Ce billet était à l’origine un fragment de mon vrac de début d’année, sous l’évocateur sous-titre « point névrose ». Chemin faisant je me suis rendue compte que cette histoire de listes prenait trop d’ampleur, et je me suis résolue à en faire un article à part entière.
Je vous racontais l’autre jour sur Instagram qu’une copine avait tiqué en voyant ma to-do list. Selon elle j’y mettais trop de trucs, et surtout beaucoup de choses que je m’imposais sans raison (dans le genre changer la pile d’une montre que je n’utilise plus depuis 4 ans, ou m’imposer des challenges d’écriture type NaNoWriMo qui me laissent exsangue alors que j’ai déjà trop de boulot). Sa conclusion, c’était qu’il s’agissait moins d’une liste de choses à faire que d’une « liste de culpabilité ». J’ai demandé Culpabilité avec ou sans s? Elle m’a répondu Les deux. Blague à part, c’est vrai qu’il me faudrait plusieurs listes, la liste des choses à faire impérativement dans la journée, et une liste de choses à faire dans l’absolu mais sans que ça presse. Et arrêter de mélanger les deux sur des listes kilométriques qui découragent rien qu’en passant devant (oui parce qu’en plus, je les accroche au dessus de mon bureau). Le risque? Laisser tomber définitivement la deuxième liste de trucs pas urgents, alors qu’il y a quand même des trucs utiles dessus, comme repriser ce pull gris ou rempoter le noisetier du balcon qui commence à être à l’étroit.

Je n’ai pas encore résolu cette épineuse équation, mais entre temps le karma m’a envoyé de quoi réfléchir sous la forme d’un article de GQ : Accepting That You’ll Never Finish Your To-Do List Might Help You Get the Important Stuff Done (c’est à dire, en français et sans les majuscules intempestives chères aux anglo-saxons: Accepter que vous ne finirez jamais votre to-do list pourrait vous aider à faire les choses importantes). Je vous mets un extrait (traduit/résumé) : « La question de savoir comment passer son temps de la manière la plus productive est un moyen d’éviter des questions plus ardues telles que « Est-ce que je fais les bons choix » ou « Qu’est-ce que je veux faire avant de mourir ? » En fait, c’est ce que beaucoup d’entre nous font : utiliser la gestion du temps comme moyen de conjurer la peur de la mortalité. » Ok. Je croyais avoir un problème de culpabilité, me voilà avec un problème de déni devant la finitude et la mort. Parfait.
Selon Oliver Burkeman, le journaliste britannique interviewé dans l’article à l’occasion de la sortie de son livre Four thousand weeks : time management for mortals (4000 semaines, la gestion du temps pour les mortels), nos tentatives pour garder la maitrise sur notre temps sont une illusion, et la to-do list un moyen de tenter d’échapper à la réalité. Celle de chaque jour et celle, plus inéluctable encore, de notre fin. Mais comme il vend des livres de développement personnel, il tourne ça de façon plus positive : pour lui, accepter les limites de la réalité, c’est aussi se libérer d’une certaine forme d’angoisse. Accepter de ne jamais vider sa boite mail, de ne jamais lire tous les livres qu’il faut avoir lu, de ne jamais rayer l’intégralité de sa to-do list, c’est se libérer de contraintes imaginaires, que l’on s’impose sans raison en croyant garder ainsi la maitrise sur notre vie.

