Si j’ai l’air si enthousiaste dans ce titre, c’est que j’ai prévu un peu de changement sur le blog pour 2019! Déjà parce qu’esthétiquement je commence à ne plus en pouvoir de ces ronds et de ces traits noirs, et aussi parce qu’il y a du ménage à faire dans les catégories, les archives, la sidebar etc. Rassurez-vous, l’instant culturel sera toujours là (je vous voyais inquiets donc je précise), mais dans une forme un peu différente pour que ce soit plus facile de s’y retrouver. En attendant ce gros chantier*, on va parler de Lampedusa, mais aussi de sorcières, de bidonvilles et de rats (et là je me dis que j’ai raté l’occasion de faire un bel article pour Halloween cette année…), et aussi de la grande histoire de la civilisation humaine en version geek… tout un programme!
Commençons avec Requiem des innocents de Louis Calaferte. Acheté alors que je cherchais Sorcières de Mona Chollet dont on va parler juste après, je ne savais pas à quoi m’attendre avec ce livre puisque l’ayant choisi sur la seule garantie qu’il s’agissait d’un des auteurs préférés de la libraire**. Ayant entendu la demoiselle s’enthousiasmer auprès d’une autre cliente au sujet du « livre l’ayant le plus marqué dans sa vie de lectrice », je ne pouvais pas mon tour venu ne pas lui demander de quel livre il s’agissait, en l’occurrence Septentrion de Calaferte. Elle s’est empressée de me recommander son premier roman autobiographique, publié en 1952 et qui dépeint l’enfance de l’auteur dans « la zone » de Lyon, un ghetto où s’amoncellent miséreux et repris de justice, et où la crasse, l’ignorance et la brutalité façonnent un quotidien cruel qui fait pousser les enfants trop vite, de travers, envers et contre tout.
Contre leurs parents qui n’ont pas voulu d’eux, contre le monde extérieur et les gens de la ville pour qui leur désolation est tout au plus un spectacle pittoresque, contre eux-même et leurs jeux cruels, enfants pervertis capable de haute loyauté comme de la pire infamie, pour qui le bien et le mal sont des notions floues, et le lendemain comme un grand trou qui vous happe sans vous laisser espérer mieux qu’aujourd’hui. C’est brutal et magnifiquement écrit, et je me réjouis d’avoir découvert cet auteur prolifique et de me plonger dans son oeuvre au plus vite!
On continue avec Pêcheurs d’hommes d’Eric Valmir, roman initiatique qui retrace la jeunesse de Nicolò, fils de pêcheur né sur l’île de Lampedusa. A l’origine de ce roman, la volonté de l’auteur, journaliste de Radio France et ancien correspondant en Italie, las du traitement médiatique trop souvent sans profondeur accordé à la situation sur l’île, de donner la parole à ses habitants. A travers les yeux de Nicolò, le récit parcourt l’histoire récente de Lampedusa***, ce bout de terre de 20km2 sur lequel accostent ou viennent s’échouer les embarcations en perdition en Méditerranée, à un rythme de plus en plus effréné ces dernières années. Là où la presse a souvent mis l’accent sur les migrants, les naufrages et les relations (tantôt idéalisées, tantôt inutilement présentées comme hostiles) entre eux et les habitants de l’île, l’auteur raconte ce que c’est que de grandir sur ce bout d’Italie loin de tout, aux infrastructures obsolètes et aux débouchés limités, de ne pas reconnaître son quotidien dans les actualités télévisées, et de voir l’image de l’île utilisée à des fins politiques sans que quiconque se soucie réellement de la situation sur place.
