Je m’en veux tellement de ne pas avoir pris le temps de vous parler avant de cette expo quand elle était encore au programme et que mon billet pouvais vous inciter à aller la découvrir… Mais elle s’est achevée le 21 janvier (c’est moi ou le temps passe vite dernièrement?) et il ne va me rester que des mots et quelques images pour tenter de retranscrire l’atmosphère si particulière que le créateur de mode et le curateur avaient réussi à créer dans le vaste espace de la Triennale qui lui avait été dédié cet hiver… Un sacré challenge si on pense à l’impression si forte qu’elle m’a laissée, et aux indescriptibles sensations que tout visiteur, en quelques minutes seulement, ne pouvait manquer d’éprouver…
Depuis longtemps je suis fascinée par l’univers d’Antonio Marras, ses collections chatoyantes, ses collaborations inspirées, ses espaces habités de sa personnalité et d’un univers riche et complexe. Un bon exemple, son show-room Nonostante Marras qui réunit des thèmes, couleurs et matières récurrents dans son travail. L’obsession du fil rouge, les motifs à saturation, les couleurs fanées, l’attention aux détails et une féminité qui tient à la fois du fantasme et de la maternité.
photo Daniela Zedda
Dans cette exposition en revanche, si on retrouve bien tous ces thèmes, on les découvre sous leur versant plus noir, plus inquiétant. Accueillis par une haie de vestes puis de chemises et le sons des cloches chères au créateur, on entre dans un univers qui semble à la fois familier et vaguement glauque. On avance en croyant savoir ce qu’on va trouver, de loin on aperçoit des étoffes, des dessins, des amas moelleux, mais peu à peu, accompagnés dans une semi-pénombre par une bande-audio qui passe du murmure au cri strident, on sent comme une vague angoisse qui grandit… Le rouge n’est plus seulement de soie mais de sang, les cahiers abrités dans des couveuses exaltent les cauchemars de Marras, le textile se fait tour à tour chiffon, bandage ou bâillon, des formes s’échappent dans un grouillement, les coutures se font empiècement qui masquent mal l’angoisse, l’étrangeté d’une vision du monde tout autant torturée qu’inspirée…
Antonio Marras exploite sa vie dans son oeuvre, explore ses rêves, son quotidien, ses peurs, dans une multiplicité d’influences et de supports (peinture, dessin, sculpture…). Ce qui ajoute à la force de l’ambiance, c’est qu’elle est à la fois totale et progressive. Elle ne vous heurte pas d’un bloc mais s’insinue lentement, au gré des mises en scènes, des visions déformées par un imaginaire fécond. Piles de livres gigantesques qui semblent tels des grimoires détenir quelque savoir secret, robes d’orphelines comme figées dans l’éternité, papiers peints tachés ou peints, fenêtres sur l’angoisse, sur la déliquescences des corps et parfois sur rien. Entre ex-voto de bric et de broc, dessins d’une âme torturée, espaces où l’on étouffe malgré l’abondance de place, on se sent peu à peu étreint par l’angoisse, et à l’étroit dans un espace qui d’habité, semble devenu hanté.
Trop sensible? J’ai pris la peine d’interroger les jeunes gens disséminés sur le parcours pour informer et guider les visiteurs. Tous m’ont tenu le même discours: depuis le début de l’exposition, ils ont le cafard, parlent peu entre eux et font des cauchemars. Il leur semble emporter avec eux le soir un peu de cette tension, de ce malaise pourtant clos dans 1.200 mètres carrés, et la direction du musée a rapidement demandé à ce qu’ils tournent sur d’autres expositions pour limiter leurs jours de présence sur l’installation.
photo Daniela Zedda
photo Daniela Zedda
photo Daniela Zedda
Et c’est vrai qu’on est contents de ressortir à la fin de la visite, de quitter ce cocon tiède et vaguement familier pour retrouver l’air vif du dehors, la lumière, les sourires et les mots distinctement énoncés. Mais même une fois sortis, on emporte avec soi un petit peu de crainte, comme une vision fugitive de grenier, de dessous d’escalier, comme si la surface des choses n’était pas si lisse, si exempte de face B, et je pense nombreux sont ceux qui garderont longtemps en tète la monstrueuse salle de classe et l’inquiétante apparition de cet âne démesuré, resté trop longtemps puni derrière le tableau et finalement oublié.
photo Daniela Zedda
photo Daniela Zedda
Quelle ambiance!
Je n’aime pas forcément le travail du styliste, mais ses autres champs m’interrogent. Je n’avais pas eu le temps d’aller voir son showroom l’année dernière, mais comme je retournerai à Milan je pourrai satisfaire ma curiosité.
je peux comprendre l’oppression ou le cafard qui finit par s’installer, à trop tourner parmi ces installations. Mais il y a quelque chose de proprement fascinant dans ces compositions.
Merci pour cette découverte.
Mais c’est abominable !!
@la denrée de l’espace: ah ah si ça fait réagir sans être dans la provoc’ c’est que ça remue quelque chose d’intéressant non? 😉