qu’on lui donne l’occasion de réfléchir un peu. On est tellement dans la consommation d’images de nos jours, on attend d’être divertis et de voir de belles choses, il faut que ça aille vite et qu’on pige tout de suite! Je ne suis pas contre évidemment (et je participe même activement!), mais je trouve bien aussi qu’une manifestation de ce type permette d’aller un peu plus loin.

A la base les designers ne sont pas seulement là pour dessiner de beaux objets ou pour étancher une soif de nouveauté pour la nouveauté, mais pour réfléchir sur la société et ses usages (Ça se sent que j’ai vu une super expo sur le Bauhaus récemment nan?). Bref, dans l’expo dont je vous parlais lundi, il y avait un joli camaïeu de rose pour le plaisir des yeux et les fans d’Instagram, mais aussi l’occasion d’explorer une thématique un peu plus ambitieuse!

céramique tatouée kom social label

Du coup (et cette digression qui devait être une simple introduction a complètement pris le pas sur mon article), je voulais vous parler aujourd’hui d’une autre expo du Fuorisalone 2019, celle de Social Label, un très très cool projet hollandais. L’idée, c’est de réunir designers et personnes « éloignées du marché du travail » pour créer des objets. Et il ne s’agit pas seulement de réinsérer ces personnes professionnellement, mais aussi d’initier une réflexion sur la façon dont les particularités de chacun peuvent devenir une valeur pour tous, et dans le cas des objets, avoir un sens à la fois pour les gens qui les font et les gens qui les adopteront.

Social Label englobe dans sa réflexion des designers, des entreprises et des organisations gouvernementales, médicales et sociales. Il faut au moins ça pour prendre conscience qu’il y a mieux à faire que d’exclure du monde du travail les personnes « différentes » (je mets des guillemets car c’est un terme qu’on emploie souvent de façon péjorative), et qu’on peut facilement transformer une problématique sociétale en une vraie richesse.

social label design week milan

Mais là où on applaudit la démarche des deux mains, c’est qu’on s’attend parfois à faire une B.A. en achetant une tasse un peu moche ou un tabouret mal fini pour la bonne cause. Que nenni! Le premier designer à avoir répondu à l’appel n’est autre que Piet Hein Eek, suivi depuis par d’autres artistes de renom. Et les objets sont cool, très très cool. J’aurais volontiers emporté sous mon bras quelques pièces de la collection, notamment les bols et assiettes en céramique (on a déjà parlé de ma passion inassouvie pour la vaisselle?) crées sous la houlette du designer Edwin Vollebergh, de Cello et Demarrage (Reinier van Arkel) avec des personnes handicapées ou souffrants de problèmes psychiatriques.

L’idée derrière la collection KOM, c’est non seulement d’illustrer des céramiques vintage, mais aussi de créer des pièces uniques à partir de l’histoire même des makers. Les illustrations (en style tatouages de marins à l’encre bleue) ont ainsi été réalisées par Edwin à partir des récits de vie des travailleurs. Des histoires souvent tragiques qui se transforment en vraies beautés au travers du processus de création de ces « services de vaisselle artisanaux et narratifs ».

edwin vollebergh social label kom

dutch social design slowdesign

Bon du coup, on a le droit de dire que c’est beau? Je dis oui! Non seulement c’est beau, mais en plus c’est intelligent, créatif, ça aide les gens et ça rapporte même de l’argent (et ça rime!). J’adore que ce soit un projet durable et pas seulement une initiative en one-shot qui fait un peu de pub à une asso et sert de « caution » sociale et morale à un designer comme c’est souvent le cas. Et en plus (petit bonus), j’adore l’histoire derrière ce projet. En gros, des designers et artistes s’étaient réunis dans un village expérimental avec des organisations locales d’aides aux personnes pour réfléchir au projet. Lors d’un séminaire, il y avait tellement de monde qu’ils avaient manqué de bancs. Ils se sont mis à les bricoler sur place et, bam, l’idée de la première collection était née!

N’hésitez pas à aller voir les autres produits sur le site, moi je m’arrête là parce que cet article a déjà dépassé toutes mes ambitions kilométriques! Voici le site Social Label et, pour ceux que ça intéresse, l’e-shop est ici.