J’ai aimé cette découverte de Lampedusa au delà du drame des migrants, lui découvrir un passé, une histoire dont on parle rarement, un centre de soins pour tortues marines, apprendre le nom de ses plages, traverser l’île en scooter au lever du soleil… Le temps du roman, on partage l’amour de l’auteur pour cet endroit et les gens qui y vivent, et j’avoue n’avoir qu’un regret à l’issu de sa lecture, que pas un insulaire n’ai eu l’envie ou le talent d’écrire un témoignage similaire…****
Passons à Sorcières de Mona Chollet, essai au délicieux sous-titre vengeur « La puissance invaincue des femmes ». Ce livre m’a accompagné avant-même que j’aie mis la main dessus. Avec seulement quelques bribes lues ça et là, je savais déjà que j’allais l’adorer. Quand il est sorti j’ai milité dans plusieurs librairie de Lyon pour qu’il ait sa place en vitrine, et j’ai même fais fléchir une chef de rayon de la fnac pour que le le livre ait sa gondole centrale et ne soit pas relégué au fond du magasin avec les autres essais féministes*****. Alors pourquoi est-ce qu’il est si bien, et pourquoi je saoule tout le monde avec ce livre, et pourquoi le premier truc que je vous conseille de faire quand vous aurez fini de le lire est de le lire à nouveau?
Parce qu’il a pour thème central la chasse aux sorcières, ce féminicide dont on parle trop peu et qu’on présente comme lointain ou anecdotique. Parce qu’il explique comment cette chasse aux femmes a influencé notre société patriarcale, et comment elle se poursuit, dans une forme certes moins radicale (quoique) de nos jours. Mais aussi parce qu’il propose, de façon construite et documentée, des arguments qui permettent de tenir tête à quiconque soutiendrait que l’égalité des sexes est atteinte ou acquise. Car cette chasse aux sorcières, loin d’appartenir au passé, existe toujours sous la forme du dénigrement ou de la persécution, à des degrés divers, des femmes indépendantes, savantes, ou qui ne se définissent pas par rapport aux hommes ou à un rôle formaté comme le rôle de mère. De la place des vieilles femmes dans la société aux représentations de la sorcière dans l’imaginaire populaire en passant par l’affaire Weinstein, on jubile à chaque page devant tant de clarté.
Moi qui peine dans la vie à échanger avec les gens sur ces thèmes (vos potes ont beau être ouverts, essayez donc de prononcer les termes « maternité esclave » ou « violences obstétricales » en société, et vous verrez), c’est peu dire que j’ai aimé creuser ces sujets sans tabous, et ajouter de nouvelles références à la liste d’ouvrages à lire sur la question. Bref, je m’emballe et ça devient long, mais quitte à sacrifier à la tradition des cadeaux de Noël qui arrive, je vous encourage vivement à glisser ce livre passionnant sous le sapin de quelque sœur, amie ou mari!
Je voulais aussi vous reparler de Papillon, le roman semi-autobiographique d’Henri Charrière évoqué lors du dernier instant culturel. Mue par la curiosité, j’ai fini par voir le film dans sa version de 1973 de Franklin J. Schaffner avec Steve McQueen et Dustin Hoffman. Malgré de bons acteurs et une intéressante volonté de réalisme concernant les conditions de détention au bagne, je l’ai trouvé décevant. Je ne parviens pas à comprendre les modifications qui ont été faites par rapport au livre, notamment du point de vue chronologique, et le film passe selon moi à coté du thème central du livre, cette soif de liberté placée au dessus de tous les conforts, de tous les compromis. Si quelqu’un a vu la version de Michael Noer sortie en 2018 avec Charlie Hunnam et Rami Malek, je veux bien son avis sur la question!
Enfin, je voulais vous parler depuis longtemps de la série de livres pour enfants d’Elise Gravel intitulée Les petits dégoûtants. Parce que c’est bientôt Noël et qu’on ne peut guère souhaiter mieux à un enfant que de se débarrasser de ses peurs et de ses préjugés, mais aussi parce qu’en tant que fan des pigeons, je ne peux qu’encourager toute initiative visant à réhabiliter les petites bêtes mal-aimées. Rendre sympathique le cafard, le rat ou le pou, qui l’eut cru? C’est pourtant le pari de l’auteur qui, en distillant anecdotes et informations scientifiques, réussit même à plaider la cause du ver et du moustique!