Concernant les listes multiples, Oliver a aussi un avis (quel homme!) et une suggestion : ne pas écrire plus de 5 choses sur la liste principale, et n’y déverser une tâche à partir de la liste annexe que lorsqu’une place se libère dans la première. Un système de vases communicants en somme. Mais globalement, il rappelle que la meilleure méthode pour être efficace est de définir mon pas cinq, mais une priorité à la fois, et de ne pas envisager les autres tant que celle-ci n’est pas accomplie. Un peu compliqué s’il s’agit d’un objectif à long terme (il risque d’y avoir des factures impayées et des poubelles pas sorties au bout d’un moment), mais vous avez pigé l’idée. Du coup quoi, faire deux listes, une pour les tâches à réaliser urgemment et une sur le plus long terme? Voilà qui ne va pas me simplifier les idées.
Il se trouve que j’ai terminé l’année d’une bien triste façon, en assistant aux funérailles de la mère d’une amie. L’officiante a conclu la cérémonie en nous rappelant qu’on ne savait jamais de combien de temps on disposait et qu’il fallait donc profiter de la vie. Une injonction qui, tout en se voulant motivante, était à la fois vaguement menaçante. Ramenée à la problématique de la to-do list, elle apporte tout autant de confusion. Certes si je venais à disparaitre, ne pas avoir changé la pile de ma montre n’aurait aucune importance. Mais partant de là, il y a peu d’urgences vitales dans mes listes quotidiennes, et ce critère de sélection pourrait vite me faire perdre mon boulot, mon appart et l’envie de me couper les ongles de pied.
Que faire de mon interminable liste alors? Je tente un truc pour les prochaines semaines, basé sur mon agenda, un Moleskine (le weekly notebook pour les connaisseurs, avec une double page pour chaque semaine) : y inscrire chaque jour 2 ou 3 choses à faire max, les plus urgentes et importantes (globalement les trucs concernant des boulots à rendre et les rdv), et noter dans la page de droite 2 ou 3 tâches annexes sur lesquelles avancer quand les tâches de la journées sont faites. J’ai l’impression que ce n’est pas trop ambitieux, ça me semble tenable sur le long terme. Seul hic : j’ai encore besoin de ma liste kilométrique dans laquelle piocher les tâches annexes de la semaine. Du coup je ne suis pas certaine que ça simplifie tellement le processus (en gros, j’ai 7 + 1 + 1 listes au lieu d’une). Diantre!

Mais revenons à Oliver Burkeman. Car pour lui l’essentiel n’est pas tant de rayer des tâches de sa (ses?) liste.s que de « choisir sur quoi [se] concentrer, puis simplement apprendre à vivre avec cette anxiété de fond due au fait que toutes les autres choses n’ont pas avancé« . En gros, ça ne va pas aller mieux. J’aurai toujours des listes dans tous les coins, quelle que soit la façon dont je les déplace, les divise ou les réorganise. Il y aura toujours des trucs en suspens, des trucs pas faits, pas finis, voire jamais commencés. Le vrai challenge, c’est de réussir à se faire à cette idée. C’est vivre de façon apaisée avec cette trop longue liste, et pouvoir la regarder sans paniquer, sans culpabiliser de ne pas être plus efficace, de perdre du temps, de se disperser. De quoi méditer en ce début d’année!
les photos sont superbes (propriétaire d’une tigrée et de plein de Moleskine) et je comprends bien mon dieu : to-do-list pour lutter contre notre déni de la mort ! Eh ben, un peu compliqué ce début d’année.
Pour ma part, je n’ai jamais fait de liste, mais j’ai toujours eu un agenda « cuisine » chez moi, où je note ce que j’ai à faire dans la semaine (et mes déplacements pour être prête la veille)
J’ai quand même en novembre et décembre dernier utiliser l’app Rappel sur mon téléphone où je listais chaque jour tout ce que je devais faire dans la journée, et en cliquant dans le petit rond la tâche disparaît quand on l’a fait …
Mais bizarrement, ces rappels finissaient par me stresser et puis je me suis dit que je ne faisais plus appel à ma mémoire .. donc me voilà en 2022 sans liste de tâches à nouveau, et je me sens mieux. Mais je note encore dans mon agenda « cuisine » (car il reste dans la cuisine) et j’ai évidemment un agenda pro (ah oui j’ai failli l’oublier) donc je crois que ces deux-là me suffisent.
Evidemment, j’oublie comme cette semaine d’envoyer la carte de voeux à mon tonton, j’oublie d’acheter un truc en faisant mes courses mais bon, je préfère cette légèreté. Mais là je vois le bel agenda Moleskine et je me dis qu’il m’en faut un ….