Et puisqu’on est sur une note légère (du ghetto lyonnais au bagne de Cayenne, on est quand même arrivés à discuter des mérites de la limace), je ne pouvais pas ne pas vous parler de ce jeu en ligne qui m’a accaparé une partie de l’été: a dark room. J’ai commencé un peu par hasard et par curiosité, intriguée par l’esthétique minimale et par le rythme lent et vaguement ennuyeux du début du jeu. Partant de ce postulat primitif: « vous êtes seul dans une pièce sombre dans la forêt, s’il fait froid faites du feu ». Pas de quoi s’enthousiasmer au premier abord, sauf que. La pièce va peu à peu se réchauffer, des gens vont venir pour en profiter, il va vous falloir plus de bois, puis construire d’autres cabanes, vous équiper pour bricoler, vous organiser pour couper du bois ou chasser, des intrus vont s’incruster, des bêtes vous attaquer, des brigands vous voler… De fil en aiguille, vous en venez à bâtir une véritable société, à(ré)inventer le troc, à partir en expédition, à instaurer une hiérarchie et un système de justice, à mener des guerres contre d’autres villages…
Je me suis laissée porter, jouant quelques minutes par-ci par-là entre d’autres tâches (comprenez: j’y ai passé la soirée et fini avec les yeux rouges et le boulot en cours pas terminé), j’ai grosso modo suivi le schéma classique de civilisation tel qu’on le connait… et j’ai fini par polluer les rivières et par partir en expédition spatiale à la conquête de nouvelles planètes habitables. Rien que ça. Forcément, maintenant j’ai envie de recommencer en essayant de préserver les ressources naturelles et un village à taille humaine, mais j’ai trop peur de me laisser emporter à nouveau à collectionner les arbalètes et à construire un vaisseau. Vous essayez et vous me dites? (Nb: il existe une version dans l’Apple Store avec des fonctionnalités plus complètes, elle a vraisemblablement fait un carton au moment de sa sortie, si quelqu’un connait ou a envie de tester je veux bien un feedback!)
Voilà, l’instant culturel est fini, et je m’empresse de le clôturer avant de terminer les lectures en cours qui pourraient l’allonger… J’ai une liste de bouquins longue comme le bras qui m’attend (youpi) mais comme des trajets en train se profilent à l’horizon des prochaines semaines, je veux bien vos recommandations. Qu’avez-vous lu de bien ces derniers temps? Quels romans allez-vous glisser sous le sapin?
A bientot!
*Quand je mets les mains dans les archives du blog, j’ai l’impression de faire une psychanalyse, et je ne déterre pas que des fossiles de collection, si vous voyez ce que je veux dire…
**Et aussi parce que, si vous regardez bien la photo, vous verrez que le livre est défectueux, il a été mal coupé et il est tout de traviole, j’y ai vu un signe!
***A écouter aussi, l’émission « Lampedusa, ainsi soit l’île » diffusée le 16 janvier 2018 sur France Inter.
****Si je devais formuler une critique quand même… Parlons un peu du traitement qui est fait dans ce livre de la ville de Milan, grise et peuplée de crétins, quand elle n’est pas qu’un vivier de touristes hautains… Un cliché contre lequel je ne peux évidemment que me hisser (sur des talons de pétasse peut-être… mais qui n’ignore pas que le prosecco se conserve dans une glacière, et non une glaciaire 😉 (Private joke de la brigade orthographique imaginaire))
*****Le succès du livre a sans doute contribué à ce revirement plus que ma plaidoirie, mais laissez-moi m’imaginer un instant que mes tentatives pour faire reculer l’obscurantisme ne sont pas vaines.
Hello !
Tu sais ce que j’aime par dessus tout dans tes articles ? Les petits renvois en bas d’article, qui font que je remonte voir de quoi il s’agissait quand j’arrive à eux.
Bref, Sorcières est le 1st sur ma liste au Père Noël !
En attendant, j’essaie de lire le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, mais il faut un peu de disponibilité d’esprit pour lire ça, et j’en manquais un peu !
(tes liens pourraient renvoyer vers la place des libraires à la place d’amazon, non ? 🙂 )
Belle journée,
Alix
trop contente de te retrouver et curieuse de découvrir le blog après son « toilettage » ! je suis fan de McQueen mais je n’ai jamais lu le livre du coup je vais me rattraper (et pas vu la dernière adaptation)
pour des lectures, je lis beaucoup , ce mois-ci de la non fiction et quelques polars – j’aime les 10-18 ah dernièrement j’ai lu et aimé Naomi Fontaine, Manuel de survie à l’usage des jeunes filles ..
bonnes fêtes !
J’adore le livre qui mets fin aux préjugés sur les rats (d’ailleurs on en a un à la maison mais ce n’est pas le même, je vais donc aller voir ça de plus près )
Le livre « sorcières » m’interpelle! Pour la triste anecdote, dans la ville où je viens d’emménager ils ont coutume de pendre et de mettre le feu à une sorcière pour Halloween… je ne te dis pas comme j’ai été choquée! Les gens ont la mémoire courte… 🙁
Hello de mon côté j’alterne entre romance et thriller. Si jamais tu aimes les thrillers, il y a Inexorable de Claire Favan qui est pas mal, je l’ai adoré !
Belles lectures à toi !
Une très belle sélection pour cette fin d’année. Alors bien hâte de voir ce que tu nous proposes pour 2019.
Le livre sur les sorcières m’interpelle. On a trop tendance à ne retenir que le folklore, surtout avec halloween qui s’installe de plus en plus (je ne m’en plains pas, j’ai adoré voir mon zouzou excité comme une puce à l’idée de se déguiser et sculpter une citrouille avec lui). Mais on oublie trop vite les souffrances, l’enfer enduré par ces femmes.
Par contre, je suis curieuse, tu entends quoi et tu as quoi comme réaction quand tu parles de Maternité esclave ?
Pour ne pas me lasser, j’alterne les genres littéraires sinon on est vite dépassée surtout que je lis beaucoup et que j’alimente mon blog tous les jours.
Je te souhaite de belles lectures
hello, le livre « les sorcières » rejoints plus mon univers que les autres. donc je le mets dans ma liste. merci pour la découverte
Hello. Je ne connais pas du tout ces ouvrages. En ce moment je suis plutôt policier thriller sur fond un peu gloque de Chattam ^^ Petit pécher mignon lol
Coucou tu as des goûts très variés, c’est pas mal du tout; sorcières me tente bien bon week-end
Coucou !
Super article, et que des titres que je ne connaissais pas ^^ Côté lecture je suis plutôt thrillers (bon en fait je ne lis que ça lol). Je suis en train de lire un Maxime Chattam.
@bejiines @Aurely27_Beauty Comme vous êtes plusieurs à avoir mentionné Maxime Chattam je suis allée voir sa bibliographie de plus près et je crois ne l’avoir jamais lu! Vous avez un titre en particulier à me conseiller?
Fin d’année, l’occasion de changer un peu le blog pour commencer 2019 en beauté !
Je ne connais aucun des livres que tu présentes, et comme toi, j’ai une liste longue comme le bras, la jambe, et même le pied qui m’attend !
Cette année, pour Noël, je vais offrir « Chère Mamie » de Virginie Grimaldi. D’une parce que j’adore l’autrice, et de deux car les bénéfices sont reversés à l’association Cékedubonheur.
Belle semaine
elsa
@louloutediary Je n’ai jamais lu Virginie Grimaldi mais l’initiative est sympathique! Je suis allée faire un tour sur son site, ça m’a donné envie à moi aussi envie d’offrir « chère mamie » 🙂
gros crush sur la série Les petits dégoûtants avec les rats et autres petits dégoûtants
je pense aller les chercher cette après midi mais chuttttttttt
Coucou
Tu as un bon rythme de lecture. Je me laissera bien tenter par Sorcières d’autant que tu l’as visiblement beaucoup aimé ! A voir s’ils l’ont à ma médiathèque.
Belle soirée
@Natieak: Oui je te le recommande vivement, à Lyon il est en commande dans toutes les bibliothèques donc a priori tu devrais le trouver facilement 😉 Bonne lecture!